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La pêche à l’anguille
Thème : Économie

La pêche à l’anguille

Jacques Saint-Pierre, historien, 25 juin 2002


Les pêcheurs riverains de la Côte-du-Sud s’adonnent peu à la pêche à l’anguille avant le XIXe siècle. D’après un relevé effectué en 1771, il y a une dizaine de pêches tendues à Saint-Vallier et quelques-unes à Berthier. Dans le secteur plus poissonneux des eaux salées, situé en aval de Saint-Jean-Port-Joli, on capture une grande variété de poisson, mais l’anguille ne semble pas encore très importante. L’intérêt se développe par la suite. La production, qui est consommée localement au XIXe siècle, est ensuite exportée sur les marchés étrangers. 
 
Les engins de pêche
 
Les premiers colons empruntent aux Amérindiens les techniques de pêche à l’anguille. Malgré le perfectionnement apporté aux engins, les pêcheurs de Sainte-Anne-de-la-Pocatière utilisent d’ailleurs encore ces techniques archaïques à la fin du XVIIIe siècle. En effet, ils se contentent de tuer le poisson à peau visqueuse à coups de bâtons dans la vase à marée basse et ils envisagent également de se servir de nasses. Mais la technique usuelle consiste à dresser sur le rivage une barrière de fascines avec des coffres, où l’anguille est piégée lorsqu’elle veut regagner le large avec la marée.
 
L’abbé Alphonse Casgrain décrit le système en usage à Rivière-Ouelle dans la seconde moitié du XIXe siècle en ces termes : « Enfants, nous sommes allés voir ces pêches, avec leurs coffres en bois distribués au bout de la pêche de distance en distance. Il y avait ce qu’on appelle des claies d’une longueur de 50 à 60 pieds [15 à 18 mètres] au bout de chaque claie était un coffre en bois, avec un trou pour permettre à l’anguille d’y entrer. Mais la pauvre anguille, une fois entrée ne pouvait plus en sortir, vu qu’en entrant dans le coffre elle avait à passer une espèce de sac de toile disposé à l’embouchure du trou du coffre, et ce sac, gros à l’entrée, se terminait par une petite ouverture de la grosseur d’une pomme, cette toile mouillée, débarassée [sic] du passage de l’anguille retombait vers le fond du coffre et l’anguille demeurait emprisonnée… » Les prises sont ensuite retirées des coffres à l’aide de gaffes.
 
Le système subit quelques modifications au fil des ans. À l’origine, les claies sont faites d’un enchevêtrement de branches flexibles d’aulnes ou de coudriers enlacées entre des perches qui sont plantées solidement dans le sol à tous les mètres environ. La construction de cette clôture exige une somme de travail très considérable, d’autant plus qu’on ne dispose que de quelques heures entre les marées. Au XXe siècle, un treillis métallique remplace les fascines. La pose en est grandement facilitée et les résultats sont tout aussi bons qu’autrefois.
 
La pêche commerciale 
 
À la fin du XIXe siècle, l’anguille est, avec des captures de près de 220 000 kilos, la deuxième espèce en importance dans le district compris entre Cap-Chat à Lévis, loin cependant derrière le hareng, qui représente 2 millions de kilos. À l’époque, les pêches à fascines se concentrent dans le comté de Kamouraska, où l’on dénombre, selon les données du recensement de 1871, 198 pêches contre 115 dans celui de L’Islet et 77 dans celui de Montmagny. Quant au comté de Bellechasse, il n’en possède qu’une seule. 
 
Selon plusieurs témoignages, il n’est pas rare de prendre 1 000 à 2 000 anguilles à la fois dans les parages de Rivière-Ouelle à cette époque. Après les avoir retirées des coffres, les pêcheurs transportent leurs prises sur la terre ferme, où elles sont rapidement plongées dans un bassin de saumure. Les anguilles ne survivent pas très longtemps à ce traitement, qui vise également à assurer la conservation de la chair. Bien apprêtée, l’anguille constitue un mets raffiné, mais elle est victime de certains préjugés tenaces qui font en sorte qu’elle n’est pas aussi appréciée que d’autres espèces pêchées localement comme le hareng ou la sardine. 
 
