Thème :
Économie
Le bois de chauffage
Jacques Saint-Pierre, historien, 1er mai 2003
La coupe du bois de chauffage est une activité importante dans le cycle des travaux agricoles des Sudcôtois jusqu’à l’adoption des systèmes de chauffage utilisant les combustibles fossiles ou l’électricité. Si les réserves sont très abondantes au début de la colonie, elles se raréfient à la fin du XVIIIe siècle, du moins à l’intérieur de la zone des seigneuries. L’accès aux terres de la Couronne règle en partie le problème, mais les plus démunis continuent d’éprouver beaucoup de difficulté à s’approvisionner.
Les premières terres à bois
Les premiers colons coupent leur bois de chauffage sur leur concession. Au bout de quelques décennies, ces réserves sont fortement entamées, d’autant plus qu’une fois les arbres abattus, la terre qui les portait est souvent mise en culture. En fait, plusieurs habitants de la Côte-du-Sud réclament très tôt une seconde concession dans les profondeurs des seigneuries, qui sera utilisée comme terre à bois de façon permanente ou temporaire, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit léguée à l’un des héritiers.
Dans ses descriptions des seigneuries en 1712 et 1715, l’ingénieur Gédéon de Catalogne fait référence à la vente du bois de chauffage à Québec par les habitants des seigneuries situées à proximité de cette ville, c’est-à-dire Beaumont, La Durantaye et Bellechasse. Le bois coupé sur les terres de la Côte-du-Sud est transporté au port par bateau. Ce commerce est mal connu, mais il ne semble pas durer très longtemps. D’autres régions doivent prendre le relais afin de répondre à la forte demande.
Une pénurie au XIXe siècle
Déjà, à la fin du XVIIIe siècle, les habitants de la Rivière-du-Sud et de Bellechasse commencent à couper du bois illégalement sur les terres non concédées. À la suite d’une plainte logée auprès des autorités par la supérieure des Hospitalières, un avis est publié dans La Gazette de Québec en décembre 1784 visant expressément ceux qui se rendent enlever sans permission « du bois à bruler [sic] et de construction » sur les terres de la Couronne sises en arrière de la seigneurie de Bellechasse, qui appartient alors aux religieuses.
Les religieuses essaient d’obtenir du gouvernement que cette portion de terrain soit intégrée à leur seigneurie. Ces terres qui ne sont pas cultivables, mais qui produisent du foin et du bois, sont convoités aussi par Michel Blais, qui est seigneur en partie de la Rivière-du-Sud. Dans le plaidoyer qu’elles soumettent aux autorités de la colonie, par la voix de leur procureur, le curé Pierre-Laurent Bédard de Saint-François, les religieuses font valoir qu’elles seront en mesure de partager ces terres entre un plus grand nombre et d’éviter de cette façon leur accaparement par les plus riches au détriment des pauvres. Mais les autorités coloniales optent plutôt pour la concession de ce terrain en township sous le régime du franc et commun soccage, c’est-à-dire que les lots sont vendus sans redevances, ni devoirs pour l’acquéreur. C’est ainsi que Armagh devient, en 1799, le premier canton de la Côte-du-Sud.
La situation n’est guère différente plus loin vers l’est. Le curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière rapporte, en 1814, que sa paroisse est dépourvue de bois et que les habitants réclament en vain depuis des années des lots au gouvernement pour être capables de se chauffer. Un demi-siècle plus tard, le problème demeure entier et les cultivateurs qui en ont les moyens achètent les lotsde colonisation non défrichés pour se constituer des réserves de bois de chauffage.
Le bois de grève : ressource ultime
Si les cultivateurs aisés arrivent à s’assurer un approvisionnement de bois de chauffage, il en va tout autrement pour les plus pauvres. Le bois échoué sur les grèves devient une ressource très convoitée à mesure que s’intensifie la rareté du combustible.
À Saint-Michel, par exemple, le curé de la paroisse évoque en 1812 le cas de deux individus qui vivent de la revente de ce bois de récupération : le premier s’y adonne pour faire vivre sa famille parce que sa récolte a presque complètement manqué, le second, qui est dépeint au contraire comme un homme riche, en vue semble-t-il d’acheter une terre. Alphonse Casgrain de Rivière-Ouelle écrit quant à lui au début du XXe siècle : « Les pauvres gens qui voulaient s’en donner la peine trouvaient une bonne aubaine de ce combustible, en ramassant à la marée haute des bois, grosses branches d’arbre, lattes, billots, et même des longues pièces de bois échappées des moulins de la côte du Nord, et du Sud du fleuve. On s’en faisait une provision pour l’hiver ; mais il arrivait que ces pauvres se voyaient volés par des habitants même. »
Les résidants de l’île aux Grues, où la matière ligneuse est encore plus rare, vont s’adonner à cette collecte du bois de grève jusqu’au XXe siècle. Sur la terre ferme, les vieilles branches et autres rebuts transportés par les marées ne vont cependant plus guère servir qu’à alimenter les feux de camp des riverains.
La situation au XXe siècle
La colonisation des cantons dans seconde moitié du XIXe siècle va permettre aux habitants des vieilles paroisses du littoral d’avoir accès aux réserves forestières de l’arrière-pays et de régler ainsi définitivement le problème de l’approvisionnement en bois de chauffage. Le sociologue Horace Miner constate en 1937 que presque toutes les familles de cultivateurs de Saint-Denis possèdent des terrains boisés dans les montagnes du sud.
Les hommes se rendent abattre les arbres aux premières neiges. Les billots seront transportés à la ferme plus tard dans l’hiver, où ils seront sciés en bûches, qui seront à leur tour débitées à la hache. Le bois vert est ensuite mis en corde et laissé à sécher durant toute la saison estivale. La provision n’est donc entamée qu’à partir de l’automne suivant.
Le chauffage au bois demeure très important sur la Côte-du-Sud, mais il l’est beaucoup moins que par le passé. Les quelques illustrations de la région vers le milieu du XIXe siècle montrent rarement des arbres autour des habitations. C’est là un bon indice de la pénurie de bois que les gens connaissent à cette époque. Si l’accès aux forêts de l’arrière-pays apporte une solution à ce problème, il serait intéressant d’étudier les circonstances dans lesquelles les cultivateurs du littoral ont réussi à mettre la main sur cette ressource.
Bibliographie :
Archives de l’archidiocèse de Québec, 61 CD, Saint-Michel 1 : 30, 1 : 32 lettres de Thomas Maguire à l’évêque, 4 et 10 mars 1812.
Bonneau, Louis-Philippe. Un curé et son temps : Pierre-Laurent Bédard, Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud. La Pocatière, Société historique de la Côte-du-Sud, 1984. 184 p.
Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
Journaux de l'Assemblée législative de la Province du Canada depuis le 26 mars jusqu'au 9 juin 1862, ces deux jours inclus, dans la vingt-cinquième année du règne de notre souveraine dame la Reine Victoria : étant la 1re Session du 7me Parlement provincial du Canada.1862 Appendice 1. Témoignage de Maurice Bossé. In Notre mémoire en ligne. [En ligne]
http://www.canadiana.org/ECO/mtq?id=8e7fdd36bc&display=9_00959_20+0432 (page consultée le 1er mai 2003)
Miner, Horace. Saint-Denis : un village québécois. Présentation de Jean-Charles Falardeau. Montréal, Hurtubise HMH, 1985. 392 p. Coll. « Sciences de l’homme et humanisme », no 11.