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Thème : Économie

Les fermes sudcôtoises de 1880 à 1940

Jacques Saint-Pierre, historien, 6 mars 2003

 
Le passage de la culture du blé à la production laitière est une date très importante dans l’histoire des régions rurales du Québec. En effet, l’avènement de l’industrie laitière, à la fin du XIXe siècle, est suivi d’une série de changements qui touchent autant les champs que les bâtiments de ferme et le réseau routier. Ces transformations s’échelonnent sur une longue période, soit de 1880 jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. 
 
Les prairies, les granges et les étables
 
La conversion à l’industrie laitière force les cultivateurs à accorder beaucoup plus d’attention à leurs prairies et à agrandir leurs bâtiments de ferme pour mieux loger leurs vaches et entreposer le fourrage nécessaire à leur alimentation durant l’hiver.
 
Jusqu’au milieu du XXe siècle, le paysage agraire régional reste dominé par les clôtures de cèdre. Les photographies d’époque révèlent que les piquets et pieux, reliés désormais avec de la broche plutôt que des chevilles de bois, sont employés un peu partout sur la Côte-du-Sud. En 1930, un auteur attribue la pérennité de cet usage dans les quatre comtés de la région au fait qu’on y trouve des réserves de bois suffisantes et que l’amoncellement de la neige qui en résulte durant la saison hivernale protège les prairies contre la gelée. La réparation de ces interminables clôtures ouvre le cycle annuel des travaux agricoles après la fonte des neiges. Cependant, à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, les clôtures de broche tendent à remplacer celles de pieux.
 
Au début du XXe siècle, le secrétaire du concours du Mérite agricole décrit les granges de la Côte-du-Sud comme des constructions longues, étroites et basses comprenant « étable et écurie situées dans le corps de la bâtisse entre les batteries, une remise en appentis à un ou deux bouts, sous la tasserie [lieu où le foin est entassé], l’une d’elles servant communément de bergerie, avec un ou deux ponts montant au-dessus des étables ; blanchis à la chaux, portes et toitures peintes en noir ou rouge, pignons lambrissés en bardeaux ». Dans les années 1930, on trouve encore des toitures de chaume bien que les cultivateurs utilisent de plus en plus la tôle de fer blanc plus durable que les autres matériaux.
 
Le pont de fenil est très répandu sur la Côte-du-Sud. C’est une nouveauté par rapport à la période antérieure où les granges n’avaient habituellement qu’un seul étage. Il en est de même du comble dit « à la française » (c’est-à-dire à mansarde) qui remplace, dans plusieurs bâtiments construits à l’époque, l’ancienne toiture à deux versants. L’espace additionnel dispense les cultivateurs de l’obligation de conserver une partie de leurs récoltes en tas à l’extérieur. Certains cultivateurs de la région font même l’expérience d’un nouveau modèle de construction d’origine américaine, la grange octogonale; plusieurs bâtiments de ce type sont érigés dans la région de 1890 à 1910. 
 
Des silos aux remises à fumier 
 
Seuls les meilleurs cultivateurs parviennent à nourrir convenablement leurs troupeaux durant leur longue stabulation hivernale. Le ministère de l’Agriculture verse des primes à la construction de silos à compter de 1892, mais l’innovation se répand plutôt lentement sur la Côte-du-Sud. Dans le comté de L’Islet, Joseph-Édouard Caron, cultivateur de Sainte-Louise qui deviendra lui-même titulaire du ministère de l’Agriculture de 1909 à 1929, est l’un des premiers habitants de la région à posséder un tel équipement. Les silos, qui permettent de donner aux animaux du fourrage vert en hiver, sont plus populaires auprès des producteurs de lait nature que de ceux, plus nombreux dans une région comme la Côte-du-Sud, qui approvisionnent les beurreries et les fromageries.
 
