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Les sucreries de la Côte-du-Sud
Thème : Économie

Les sucreries de la Côte-du-Sud

Jacques Saint-Pierre, historien, 30 novembre 2002

 
 
La Côte-du-Sud est l’une des régions du Québec où l’exploitation des érablières constitue un revenu d’appoint assez important pour les cultivateurs, et ce depuis au moins deux siècles. La ceinture d’érablières du piedmont des Appalaches est tout particulièrement le théâtre d’une activité très intense à la fin de l’hiver, lorsque les chauds rayons du soleil provoquent la montée de la sève dans les arbres. 
 
Le « sucre du pays »
 
Une ordonnance de 1716 confirme que les habitants de Bellechasse « vont tous les printemps sur les terres de la dite seigneurie non concédées, et même sur celles [du] domaine, entailler les arbres d’érable pour en tirer de l’eau pour faire du sucre ». À cette époque, la technique de collecte de l’eau est très rudimentaire : les habitants pratiquent une petite entaille latérale à la base de l’arbre par laquelle la sève s’écoule lentement dans des contenants faits d’écorce ou de bois. Le liquide sucré est ensuite porté à ébullition dans de grands chaudrons de fer ou de cuivre jusqu’à son évaporation. La pâte obtenue est ensuite versée dans un moule où elle est laissée à refroidir. Les habitants produisent aussi du sirop d’érable, mais le produit est surtout conservé sous forme solide. 
 
Au début du XIXe siècle, la fabrication du sucre d’érable représente une source de revenus non négligeable pour les colons de la Côte-du-Sud. L’arpenteur Joseph Bouchette écrit, en 1815, à propos des habitants de la seigneurie de Saint-Gervais qui gagnent leur vie avec peine, que la fabrication du sucre d’érable est l’une de leurs principales occupations durant le printemps et qu’ils trouvent le moyen d’en envoyer une quantité considérable au marché. Vers le milieu du XIXe siècle, d’autres arpenteurs qui parcourent les cantons de l’arrière-pays constatent eux aussi que le sucre d’érable est souvent la principale source de revenus des colons dans les premières années de leur établissement. 
 
Les méthodes de mise en marché du « sucre du pays », selon l’appellation populaire, laissent beaucoup à désirer. Le sucre commun est vendu généralement en blocs de plusieurs kilos. Le produit de meilleure qualité est offert quant à lui en pains plus petits. Certains utilisent même des moules habilement sculptés afin d’ajouter une petite touche d’originalité à la présentation de leur produit. Ces moules sont aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs.
 
Le temps des sucres au milieu du XIXe siècle
 
Depuis l’époque où les premiers colons apprennent des Amérindiens à recueillir la précieuse coulée printanière de sève sucrée des érables jusqu’au début du XXe siècle, l’acériculture reste une production artisanale. Les réformateurs de l’agriculture québécoise, dans la seconde moitié du XIXe siècle, exhortent les « sucriers » à améliorer la qualité de leur produit de manière à en faciliter la mise en marché, mais la technologie ne permet pas de maintenir de hauts standards.
 
Le temps des sucres, qui coïncide avec la fonte des neiges à la fin de l’hiver, est à la fois une période de réjouissances, mais aussi un temps de dur labeur pour le « sucrier ». Le rédacteur de la Gazette des campagnes décrit très bien les deux côtés de la médaille :
 
 « Cette époque est généralement un temps de petites fêtes pleines de douceurs et de gaîté [sic]. On aime toujours à faire une ou deux visites aux sucriers qui se montrent généralement bien affables et bien hospitaliers. Là, assis sur un bon lit de sapin, les gourmands donnent libre cours à leur appétit. Ils se décarêment, comme on dit. Il faut avouer aussi que nos sucriers sont tous habiles dans l’art culinaire, et qu’ils ont le grand talent de tenter leurs convives en exhibant à leurs yeux avides des mets bien doux au palais. Où trouver, en effet, quelque chose de plus ravissant et de plus délicieux qu’une belle cassottée de tire?
 