En 1877, le pamphlétaire Arthur Buies fustige un propriétaire d’hôtel de la Pointe-à-l’Orignal, située entre Saint-Denis et Rivière-Ouelle, qui préfère s’adonner à la salaison d’anguilles, qui abonde dans les pêches avoisinantes, dans son hangar que d’agrandir son hôtel et lui procurer tout le confort moderne. Il se prive ainsi, d’après lui, d’une petite fortune en raison de l’attrait que présentent les lieux pour les touristes. Mais, alors que les touristes ne fréquentent les lieux que depuis une quinzaine d’années, les anguilles sont là depuis au moins un siècle. 
 
Un produit d’exportation
 
Le perfectionnement des méthodes de conservation du poisson ouvre de nouveaux débouchés pour les pêcheurs d’anguilles du Saint-Laurent durant les années 1920. Expédiées par chemin de fer dans des barils remplis de glace, elles peuvent être vendues à l’état frais dans plusieurs villes américaines. Les pêcheurs d’anguilles de la Rive-Sud de Québec tirent vite profit de ce marché intéressant. Mais ceux de Bellechasse ne tardent pas à leur emboîter le pas. En 1945, ce comté totalise plus de 80 % des captures de la Côte-du-Sud. La production y demeure très jusqu’au début des années 1960.
 
Dans le comté de Kamouraska, la pêche à l’anguille autrefois si populaire devient une activité plutôt marginale au milieu du XXe siècle. À Rivière-Ouelle, par exemple, on ne dénombre plus que cinq pêches importantes en 1950. Mais le nombre de pêcheurs va se multiplier par la suite en raison de la hausse des prix. Ainsi, en 1960, la grève de Rivière-Ouelle est occupée par une trentaine de pêches. Le comté de Kamouraska reprend la tête des quatre comtés de la région et il ne sera plus délogé de cette position par la suite.
 
L’interdiction de la pêche pour trois ans, en 1970, à cause de la teneur en mercure des eaux du fleuve, amène plusieurs pêcheurs d’anguilles à abandonner définitivement cette activité. Seuls les comtés de Kamouraska et de L’Islet maintiennent leur volume de prises. D’autres sources de contamination sont identifiées après 1980, ce qui amène la fermeture de plusieurs marchés étrangers à la production québécoise. Malgré tout, les pêcheurs de Kamouraska perpétuent la tradition de la pêche à l’anguille dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. À l’heure actuelle, la plus grande partie des captures du Québec proviennent de ce comté.
 
L'Association des pêcheurs d'anguilles du Québec, qui a son siège social à Rivière-Ouelle, est chargée de représenter les pêcheurs commerciaux auprès des divers paliers de gouvernement. En outre, elle vise à développer de nouveaux marchés pour ce poisson, qui continue d’être très apprécié en Europe, mais qui est méconnu par les consommateurs québécois et canadiens. La pêche commerciale à l'anguille reste une activité économique significative sur la Côte-du-Sud. 
 

Bibliographie :

Buies, Arthur. Petites chroniques pour 1877. Québec, C. Darveau, 1878. 200 p.
Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
Croff, Madame Elphège. Nos ancêtres à l’œuvre à la Rivière-Ouelle. Montréal, Albert Lévesque, [1931]. 212 p.
Paradis, Alexandre. Kamouraska (1674-1948). Kamouraska, Conseil de la Fabrique, 1984). xix-337 p. (Réédition de l’ouvrage original paru en 1948).
Kamouraska, le doux pays.! Notre patrimoine. Association des pêcheurs d’anguilles « [En ligne] http://www.kam.qc.ca/bienven/patrimo/naturel/f_natur.html (Page consultée le 24 juin 2002)
 
 
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