Longeur 3
Encyclobec

Chania

Les Amérindiens sur la Côte-du-Sud
Thème : Société et institutions

Les Amérindiens sur la Côte-du-Sud

Jacques Saint-Pierre, 21 octobre 2002

 
Avant l’arrivée des Européens en Amérique, les basses terres de la Côte-du-Sud comprennent deux écosystèmes différents. La partie correspondant au comté de Kamouraska a un caractère nettement plus boréal que celle située en amont. C’est là que les tribus amérindiennes de l’est (Montagnais, Malécites et Micmacs) se déploient pendant la saison de la chasse. En amont, leur présence est sporadique, du moins à la période de contact. La coexistence avec les Canadiens est pacifique, mais la population amérindienne disparaît peu à peu de la région.
 
Un territoire de chasse
 
L’historien Raynald Parent, qui a réalisé une cartographie de l’occupation du territoire par les nations amérindiennes du Québec, affirme que la Côte-du-Sud était un territoire de chasse des Etchemins. Cependant, on ne retrouve aucun terme d’origine amérindienne dans la toponymie du territoire situé en amont de Port-Joly. Quant à ceux que l’on rencontre en aval, ils sont soit d’origine montagnaise, soit d’origine micmac ou malécite. Le toponyme pointe aux Iroquois à Rivière-Ouelle réfère probablement à un événement survenu après l’établissement des colons. Les sites archéologiques se répartissent de la même façon. Ils sont concentrés dans les comtés de Kamouraska, de Témiscouata et de Rivière-du-Loup et dans la péninsule gaspésienne. Aucun site en stratigraphie n’a été repéré jusqu’à maintenant en amont de Saint-Jean-Port-Joli.
 
Les Etchemins devaient chasser davantage du côté de la rivière Saint-Jean, sur le versant sud des Appalaches. À cause de la présence du corridor des basses terres, recouvert de feuillus, la faune que traquaient les chasseurs amérindiens était beaucoup plus difficilement accessible du côté du fleuve, où il n’y a pas de voie de pénétration directe vers l’intérieur des terres, comme c’est le cas à Rivière-du-Loup, par le portage du Témiscouata, ou vis-à-vis de la ville de Québec, par les rivières Etchemin et Chaudière. Le gibier traqué par les Amérindiens habite la forêt de conifères qui, au sud du 48e parallèle, se trouve en altitude au cœur des montagnes. Sur la rive sud du fleuve, les Malécites, comme les Micmacs et les Montagnais (qui traversaient le Saint-Laurent), ne chassaient que dans le bas du fleuve.
 
Malécites et Micmacs
 
Le père Paul Le Jeune relate dans Les relations des jésuites une expédition de chasse avec une bande montagnaise dans la région de Kamouraska, au cours de l’hiver de 1633-1634. Tous les animaux tués sont des espèces que l’on retrouve habituellement dans la forêt boréale : orignal, castor, porc-épic et lièvre. Le missionnaire décrit d’ailleurs le territoire parcouru en ces termes : « Ces forests (…) sont peuplées de diverses espèces d’arbres, notamment de pins, de cèdres et de sapins ». D’autres Relations font aussi état d’hivernement de missionnaires dans le secteur. En 1647-1648, le père Gabriel Druillettes séjourne aux environs de la rivière Matane avec des Algonquins de Québec et sans doute des Montagnais. En 1661-1662, le père Pierre Bailloquet accompagne un groupe d’Algonquins et de Montagnais de Tadoussac « vers les monts Nostre-Dame ». 
 
Malgré ces témoignages de missionnaires jésuites, ce sont les Malécites et les Micmacs qui viennent en plus grand nombre chasser dans la région. C’est du moins ce que révèlent les registres d’état civil. Il semble exister des relations assez étroites entre la Côte-du-Sud et les missions malécites de Médoctec et d’Aukpagne sur la rivière Saint-Jean. Quant aux Micmacs de la Gaspésie, ils sont forcés de se replier vers le pays malécite après la cession de l’Acadie à l’Angleterre en 1713. 
 
