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Les pêcheurs sudcôtois en Gaspésie
Thème : Économie

Les pêcheurs sudcôtois en Gaspésie

Jacques Saint-Pierre, historien, 9 juillet 2002

 
Plusieurs jeunes hommes de la Côte-du-Sud fréquentent les côtes de la péninsule gaspésienne au XIXe siècle. Ils y passent la saison estivale à pêcher la morue pour le compte des entreprises jersiaises, les Robin, Le Boutillier, etc. Ces migrations de travail aboutissent dans certains cas à un établissement définitif en Gaspésie et sur la Côte-Nord. C’est ce qui explique la présence de plusieurs patronymes sudcôtois dans ces régions maritimes.
 
Les recruteurs de Saint-Thomas
 
La Charles Robin and Company a à son service un agent recruteur permanent dans la paroisse de Saint-Thomas. Au début du XIXe siècle, c’est Thomas Proulx qui assume cette responsabilité et Jean-Baptiste Boulet lui succède en 1833. Celui-ci continuera à recrutement des travailleurs pour les entreprises jersiaises au moins jusqu’en 1873. Durant la première moitié du siècle, la plupart des 40 à 50 hommes recrutés à chaque année à Saint-Thomas par la compagnie Robin sont employés à la transformation du poisson sur les graves de Percé. Par la suite, les graviers sudcôtois sont remplacés en partie par la main-d’œuvre locale, du moins dans cette région.
 
D’autres compagnies jersiaises recrutent aussi de la main-d’œuvre sur la Côte-du-Sud. Ainsi, Thomas Proulx affirme avoir engagé plus de 250 hommes en 1821, dont seulement 33 pour la compagnie Robin. La demande de main-d’œuvre par les établissements de pêche est telle que l’aire de recrutement doit être étendue aux paroisses voisines de Saint-Thomas, soit Berthier, Cap-Saint-Ignace, L’Islet, qui possède un chemin de la Petite-Gaspésie, Saint-Jean-Port-Joli, voire jusqu’à Rivière-Ouelle. Après 1860, c’est l’industrie manufacturière américaine, dont le secteur de la briqueterie, qui rend le travail de recrutement dans la région plus ardu.
 
À cette époque, l’agent Jean-Baptiste Ouellet embauche ses hommes jusqu’à 75 km à l’est de Saint-Thomas. L’embarquement à bord des goélettes se fait encore au bassin de la rivière du Sud, qui comporte de nombreux avantages malgré les difficultés de la navigation. En effet, on y retrouve de grands bâtiments pour abriter les travailleurs et leur coffre de pêche en attendant le moment propice au départ et il y a suffisamment de charretiers pour transporter leur butin à bord en peu de temps. 
 
La condition des pêcheurs 
 
L’abbé Alphonse Casgrain raconte dans ses mémoires les déboires des jeunes gens et hommes mariés de Rivière-Ouelle qui partent le printemps pour aller à la pêche à la morue en Gaspésie avec l’espoir d’y amasser un peu d’argent. Il explique : « C’était ordinairement des journaliers pauvres qui avaient besoin pour le soutien de leur famille et le payement de dettes. » Il précise ensuite que pour obtenir les provisions nécessaires à leur voyage, ils doivent avoir recours au crédit chez les marchands, comptant sur leurs économies de l’été pour rembourser les avances consenties par ces derniers. Malheureusement, ils ne sont pas toujours capables de rembourser leurs dettes.
 
« On revenait de la pêche à l’automne, écrit-il, on ne se montrait pas aussitôt qu’on arrivait ; les marchands s’inquiétaient, s’enquéraient du fruit de leur pêche ; mais on changeait de ton, qui n’était pas si fier qu’à leur départ du printemps, et à peine les entendait-on piteusement, et non plus du même ton arrogant du départ précédent : « On revient de la pêche mais si bas qu’on apercevait bien que leurs recettes avaient été petites ou dépensées. Il y en avait parmi eux qui avaient trop bamboché (sic), leur bourse était vide avant d’arriver. L’année suivante, on voulait recommencer la même chanson, mais les marchands étaient devenus sourds ; ils ne leur avançaient plus ; ce qui fit que la pêche à Gaspé finit par se passer de mode ; on n’y allait plus faute de moyens… »
 
En fait, la situation des travailleurs saisonniers de la Côte-du-Sud qui se rendent en Gaspésie s’apparente à celle des pêcheurs locaux qui dépendent du système de crédit appliqué par les compagnies jersiaises. Dans leur cas cependant, une partie des avances qui leur sont versées, soit ce qu’ils emportent dans leur coffre en début de saison, proviennent des marchands de la région plutôt que des compagnies de pêche. Le désenchantement des engagés sudcôtois peut expliquer pourquoi le séjour sur les côtes gaspésiennes se résume pour la plupart à une seule saison de pêche. L’industrie ou les chantiers offrent des perspectives plus intéressantes. 
 
Un courant migratoire
 
La pêche en Gaspésie devient malgré tout un métier pour certains Sudcôtois qui décident de se fixer à demeure dans cette région maritime. En effet, un important courant migratoire relie les paroisses de Rivière-Ouelle jusqu’à Montmagny aux établissements du littoral nord de la péninsule gaspésienne, de Matane jusqu’à Gaspé. Pour plusieurs jeunes gens travaillant dans les établissements des grandes compagnies jersiaises, la décision de s’établir en Gaspésie est souvent la conséquence de la rencontre d’une jeune gaspésienne.
 
Le courant migratoire est aussi alimenté par une autre source. C’est un phénomène encore mal connu, mais la Côte-du-Sud compte au milieu du XIXe siècle une importante flottille de barques de pêche qui se retrouvent à chaque année le long des côtes de la Gaspésie. Des entrepreneurs tels que Lazare Joncas et Michel Lespérance de Saint-Thomas ou Philéas Sirois de L’Islet ont jusqu’à une centaine de pêcheurs à leur emploi. Plusieurs de ces pêcheurs de métier finissent par s’installer définitivement là où se trouve leur gagne-pain.
 
La pêche à la morue en Gaspésie n’est, en définitive, qu’un autre aspect de la vie maritime sur la Côte-du-Sud. Au XIXe siècle, les habitants de la région restent tournés vers la mer. Il ne faut donc pas s’étonner d’en voir plusieurs tenter l’expérience de la pêche à la morue et certains se fixer dans l’un ou l’autre des villages de la péninsule gaspésienne, puis de la Côte-Nord.
 
 
Bibliographie :

Bélanger, Jules, Marc Desjardins et Yves Frenette. Histoire de la Gaspésie. Montréal, Boréal Express/Institut québécois de recherche sur la culture, 1981. 797 p.
Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
Hébert, Yves. Montmagny… une histoire, 1646-1996 : la seigneurie, le village, la ville. Montmagny, Montmagny 1646-1996 inc., 1996. 304 p.
Lepage, André. Le capitalisme marchand et la pêche à la morue en Gaspésie. La Charles Robin and Company dans la Baie des Chaleurs (1820-1870). Thèse de doctorat (anthropologie), Université Laval, 1983. xvi-438 p.
Richard, Jos.-Arthur. Cap-St-Ignace, 1672-1970. [Montmagny, Impr. « Les Éditions Marquis Ltée »], 1970. 467 p.
 
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