Cette fabrication de sucre coûte cher au cultivateur, c’est pour lui un temps de rudes fatigues. Pendant trois à quatre semaines il est presque toujours sur pied: le jour, il lui faut courir les érables, transporter l’eau, caler les casseaux, préparer le bois de chauffage; la nuit, veiller la plupart du temps pour faire bouillir. De plus il n’a pas comme à la maison tout le confort désirable ; son lit n’est pas moelleux, et le froid qui s’introduit de tous côtés à travers les pièces disjointes de sa rustique demeure le fait souffrir le plus souvent. Parmi ceux qui le visitent pour s’amuser et se distraire, il s’en rencontre plusieurs qui sont loin de se douter de ses fatigues et de ses privations. Ils ne voient dans ce genre de vie que le beau côté, ce qui flatte le goût. Mais pour lui ces saveurs sucrées perdent vite leur prestige, il finit par n’en faire aucun cas. »
 
Une production plus standardisée
 
La technologie acéricole est beaucoup améliorée au début du XXe siècle. Les vieilles gouttières et les seaux de bois font peu à peu place aux chalumeaux et chaudières en métal. Le chaudron est aussi mis au rancart au profit de l’évaporateur moderne à fond ondulé. Ces changements se répercutent sur la qualité de la production qui est mise en marché, à compter de 1925, de plus en plus par l’entremise de la coopérative de Plessisville fondée par Cyrille Vaillancourt.
 
Régie par Luc Dupuis, la sucrerie-école de Sainte-Louise, qui est située sur une ancienne terre agricole reboisée, est l’un des trois établissements du genre organisés en 1914 par le ministère de l’Agriculture du Québec. En plus des apprentis sucriers, l’établissement accueille plusieurs visiteurs intéressés à recevoir des conseils sur les derniers perfectionnements des méthodes de production. On y conduit, en outre, des expériences sur la transformation du sucre. C’est ainsi qu’en 1926, le chef du service de l’Industrie sucrière du ministère peut annoncer la découverte du procédé de fabrication du fameux sucre mou. La sucrerie-école ferme ses portes en 1937. 
 
L’ouverture de la sucrerie-école de Sainte-Louise coïncide avec une hausse très importante de la part du marché provincial détenue par les producteurs de la Côte-du-Sud. En effet, de 1911 à 1921, la production régionale s’accroît de 7 % à 12 %, la moitié provenant du seul comté de L’Islet. En 1937, ce comté totalise un peu plus de 700 érablières, qui ont fabriqué cette année-là 159 000 litres de sirop et 87 000 kilos de sucre, vendus à la coopérative des producteurs de Plessisville ou à Lennoxville. L’expédition sous forme liquide tend alors à remplacer la vente de sucre solide, parce que le sirop se prête mieux aux contrôles de la qualité et à la préparation de produits variés. 40 % des cultivateurs de L’Islet profitent de cette industrie saisonnière.
 
L’acériculture est un élément essentiel du folklore québécois. Mais elle est devenue également au fil des ans une activité économique importante dans certaines régions, dont la Côte-du-Sud. En 1997, elle se classait au troisième rang avec 13 % de la production québécoise. La cabane à sucre fait toujours la joie des Sudcôtois, mais aussi de plus en plus des touristes.


Bibliographie :

Kalm, Pehr. Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749. Traduction annotée du journal de route par Jacques Rousseau et Guy Béthune avec le concours de Pierre Morisset. Montréal, Pierre Tisseyre, 1977. clxv-674 p.
« Petite chronique agricole », Gazette des campagnes, vol. 7, no 4, 7 mai 1868, p. 33.
Québec (province). Le comté de L’Islet : Inventaire des ressources naturelles et industrielles. S.l., Ministère de l’Industrie et du Commerce, 1943. 70 p.
Ross, Charles-Félix, « L’importance économique de l’acériculture dans une perspective d’agriculture durable », p. 138-149. In Acer. Centre de recherche, de développement et de transfert technologique en acériculture. [En ligne] http://www.centreacer.qc.ca/publications/colloques/1997/pdf/ross.pdf (page consultée le 30 novembre 2002)
Saint-Pierre, , Jacques. « Citadelle : les 75 ans du leader mondial de l’industrie acéricole », Le Coopéteur agricole, septembre 2000, p. 26-28.
 
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