Thème :
Économie
Deux siècles de production céréalière
Jacques Saint-Pierre, historien, 13 octobre 2002
L’agriculture de la Côte-du-Sud repose sur la production céréalière jusqu’au milieu du XIXe siècle. Dans ce système où l’élevage est complémentaire à la grande culture, le blé est le fondement du niveau de vie de la population parce qu’il est à la fois l’aliment de base des familles et une source de revenus lorsque celles-ci disposent de surplus de production.
Le régime alimentaire des colons
Le pain constitue la base de l’alimentation des premiers colons. Alors qu’en France les paysans se contentent de farine de méteil ou de seigle, les habitants de la Nouvelle-France consomment uniquement du bon pain de froment. Ceux de la Côte-du-Sud ne font pas exception. C’est ainsi qu’on mentionne dans la première description que nous ayons d’une ferme de la région, soit le domaine seigneurial de Rivière-du-Sud, « deux pièces de bled français contenant quatre arpents (1,4 hectare) ou Environ ». Les premières semences de blé se font avant même que la terre n’ait été essouchée. Les rendements obtenus sur ces sols vierges sont impressionnants.
L’avoine, plante particulièrement bien adaptée aux sols du littoral de Kamouraska, est la seconde culture en importance après le blé. Cependant, les habitants des seigneuries de La Pocatière et de Rivière-Ouelle se contentent de cultiver du froment durant les premières années. C’est seulement au XVIIIe siècle que l’avoine connaît un essor dans cette partie de la région. Quant à la pomme de terre, elle commence à se répandre seulement à la fin du XVIIIe siècle. Les premiers colons de la Côte-du-Sud récoltent en moindre quantité de l’orge, du maïs, des pois, du tabac, du lin et du chanvre. Ils cultivent aussi quelques plantes potagères : des choux, des oignons et des navets.
L’âge d’or de la production du blé
Cette céréale, qui est transformée en farine dans les moulins banaux, constitue entre les deux tiers et les trois quarts de la récolte de grain. Certaines paroisses, dont les sols argileux sont bien adaptés à cette culture, en produisent au-delà de leurs besoins, comme celles qui sont situées le long de la rivière du Sud. En 1732, le seigneur Jean-Baptiste Couillard de Lespinay fait construire à l’entrée de la rivière un hangar pour entreposer le blé acquis par les marchands dans la région, preuve que le commerce de cette denrée prend de l’importance. À la fin du XVIIIe siècle, les surplus de froment de Saint-Pierre et de Saint-François sont expédiés vers le port de Québec par le Trou de Berthier, où est établi le marchand Louis Dunière. Ce dernier et son voisin Pierre Marcoux y possèdent en effet des quais et des hangars, d’où ils expédient vers l’Angleterre des cargaisons de farine et de biscuit. Le havre naturel de Berthier offre alors beaucoup plus d’avantages à la navigation que le bassin de la rivière du Sud. Par contre, il voit son rôle décliner quand Louis Dunière délaisse son entreprise commerciale. En 1818, les notables de Saint-Thomas réclament des améliorations au bassin en soutenant que le port deviendrait d’une grande utilité pour porter les produits du comté au marché de Québec. En fait, ils cherchent alors à consolider la vocation de métropole régionale de Saint-Thomas.
Les paroisses en aval de Saint-Roch-des-Aulnaies produisent aussi des quantités appréciables de blé. Là-bas cependant, les récoltes d’avoine sont plus abondantes que dans le reste de la région, ce qui permet une meilleure alimentation des troupeaux. Avec la présence de vastes étendues de prairies naturelles, c’est l’une des raisons qui expliquent le rendement supérieur des vaches. De même, les chevaux qu’on y élève sont recherchés au début du XIXe siècle en raison de leur grande robustesse. Dans cette partie de la région, c’est l’embouchure de la rivière Ouelle qui est le port le plus achalandé jusqu’à la fin du XIXe siècle. À marée haute, la profondeur de l’eau permet à des bâtiments jaugeant 60 tonneaux de remonter la rivière. Dès avant 1760, les commerçants locaux y brassent de grosses affaires. Pierre Florence, qui s’est occupé de commerce aux Antilles avant de passer au Canada, s’associe en 1758 avec le marchand Pierre Mailloux pour écouler le produit des pêches au marsouin des habitants de l’endroit. En 1761, comme procureur de la seigneuresse de Boishébert, il fait reconstruire le moulin. À sa mort en 1789, une grande partie du stock de son magasin est acquise par Pierre Casgrain. Ce dernier s’associe en 1798 avec James et John McCallum pour faire le commerce des denrées agricoles. Il s’engage à faire construire deux hangars à grain, l’un à Rivière-Ouelle et l’autre à Kamouraska et James McCallum en fera ériger un autre à Saint-Roch-des-Aulnaies.
Une succession de mauvaises récoltes
La production du blé connaît des ratés au début du XIXe siècle. En effet, les mauvaises récoltes se succèdent en raison des conditions météorologiques défavorables et des ravages, de 1835 à 1845, de la mouche hessoise, qui s’attaque au grain dans l’épi avant qu’il n’arrive à maturité. L’historien Fernand Ouellet attribue les difficultés des habitants à l’époque aux déficiences du système de culture traditionnel. Cependant le problème est beaucoup plus complexe. En effet, le déclin de la production du blé s’explique autant par la croissance des marchés locaux liée à l’augmentation de la population, qui incite les cultivateurs à réduire leur production de blé au profit de la pomme de terre et de l’avoine, que par les malheurs du temps.
La Côte-du-Sud est l’une des régions où la proportion de terres ensemencées en blé demeure la plus élevée dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1871, aucun comté n’atteint cependant les 20 %. Dans Montmagny et Kamouraska, cet attachement à la production frumentaire n’est probablement pas étranger à la fertilité naturelle des terres argileuses qu’on y retrouve en très forte concentration. Il témoigne de la persistance d’un usage alimentaire séculaire. Cependant, c’est l’élevage qui retiendra l’attention des cultivateurs avec la conversion à l’industrie laitière après 1880.
La culture du blé a connu des hauts et des bas depuis son adoption par les premiers colons au XVIIe siècle jusqu’à son abandon deux siècles plus tard. La plante est très exigeante pour le sol ; les premiers agronomes n’hésitent pas à dire qu’elle est responsable de l’épuisement des terres de la vallée du Saint-Laurent. En fait, ce sont les pratiques culturales qui sont en cause. Il faut reconnaître cependant qu’à cause de son climat, une région comme la Côte-du-Sud est mieux adaptée à l’élevage qu’à la grande culture.
Bibliographie :
Bréhaut-Ryerson, Stanley. « Dunière, Louis », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. V, Québec, PUL, 1983, p. 310-311.
Gagnon, Serge. « Casgrain, Pierre », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. VI, Québec, PUL, 1987, p. 136-137.
Letarte, Jacques. Atlas d’histoire économique et sociale du Québec, 1851-1901. Montréal, Fides, 1971. 13 p. et 44 folios.
Ouellet, Fernand. Histoire économique et sociale du Québec, 1760-1850. Montréal, Fides, 1966. xxxii-639 p.
Saint-Pierre, Jacques. « L’aménagement de l’espace rural en Nouvelle-France : les seigneuries de la Côte-du-Sud ». Dans Peuplement colonisateur aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Jacques Mathieu et Serge Courville, Université Laval, Centre d’études sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique du Nord, 1987, coll. « Cahiers du Célat » no 8, p. 35-201.