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La fabrication de machines agricoles
Thème : Économie

La fabrication de machines agricoles

Jacques Saint-Pierre, historien, 18 mars 2003

 
Jusqu’au milieu des années 1850, l’outillage des fermes de la Côte-du-Sud est assez limité. La charrue à labourer est à peu près le seul instrument aratoire que les cultivateurs ne sont pas en mesure de produire eux-mêmes, les socs de fer étant fabriqués par le forgerons et les rouelles par les charrons. Cependant, l’équipement aratoire se perfectionne beaucoup au milieu du XIXe siècle. Plusieurs manufactures voient le jour au Québec dans la seconde moitié de ce siècle et la Côte-du-Sud n’échappe pas au mouvement.
 
La compagnie Desjardins de Saint-André
 
Charles-Alfred Roy est le fils de Joseph Roy dit Desjardins, un cultivateur, un navigateur et un constructeur de navires employé au chantier établi à Saint-André, en 1835, par le seigneur de L’Islet-du-Portage, John Saxton Campbell. Charles-Alfred Roy suit tôt les traces de son père. Après des études à Kamouraska, il achète une boutique d’horloger à Saint-André, qu’il transforme en une manufacture de machinerie agricole. Cultivateur et marchand général, il occupe aussi la charge de maître de poste et de télégraphiste durant plusieurs années. Homme entreprenant, il dote la municipalité des services de l’aqueduc et du téléphone et il y fait construire un quai. Il fait également de la politique provinciale, sous la bannière conservatrice, et il représente le comté de Kamouraska de 1890 à 1897. 
 
Alfred Desjardins se lance dans la fabrication de machines à battre le grain en 1865, en même temps qu’un autre entrepreneur du Bas-Saint-Laurent, Charles Bertrand de L’Isle-Verte. Son entreprise est beaucoup plus modeste que celle de ce dernier. Il s’adjoint en 1871 un ouvrier des environs, Joseph Paradis, qui contribue à l’accroissement de la qualité de ses produits et à l’expansion de ses affaires. Ce dernier est un homme de métier très habile qui fabrique non seulement des rouets, mais qui emploie ses talents de menuisier à la décoration de l’église paroissiale. Comme son patron, Paradis fait son apprentissage au chantier de John Saxton Campbell. D’après Marius Barbeau, le savoir-faire de Paradis aurait permis à Desjardins de perfectionner les différentes machines aratoires qu’il offrait aux cultivateurs, dont sa fameuse batteuse actionnée par une trépigneuse. Jeannine Ouellet-Boucher, l’historienne de la paroisse de Saint-André, écrit que 10 000 batteuses sortent de la manufacture Desjardins de 1865 à 1890.
 
À la suite du décès de Charles Bertrand, Desjardins rachète la machinerie de sa manufacture. La production de la manufacture de Saint-André se diversifie au fil des années : des cribles à grain, des semoirs, des rouleaux, des arrache patates, des voitures, mais également des scies, des godendarts, des poêles, etc. Lorsqu’il accède au Parlement en 1890, le fondateur et son partenaire s’associent sous le nom de Desjardins & Paradis. La gamme de produits fabriqués s’étend, en 1895, aux « engins à gazoline » et aux machines à bardeaux. À compter de 1899, la société adopte la marque de commerce «Champion canadien». 
 
En 1901, l’entreprise de Kamouraska est incorporée sous le nom de La compagnie Desjardins; elle emploie alors plus d’une centaine d’ouvriers. Un atelier de construction de voitures est ajouté un peu plus tard. Au moment de la Première Guerre mondiale, les fils et les neveux de Desjardins tentent de donner une nouvelle impulsion à l’entreprise familiale en distribuant leurs batteuses dans les Maritimes et dans les Prairies. Mais la compagnie éprouve des difficultés avec son agent vendeur dans l’Ouest et essuie des pertes importantes à la suite d’incendies à ses installations. À ces déboires s’ajoute une baisse de la demande après 1925 qui entraîne la faillite de la société en 1930. L’entreprise Desjardins est ensuite relancée, mais elle ne retrouvera jamais sa prospérité d’antan.
 