La conservation des fumiers est un autre problème auquel s’attaque le ministère de l’Agriculture. En 1929-1930, il crée un programme de subventions à la construction de remises afin d’inciter les cultivateurs du Québec à protéger les engrais de ferme des intempéries pour en préserver les vertus fertilisantes. À la fin des années 1930, entre 50 % et 75 % des cultivateurs de la plaine de Bellechasse disposent d’une remise ou d’une plate-forme pour la conservation des fumiers. Plus loin en aval, ce taux diminue cependant à 20 %. Les cultivateurs de Bellechasse commencent à l’époque à épandre des engrais minéraux vendus par les commerçants, mais les engrais naturels recueillis sur la ferme s’avèrent nettement plus économiques. 
 
Travaux de voirie et améliorations foncières
 
Au début du XXe siècle, d’importants travaux de voirie sont menés un peu partout dans la région afin de faciliter le transport du lait aux fabriques. Ainsi, en 1910, le conseil municipal de L’Islet entreprend, avec l’assentiment de l’inspecteur des établissements laitiers du district, le gravelage et le macadamisage des chemins. La municipalité bénéficie de l’un des deux rouleaux à vapeur acquis par le ministère de l’Agriculture à cette fin. La Loi des bons chemins, qui est adoptée en 1912, permet aux municipalités d’emprunter les sommes nécessaires à l’amélioration des routes sur leur territoire avec la garantie du gouvernement. C’est le début d’une ère nouvelle en matière de voirie rurale, étant donné que le réseau routier avait été jusque-là entretenu par corvée. 
 
À compter de 1918, l’assainissement des terres retient également l’attention. Les agronomes de comté incitent les cultivateurs à entreprendre des travaux de drainage pour faciliter la culture et, surtout, améliorer la productivité des champs. L’élargissement et l’arrondissement des planches (subdivisions d’un champ en culture), le creusage de canaux d’évacuation et l’aplanissement des levées des fossés modifient sensiblement l’aspect des terres. De leur côté, les municipalités sont invitées à se prévaloir d’un programme d’aide pour défrayer une partie des coûts engendrés par les travaux de drainage de plus grande envergure. La destruction des broussailles, l’épierrement des champs, l’éradication des mauvaises herbes complèteront la transformation du paysage.
 
Ces investissements dans la voirie et le drainage souterrain ont des retombées économiques très importantes dans la région puisqu’une partie des rouleaux à vapeur servant au pavage des routes sont fabriquées à Montmagny et que la nouvelle municipalité de L’Isletville produit des tuyaux de drainage. Le fait que le ministre de l’Agriculture provienne du comté n’est probablement pas étranger à cette situation.
 
Les contemporains ont été toutefois moins touchés par ces changements que par ceux qui surviendront après la Deuxième Guerre mondiale. Même s’ils sont moins rapides, ils n’en sont pas moins importants. Les fermes de la Côte-du-Sud photographiées au début du XXe siècle sont assez différentes de celles qui sont représentées sur des illustrations datant de 1850, par exemple, à l’époque où le blé était la production dominante. Les bâtiments de ferme sont plus vastes, les terres sont mieux tenues et les chemins sont en meilleur état. 
 
 
Bibliographie :

L’Agriculture : étude préparée avec la collaboration de l'Institut agricole d'Oka. Montréal, Fides/École des Hautes Études commerciales, 1943. 555 p. Coll. « Études sur notre milieu », no 2.
Inventaire des ressources naturelles et industrielles : comtés de Kamouraska, L’Islet, Montmagny, Bellechasse. Québec, ministère des Affaires municipales, de l’Industrie et du Commerce, 1938-1939. 4 vol.
Martin, Roger. « L’agriculture à Rivière-Ouelle ». Dans Corpus de faits ethnographiques québécois : région du Bas-du-Fleuve, vol. 1, Québec, Haut-commissariat à la jeunesse, aux loisirs et aux sports, 1981.
Miner, Horace. Saint-Denis : un village québécois. Présentation de Jean-Charles Falardeau. Montréal, Hurtubise HMH, 1985. 392 p., Coll. « Sciences de l’homme et humanisme », 11.
 
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