Thème :
Société et institutions
Sir Thomas Chapais : le dernier des aristocrates
Jacques Saint-Pierre, historien, 10 mars 2003
Thomas Chapais est le fils cadet de Jean-Charles Chapais, l’un des pères de la Confédération canadienne, et le frère de Jean-Charles, l’un des réformateurs de l’agriculture québécoise à la fin du XIXe siècle. D’allégeance conservatrice, il fait carrière en politique, tout en s’intéressant au journalisme, puis à l’enseignement de l’histoire à l’Université Laval. Ce descendant d’une famille de marchands ayant accédé à la classe seigneuriale est, en fait, le dernier représentant des notables sudcôtois du XIXe siècle à s’éteindre dans la région.
Journaliste et historien
Thomas Chapais naît à Saint-Denis le 23 mars 1858. Il est très tôt introduit dans le milieu de la politique. En 1866, il rencontre George-Étienne Cartier à bord du train qui le conduit, en compagnie de son père, à Ottawa. Il poursuit de brillantes études au Collège de Sainte-Anne et à l’Université Laval. Il manifeste de belles aptitudes pour le travail intellectuel, ce qui lui vaut de nombreuses distinctions. Il prononce son premier discours public, à l’âge de 16 ans, à Sainte-Anne sur le thème de la mission éducative du clergé.
Admis au barreau en 1879, il préfère s’orienter vers la politique. Il est d’abord secrétaire du lieutenant-gouverneur Théodore Robitaille jusqu’en 1884, année de son mariage à Hectorine Langevin, fille de sir Hector Langevin. Il débute aussi à ce moment sa carrière de journaliste comme rédacteur en chef du Courrier du Canada, organe officiel du Parti conservateur. Il en devient le propriétaire en 1890 et y collabore jusqu’en 1907. Il est également propriétaire et rédacteur du Journal des campagnes, de 1890 à 1901. Enfin, il tient durant plusieurs années une rubrique intitulée « Notes et souvenirs » dans La Presse et il collabore à diverses revues, notamment les Nouvelles Soirées canadiennes, la Revue canadienne et le Bulletin des recherches historiques.
En 1907, Chapais devient professeur et titulaire de la chaire d’histoire rattachée à la faculté des arts de l’Université Laval. Il est l’auteur de biographies de l’intendant Jean Talon et du marquis de Montcalm et d’un cours d’Histoire du Canada de 1760 à 1867, en huit volumes publiés de 1919 à 1934. Son livre sur Montcalm lui permet d’obtenir le prix Thiers décerné par l’Académie française.
La plus longue carrière parlementaire au Québec
Sir Thomas Chapais est le parlementaire qui est resté le plus longtemps en fonction depuis la Confédération, soit de 1892 à 1946 (54 ans). Les conseillers législatifs étant nommés à vie, il n’était pas rare de voir des mandats de plus d’une trentaine d’années pour ces parlementaires. Chapais détient cependant le record absolu.
Chapais se présente sous la bannière du Parti conservateur dans le comté de Kamouraska aux élections fédérales de 1891, mais il est défait pas son adversaire libéral Henry George Carroll. L’année suivante, il est nommé conseiller législatif de la division des Laurentides. Leader du gouvernement et ministre sans portefeuille dans le cabinet de Louis-Olivier Taillon, il préside le conseil législatif de 1895 à 1897. À cette responsabilité, s’ajoutent la présidence du conseil exécutif et, ensuite, la charge de commissaire de la Colonisation et des Mines dans le cabinet de Edmund James Flynn. L’arrivée des libéraux au pouvoir, en 1897, le cantonne dans le rôle de conseiller législatif de l’opposition pour plusieurs décennies.
Après avoir refusé le poste offert par le premier ministre Robert Borden, en 1917, en raison de son opposition à la conscription, il accepte le siège de sénateur de la division de Grandville en 1919. Il cumule ainsi durant une bonne partie de sa vie des postes aux deux chambres hautes, au provincial et au fédéral. Il assume de nouvelles responsabilités à la fin de sa vie, à la suite de la prise du pouvoir par l’Union nationale de Maurice Duplessis. Leader du gouvernement au conseil législatif, il siège également au cabinet comme ministre sans portefeuille. Il est le principal conseiller constitutionnel du premier ministre. Thomas Chapais décède en fonction, le 15 juillet 1946.
Un homme respecté
Thomas Chapais est considéré comme un ultramontain, ce qu’il démontre notamment par son opposition farouche à l’intervention de l’État dans le champ de l’éducation. Il s’oppose donc à la fois aux libéraux et aux conservateurs plus modérés. Son interprétation de l’histoire lui vaut aussi des reproches de la part des nationalistes. Il voit la Conquête de 1760 moins comme une catastrophe nationale que comme le début de l’émancipation politique des Canadiens français. Il demeure, malgré tout, un homme respecté.
Président de la Société royale du Canada en 1923 et 1924, membre du conseil de l’Université Laval de 1920 à 1935, il a aussi présidé la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec. Il a reçu en outre de nombreuses récompenses tout au long de sa carrière, dont les titres de chevalier de la Légion d’honneur de France, en 1902, commandeur de l’Ordre pontifical de Saint-Grégoire-le-Grand, en 1914, et celui de Knight Bachelor (sir) par le roi George V, en 1935.
Thomas Chapais conserve des liens avec sa paroisse natale. Le sociologue Horace Miner, qui séjourne à Saint-Denis en 1936-1937, y fait allusion à quelques occasions dans son étude. Le sénateur, comme il l’appelle, mène une vie très différente de celle de ses concitoyens et il ne demeure que par moments dans la paroisse. Il réside alors dans la maison familiale et il possède, en outre, un chalet sur le bord du Saint-Laurent. Miner écrit qu’il représente, pour les gens de Saint-Denis, « l’une de leurs plus grandes gloires ». C’est en masse que la population viendra lui rendre un dernier hommage lors de ses funérailles.
Chapais a droit à des funérailles d’État, à Saint-Denis. Monseigneur Maurice Roy, archevêque de Québec, célèbre le service religieux et le premier ministre Maurice Duplessis lui-même est l’un des porteurs du cercueil. Et le 3 août 1958, un monument en son honneur sera dévoilé par le premier ministre Duplessis devant la petite église de Saint-Denis, en présence de nombreux dignitaires et d’une foule considérable.
Bibliographie :
Bonenfant, Jean-Charles. Thomas Chapais. Montréal, Fides, 1957. 95 p. Coll. « Classiques canadiens », no 8.
Miner, Horace. Saint-Denis : un village québécois. Présentation de Jean-Charles Falardeau. Montréal, Hurtubise HMH, 1985. 392 p. Coll. « Sciences de l’homme et humanisme », no 11.
« Nos disparus : Thomas Chapais », Revue du Barreau, vol. 6, 1946, p. 485-487.