La Compagnie manufacturière de Montmagny
 
À Montmagny, Amable Bélanger possède une fonderie où il fabrique lui aussi des instruments aratoires. Cependant, c’est l’atelier de fabrication et de réparation mécanique mis sur pied à la fin du 19e siècle par Arthur-Napoléon Normand qui se développe le plus rapidement. En fait, l’entreprise connaît un destin assez semblable à celui de sa voisine de Kamouraska. 
 
Incorporée en 1902, la Compagnie manufacturière de Montmagny compte plusieurs hommes d’affaires de la ville parmi ses principaux actionnaires. Vers 1910, elle décroche d’importants contrats de fabrication de rouleaux à vapeur utilisés pour le macadamisage des routes pour le compte de la Compagnie Charles-A. Paquet, de Québec. L’entreprise, qui emploie 125 à 150 ouvriers, passe sous le contrôle de cette dernière en 1912. Elle devient alors les Usines générales de chars et de machineries de Montmagny. 
 
Situé près de la gare, le complexe industriel de Charles-A. Paquet compte de nombreux bâtiments, dont une fonderie, une forge et un atelier de fabrication. Durant la Première Guerre mondiale, Paquet s’engage dans la production d’obus pour les troupes alliées. Après le conflit, l’usine est reconvertie pour la fabrication d’instruments aratoires. Sous le nom de Machinerie agricole nationale, l’entreprise magnymontoise offre une gamme étendue d’équipements pour les fermes : charrues, herses, batteuses, faucheuses, chargeuses à foin, mais aussi des pompes, barattes à beurre, des écrémeuses et des poêles à bois. Certains de ces produits sont fabriqués par La Cie Desjardins de Saint-André.
 
La Machinerie agricole nationale connaît cependant très vite des difficultés. La crise de 1921 s’avère dramatique pour l’entreprise de Montmagny, qui est saisie par ses créanciers l’année suivante. La liquidation met fin aux ambitions de Charles-A. Paquet, qui rêvait de créer aux abords de son usine un quartier ouvrier moderne. Après la fermeture de l’usine, environ 2 000 personnes quittent Montmagny, une véritable catastrophe pour la ville. Pour tenter d’assurer le succès de son entreprise, Paquet n’avait pas hésité à recruter des ingénieurs, des chimistes et des ouvriers qualifiés un peu partout au Canada. 
 
Dans les deux cas, les manufacturiers de machinerie agricole s’avèrent incapables de soutenir la concurrence des grandes entreprises ontariennes, notamment la compagnie Massey-Harris, et américaines, comme la John Deere, l’International Harvester, etc. La conjoncture difficile ne fait que précipiter les choses. La production de machines agricoles va cependant continuer durant plusieurs années dans la région sur une plus petite échelle. 


Bibliographie :

Barbeau, Marius. Maîtres artisans de chez nous. Montréal, Éditions du Zodiaque, 1942. 220 p.
Blouin, Claude. « La mécanisation de l’agriculture entre 1830 et 1890 ». Dans Agriculture et colonisation au Québec (sous la direction de Normand Séguin), Montréal, Boréal Express, [c1980], p. 93-111.
« Desjardins, Charles-Alfred (1846-1934) »., dans Dictionnaire des parlementaires québécois, 1792-1992, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 221-222.
Hébert, Yves. Montmagny… une histoire, 1646-1996 : la seigneurie, le village, la ville. Montmagny, Montmagny 1646-1996 inc., 1996. 304 p.
Ouellet-Boucher, Jeannine, et al. Saint-André de Kamouraska. Saint-André, Comité des Fêtes du Bicentenaire, 1991. 713 p.
 
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