Thème :
Économie
Le chemin de ferĀ
Jacques Saint-Pierre, historien, 3 novembre 2002
L’avènement du chemin de fer représente une date capitale dans l’histoire de la Côte-du-Sud. En effet, la construction du Grand Tronc renforce les liens entre Québec et son hinterland du côté est. Au point de vue économique, l’accroissement des échanges contribue à l’essor de la région. L’utilisation du chemin de fer entraîne le déclin progressif du cabotage sur le fleuve, mais le nouveau moyen de transport sera à son tour éclipsé par le camion
L’âge des locomotives à vapeur
Les travaux au premier tronçon du Grand Tronc, entre Lévis et Montmagny, débutent en 1854 et la voie ferrée est ouverte à la circulation le 3 décembre 1855. La ligne est ensuite prolongée jusqu’à Rivière-du-Loup. Cette seconde phase des travaux s’amorce seulement à l’été de 1858 et le tronçon sera inauguré le 20 octobre 1859. Le Journal de Québec rapporte cet événement historique en ces termes : « Partout les citoyens ont pris part à cette solennité et ont témoigné, par leur enthousiasme, la joie qu’ils éprouvaient de voir s’ouvrir une communication si rapide entre Québec et les paroisses du Bas-du-Fleuve. » En fait, il faut un certain temps avant que le train ne devienne un moyen de transport rapide.
L’aménagement de la voie ferrée et la pose des rails procurent de bons salaires à des ouvriers de la région, mais personne ne s’enrichit, si l’on en croit le curé de Saint-Alexandre. Au-delà des retombées du chantier lui-même, qui sont loin d’être négligeables, ce sont les possibilités offertes par un lien permanent avec la ville qui expliquent l’optimisme. Le service ferroviaire est apprécié surtout après la fermeture de la navigation sur le fleuve. En 1861, le service entre Lévis et Rivière-du-Loup devient quotidien. Le trajet dure sept heures, en principe, mais, au dire d’un témoin, « Dieu seul connaissait l’heure de l’arrivée! » Les fréquents retards sont liés principalement au mode de chauffage au bois des locomotives à vapeur. De plus, tous les conducteurs et leurs subalternes sont anglophones, ce qui suscite des plaintes de la part des usagers.
L’abbé Raymond Boucher écrit que les gares de la Côte-du-Sud « étaient bien faites, solides, avec d’excellents matériaux, quelques-unes étaient en brique ». Leur site n’a pas été toujours facile à déterminer. Comme la voie ferrée passe au niveau du deuxième rang de concessions, la gare, ou la « station » comme on le dit familièrement, devient le cœur d’un village industriel, comme L’Isletville, ou agricole, comme Saint-Philippe-de-Néri et La Durantaye. Les villages situés en bordure du fleuve, plus particulièrement dans le comté de Kamouraska, perdent pour la plupart un peu de leur importance au profit de ceux qui se trouvent le long de la voie ferrée. C’est là que les voyageurs, les marchandises et le courrier partent et arrivent désormais.
Chemin de fer, cabotage, camionnage
Le chemin de fer du Grand Tronc de Lévis à Rivière-du-Loup, dont les voies ont été rétrécies en 1873, est vendu au gouvernement en 1879 et est intégré au réseau de l’Intercolonial, qui relie Rivière-du-Loup aux Maritimes. À l’époque, le chemin de fer a définitivement supplanté le cabotage comme moyen de transport à longue distance. Cependant, le service ferroviaire ne donne pas entièrement satisfaction aux commerçants de la région. En fait, l’Intercolonial ne se rend encore qu’à Lévis, ce qui entraîne des coûts additionnels de manutention des produits. À ce propos, on retrouve dans Le Moniteur du Commerce des allusions à un plan de construction d’un pont pour relier les deux rives du Saint-Laurent. Le promoteur de cet ambitieux projet est un homme d’affaires et politicien d’allégeance conservatrice de Montmagny, E.P. Bender.
Les travaux au pont de Québec sont entrepris en 1900, mais ils ne sont complétés qu’en 1917. À compter de ce moment, les gares de la Côte-du-Sud sont reliées directement à Québec. Les statistiques disponibles sur le volume du trafic ferroviaire dans le comté de L’Islet, au milieu des années 1930, permettent de dresser un portrait assez précis de la situation à l’apogée du transport des marchandises par rail. Pour l’année 1937, le volume de fret qui transite dans les gares du comté est estimé à un peu moins de 100 000 tonnes, dont environ le quart seulement pour les déchargements dans la région et les trois quarts pour des expéditions à l’extérieur de celle-ci. Les réceptions sont constituées de marchandises destinées aux magasins de la région et de matières premières pour les industries. Les expéditions sont formées à plus de 90 % de produits forestiers : bois à pâte, bois de sciage, bardeaux, lattes, traverses de chemin de fer et poteaux. Les pommes de terre et les produits laitiers sont aussi expédiés par wagons.
À l’époque, le pont de Québec n’est plus seulement un pont ferroviaire, mais il est accessible aussi aux automobiles et aux camions. Les auteurs de la monographie sur le comté de L’Islet précisent d’ailleurs que le camion est de plus en plus utilisé pour le transport des marchandises et l’autobus pour le déplacement des voyageurs dans les années 1930 et 1940. L’automobile sera longtemps un objet de luxe réservé aux notables et aux touristes, mais elle va également faire compétition au train. En fait, le chemin de fer connaît un sursis de quelques années, soit jusqu'à ce que le ministère de la Voirie ne commence à entretenir les routes en hiver, après la Deuxième Guerre mondiale. Seuls certains produits pondéreux vont continuer à transiter par le rail après 1950. Les gares de la région doivent fermer leurs portes et sont ensuite démolies.
Le Transcontinental et le Quebec Central
C’est donc l’exploitation forestière qui alimente surtout le trafic ferroviaire de la Côte-du-Sud. À la suite de la construction du Transcontinental sur le plateau appalachien, de 1907 à 1912, la plus grande partie de la production régionale de bois est expédiée sur cette nouvelle voie. Un autre chemin de fer sera construit entre Tring-Jonction et Lac-Frontière en 1916. Cette municipalité connaîtra un boom économique en devenant le terminus de la ligne conçue spécifiquement en fonction des besoins de l’industrie forestière.
Si les trains continuent de circuler sur la Côte-du-Sud, ils ne font en général que passer. Ils ne s’arrêtent plus pour prendre des passagers depuis plusieurs années. Seuls quelques convois de marchandises rappellent les beaux jours du chemin de fer.
Bibliographie :
Blanchard, Raoul. L’Est du Canada français, « Province de Québec », vol. 1. Paris : Masson ; Montréal : Librairie Beauchemin, 1935. 366 p.
Boucher, Raymond. « Le Grand-Tronc : Lévis-Rivière-du-Loup ». Le Javelier, vol. 7, no 2, mai 1991, p. 3-5.
Gamache, Solime. « Cap St. Ignace », Le Moniteur du commerce, vol 16, no 20, 28 décembre 1888, p. 621.
Québec (province). Le comté de L’Islet : Inventaire des ressources naturelles et industrielles. S.l., Ministère de l’Industrie et du Commerce, 1943. 70 p.