Thème :
Territoire et ressources
L’incendie de la Côte-du-Sud en 1759
Jacques Saint-Pierre, historien, 14 avril 2003
La Côte-du-Sud vit, à la fin de l’été de 1759, l’épisode le plus dramatique de son histoire. En effet, les troupes britanniques incendient environ un millier de bâtiments en représailles contre les habitants qui ont défié l’ordre du général James Wolfe, leur enjoignant de ne pas prendre les armes.
L’incident de Beaumont
La flotte qui transporte les troupes britanniques pour assiéger Québec remonte le fleuve en mai de 1759. À l’annonce de cette nouvelle, le gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil ordonne à la population d’évacuer les paroisses de la Côte-du-Sud et aux miliciens de la région de se placer sous le commandement de Gaspard-Joseph Chaussegros de Lery, qui est chargé de surveiller les mouvements de l’ennemi et de l’empêcher de débarquer. Seuls les habitants de Kamouraska et de Rivière-Ouelle répondent toutefois à l’appel des autorités de se diriger vers la capitale. Les autres (femmes, enfants et invalides) préfèrent plutôt se retirer dans les bois avec leurs meubles et bestiaux. D’après la tradition orale, les affleurements rocheux qu’on retrouve dans la plupart des paroisses de la région servent de lieux de refuge.
Le 24 juin, les navires britanniques se trouvent au large de l’île aux Grues. Deux jours plus tard, les soldats débarquent à l’île d’Orléans. Le 29 juin, un détachement se rend à Beaumont, où ils rencontrent peu d’opposition. Le lendemain, le lieutenant-colonel Robert Monckton rejoint cette avant-garde avec le reste de ses troupes. Il placarde alors à la porte de l’église de Beaumont le message de Wolfe invitant les habitants à rester à l’écart du conflit. La proclamation précise :
« […] Le Roi de la Grande-Bretagne ne porte pas la guerre aux paysans industrieux, aux ordres religieux, aux femmes et aux enfants sans défense : à ceux-ci, dans leurs pénibles positions, sa clémence royale offre protection. Le peuple ne sera pas troublé sur ses terres, il peut habiter ses maisons et pratiquer sa religion en sécurité ; pour ces inestimables bienfaits, j’espère que les Canadiens ne prendront aucune part au grand conflit entre les deux Couronnes. Mais si, par une vaine obstination et par un courage mal guidé, ils veulent prendre les armes, ils doivent s’attendre aux conséquences les plus fatales ; leurs habitations seront pillées, leurs églises exposées à une soldatesque exaspérée, leurs récoltes seront complètement détruites, et la flotte la plus formidable les empêchera d’avoir aucun secours. […] »
Les soldats britanniques se dirigent vers Pointe-Lévy, d’où ils bombardent la ville de Québec durant tout l’été. Les assaillants sont harcelés par les habitants retirés dans les bois, mais sans subir trop de pertes. Dans la nuit du 23 au 24 juillet, deux détachements reçoivent mission de faire des prisonniers et de s’emparer du bétail des habitants. L’un se dirige vers Saint-Henri et l’autre vers Beaumont. Dirigé par le colonel Malcolm Fraser, ce dernier groupe se heurte à la résistance des Canadiens. Un affrontement meurtrier survient à l’est de la paroisse. Le colonel Fraser est atteint à la cuisse, tandis qu’au moins neuf défenseurs perdent la vie et plusieurs sont blessés. Cet incident va inciter le général Wolfe à mettre ses menaces à exécution.
L’expédition punitive
Dans L’année des Anglais, l’historien Gaston Deschênes raconte, au jour le jour, la marche de l’expédition punitive conduite par le major George Scott, qui a déjà effectué de telles missions sur les côtes acadiennes auparavant. À la tête d’un détachement de 800 hommes, il débarque à Kamouraska et remonte ensuite vers Saint-Thomas en détruisant systématiquement les fermes de la région, dont la prospérité étonne les envahisseurs. Le capitaine Joseph Goreham, qui avait reçu instructions de débarquer à Saint-Thomas avec le reste de l’armée de 1 600 hommes, semble avoir épargné les paroisses en amont. Par contre, il serait responsable de la mort du seigneur de la Rivière-du-Sud, Jean-Baptiste Couillard, dont les circonstances demeurent cependant assez mystérieuses.
Les militaires rencontrent peu de résistance de la part des habitants qui se sont réfugiés dans les bois et les montagnes. Comme les hommes valides ont été mobilisés pour défendre la capitale ; il ne reste donc que des vieillards, des femmes et des enfants. La majorité des prisonniers faits par le major Scott sont d’ailleurs des femmes et des enfants. De plus, cinq personnes sont tuées par les soldats lors d’escarmouches. Les pertes matérielles sont énormes : en plus des bâtiments, des bateaux sont incendiés, des récoltes détruites, des bestiaux saisis. Même les moulins à farine sont ravagés, ce qui force les habitants à manger leur grain bouilli. Seuls les églises et les presbytères sont épargnés.
Les Sudcôtois qui ont perdu leur maison doivent trouver un abri. La tradition orale rapporte que des bâtiments sont sauvés de la destruction totale par la prompte intervention des habitants ou en reconnaissance de faveurs obtenus du propriétaire. Quant aux maisons de pierre, elles résistent mieux au feu. Les familles s’entassent donc dans les rares bâtiments épargnés ou récupérés pour passer l’hiver. Par contre, les habitants conservent une bonne partie de leurs biens mobiliers et de leur cheptel, comme le confirment les inventaires après décès des années 1760-1761. Plusieurs revivent le sort de leurs parents ou grands-parents, en comptant sur les ressources de la chasse et de la pêche pour se nourrir et en s’installant dans des cabanes de pieux jusqu’à ce qu’ils puissent construire une nouvelle maison.
Malgré les malheurs qui s’abattent sur eux, les Sudcôtois se résignent à remettre les armes. Le changement de métropole, qui se confirme avec la capitulation de 1760, met fin à une longue guerre. Comme le rappelle Philippe Aubert de Gaspé, ils conserveront cependant l’espoir d’un retour de la colonie à la France.
Bibliographie :
Archives nationales du Québec à Québec, greffe Joseph Dionne, inventaires après décès, 1760-1761.
Deschênes, Gaston. L’année des Anglais : la Côte-du-Sud à l’heure de la Conquête. Sillery, Québec, Septentrion, 1988. x-180 p.
Eccles, William J. et Susan L. LASKIN. « Batailles de Québec, 1759 et 1960 », dans Atlas historique du Canada, vol. 1 : Des origines à 1800, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1987, planches 43.