Les registres d’état civil confirment que les Amérindiens fréquentent davantage la partie nord-est de la Côte-du-Sud. En effet, ce sont dans ceux de Rivière-Ouelle et de Kamouraska que sont inscrits la plupart des actes les concernant. Les registres des paroisses situées entre Beaumont et Saint-Pierre n’indiquent qu’une seule période de forte présence amérindienne, soit de 1745 à 1749. Durant la guerre de Succession d’Autriche, les tribus alliées aux Français se réfugient à Québec. En 1745, 97 Malécites, 9 Micmacs et 12 autres « Sauvages » viennent dresser leur campement à Saint-Michel. Ils sont ensuite transférés à Rivière-du-Sud, où ils sont nourris et vêtus à la charge du roi. À l’automne de 1747, c’est plus de 400 Amérindiens de l’Acadie qui se retrouvent à cet endroit. Ils quittent cependant la région au printemps suivant.
 
La disparition des Amérindiens de la région
 
Les registres d’état civil indiquent que c’est au début et à la fin de la période de chasse, soit à l’automne et à la fin de l’hiver, que les Amérindiens entrent en contact avec les habitants de la Côte-du-Sud. Les jeunes amérindiens baptisés ont souvent des Canadiens comme parrains et marraines. Cependant, aucun mariage interethnique n’est célébré dans la région, ce qui révèle les limites des rapports entre les deux groupes. Il faut dire que les Amérindiens ont beaucoup souffert du contact avec les Européens, qui ont introduit en Amérique des maladies qui les ont décimés. Philippe Aubert de Gaspé raconte qu’ils avaient une telle crainte de la petite vérole, communément appelée « picote », que les femmes qui avaient peur de les recevoir lorsqu’elles étaient seules criaient : « La picote est ici! » Il était rare que les Amérindiens atteints de cette maladie survivaient.
 
Après 1750, la relation entre les deux groupes est perturbée par l’envahissement progressif de la plupart des territoires de chasse amérindiens à la faveur de l’exploitation forestière et de la colonisation. Le gouvernement s’efforce de sédentariser les Amérindiens en les plaçant dans des réserves. Il n’y en a aucune cependant sur la Côte-du-Sud. Les Indiens du Bas-Saint-Laurent, qui montent à Québec ou qui en reviennent, continuent pendant longtemps de camper sur la grève derrière le manoir seigneurial de Saint-Jean-Port-Joli. L’abbé Henri-Raymond Casgrain écrit à ce propos : « M. [Philippe Aubert] de Gaspé faisait la causerie avec eux, leur parlait de leurs chasses, de leurs pêches, des beaux présents de couvertes, poudre et fusils, etc. qu’ils avaient reçus à Québec et les invitaient à venir chercher quelque nourriture au manoir. » 
 
Le recensement de 1851 atteste la présence dans la paroisse de Cap-Saint-Ignace de quelques familles amérindiennes qui gagnent leur vie en pratiquant la chasse. Ces individus sont sans doute parmi les derniers descendants de ces hommes des bois qui parcourent les forêts de la Côte-du-Sud depuis les temps préhistoriques. Leur histoire reste à faire. 
 
 
Bibliographie :

Aubert de Gaspé, Philippe. Les Anciens canadiens. Montréal, Éditions Fides, c1975. 359 p.
Philippe. Divers. Montréal, C.O. Beauchemin & fils, lib.-imprimeurs, 1893. 145 p.
Casgrain, Henri-Raymond. Philippe Aubert de Gaspé. Québec, Atelier typographique de Léger Brousseau, 1871. 123 p. 
Hébert Yves. Montmagny… une histoire, 1646-1996 : la seigneurie, le village, la ville. Montmagny, Montmagny 1646-1996 inc., 1996. 304 p.
Le Jeune, Paul. Le missionnaire, l'apostat, le sorcier. Édition critique par Guy Laflèche. Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1973. xli-261 p. 
Parent, Raynald. Les Amérindiens à l'arrivée des Blancs et les débuts de l'effritement de leur civilisation. Thèse de maîtrise (Histoire), Université Laval, 1976. xiii-108 p.
 
Chania