Thème :
Société et institutions
L’œuvre de Georges Bouchard, un regard nostalgique sur les Sudcôtois
Jacques Saint-Pierre, historien, 7 mai 2003
L’agronome Jean-Charles Magnan écrit : « Ceux que Georges Bouchard a instruits, formés et servis, ne peuvent détacher de leur mémoire le souvenir de ce gentilhomme campagnard. » En fait, cet homme du terroir « toujours vêtu avec goût » est très fier de ses origines. Il est l’un de ces écrivains qui subiront l’influence de l’abbé Camille Roy, premier professeur de littérature française à l’Université Laval, instigateur d’un nouveau genre littéraire connu sous le nom de « littérature du terroir » qui connaît une grande popularité dans le premier tiers du XXe siècle.
Un agronome vulgarisateur
Natif de Saint-Philippe-de-Néri, le 23 avril 1888, Georges Bouchard est un fils de cultivateur. Après ses études primaires, il fréquente le Collège de Sainte-Anne, puis l’Université Laval. Il effectue également des stages aux universités de Louvain en Belgique, de Angers, en France, et Cornell aux États-Unis. À compter de 1915, Bouchard enseigne la botanique et les sciences naturelles à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Il quitte cette institution en 1924, mais il obtiendra un doctorat de l’Université Laval en 1930 et enseignera ensuite à cette institution.
À en juger par le témoignage de Jean-Charles Magnan, Bouchard est un bon professeur. « Ses cours très démonstratifs et d’une grande vivacité, écrit-il, avaient l’allure d’un feu roulant. Au détour des phrases, des exemples tirés de la nature des anecdotes et de l’humour passionnaient les élèves attachés à ses leçons. » Il préfère amener ceux-ci à trouver eux-mêmes les solutions à leurs problèmes plutôt que de leur donner simplement les réponses.
Le professeur Bouchard s’avère également un très bon vulgarisateur. À travers ses nombreux articles publiés dans La Page agricole de L’Action catholique et du Soleil et sa collaboration à l’émission radiophonique Le Réveil rural, il prodigue des conseils aux cultivateurs québécois.
Vieilles choses, vieilles gens
Passionné de littérature et d’histoire, l’agronome Bouchard publie, en 1926, Vieilles choses, vieilles gens. « Sous la plume de Bouchard, écrit Maurice Lemire, « vieux » est synonyme de bien. Tous les personnages sympathiques sont vieux. » En 29 courts textes, l’auteur présente divers personnages du monde rural : le curé, le bedeau, le forgeron, le meunier, etc. Il décrit aussi le cycle annuel des travaux agricoles d’autrefois en parlant du laboureur, du semeur, du coupeur à la faucille, de l’engerbeur, du batteur au fléau, du vanneur. Même s’il s’attarde aux tâches plus spécifiquement masculines, il ne néglige pas pour autant le travail des femmes, en évoquant la fabrication du beurre et le filage de la laine.
Ces différents récits ont une valeur ethnologique certaine parce que l’auteur décrit un mode de vie en voie de disparition. La faucille, le fléau, le van ne sont plus guère en usage lorsqu’il en parle dans son ouvrage ; ces vestiges d’une autre époque ont été remisés au grenier. Le moulin à farine et le four à pain sont abandonnés, quand ils ne tombent pas en ruine. Le vieux rouet, « dont le domaine se rétrécit tous les jours » est quant à lui considéré par plusieurs comme un objet démodé. Georges Bouchard pose un regard nostalgique sur les gens et les objets qui ont baigné son enfance.
Sans vouloir revenir en arrière, il n’en proclame pas moins la nécessité de préserver certaines traditions. À propos de la fileuse, il écrit : « Sa disparition causerait un vide profond, romprait l’harmonie du beau tableau familial que peuvent encore admirer nos contemporains. » Il croit très fermement que les arts domestiques, dont le rouet est le principal soutien, seront pour les foyers ruraux, « une source d’agréments et de prospérité et un instrument d’initiation à la vie rurale. » Georges Bouchard considère que les femmes ont un rôle capital à jouer pour freiner l’émigration aux États-Unis. Il fonde le premier cercle des Fermières de la province, en 1915, précisément pour relancer l’industrie domestique.
L’œuvre de Bouchard connaît un succès instantané. Le livre est accueilli très favorablement par la critique parce qu’il s’inscrit dans un courant de pensée qui conçoit le monde moderne comme une menace pour l’identité québécoise. Distribué en prix dans les écoles pendant de nombreuses années, le recueil sera réédité à plusieurs reprises.
L’homme politique
À compter de 1922, Bouchard mène ses autres activités parallèlement à une carrière politique. Par son mariage, en 1915, à Crescence Pouliot, fille du juge J. Camille Pouliot, d’Arthabaska, il était devenu le neveu de l’honorable Rodolphe Lemieux, député libéral, qui est président de la Chambre des communes de 1921 à 1930. Bouchard est élu député fédéral de Kamouraska pour la première fois en 1922 et il représentera cette circonscription jusqu’en 1940. Bouchard entretient une volumineuse correspondance avec les électeurs de son comté, qui constitue une partie de son fonds d’archives conservé au Centre d’archives de la Côte-du-Sud et du Collège de Sainte-Anne. Georges Bouchard abandonne la politique active en 1940. Il est alors nommé sous-ministre de l’Agriculture à Ottawa, poste qu’il occupera jusqu’en 1955. Il est décédé le 2 août 1956.
On a dit à propos de Georges Bouchard qu’il était « en plein vingtième siècle, un homme oublié par le dix-neuvième ». Lui-même avait confié à son collègue Jean-Charles Magnan peu de temps avant sa mort : « Le passé, c’est essentiellement la semence mise en terre par nos devanciers. Il appartient aux hommes du présent de l’aider à germer et à croître. Le passé et le présent, on ne peut les dissocier. » Ses écrits témoignent de son attachement à son pays et à ses fondateurs.
Bibliographie :
Bouchard, Georges. Vieilles choses, vieilles gens : silhouettes campagnardes (3e éd.). Montréal, Louis Carrier & Cie/les Éditions du Mercure, 1928. 154 p.
Dumais, Michel. « Le Fonds Georges-Bouchard », Le Javelier, vol. 3, no 3, octobre 1987, p. 11.
Magnan, Jean-Charles. « Georges Bouchard ». Dans Le Monde agricole. Précurseurs et contemporains. Montréal, Les Presses libres, 1972, p. 76-77.