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Recul des glaciers et la préhistoire de la région
Thème : Territoire et ressources

Le recul des glaciers et la préhistoire de la région

Jacques Saint-Pierre, historien, 5 juin 2002


Le paysage actuel de la Côte-du-Sud a été façonné, dans ses grandes lignes, par l’abrasion des formations géologiques appalachiennes depuis leur émergence des fonds marins primitifs. Le relief régional porte aussi l’empreinte d’un phénomène géomorphologique logique beaucoup plus récent, soit la glaciation. On imagine mal que la région ait été complètement recouverte par un glacier, mais ce n’est là que l’épisode le plus récent d’une très longue histoire, qui est racontée par les spécialistes de l’étude de la terre.
 
La dernière avancée glaciaire
 
D’après les données géochimiques recueillies par les scientifiques dans l’Atlantique Nord, le territoire canadien a connu pas moins de onze grandes périodes glaciaires au cours des deux derniers millions d’années. Sur la Côte-du-Sud, il subsiste surtout des traces de la dernière de ces glaciations, celle du Wisconsin (du nom de la limite de son extension), qui a débuté il y a 75 000 ans pour atteindre son maximum il y a 20 000 ans. La glace recouvrait alors la majeure partie de l’Amérique du Nord.
 
L’hypothèse de la formation d’un petit glacier au sommet du Massif du Sud, dans le comté de Bellechasse, n’est pas exclue. Dans sa progression, le front glaciaire provenant du nord aurait englobé les glaciers locaux, qui seraient redevenus autonomes lors de son retrait. On estime à 3 000 mètres l’épaisseur de la glace qui recouvre le territoire canadien. Les pressions énormes exercées par la calotte glaciaire provoquent un enfoncement de la croûte terrestre. L’avancée de cette masse compacte a l’effet d’une gigantesque ponceuse. 
 
Sur la rive nord du fleuve, l’abrasion des roches cristallines du Bouclier laurentien fournit du sable mêlé de pierres, que les cultivateurs appellent « terre jaune ». Cependant, les formations de la Côte-du-Sud livrent une gamme plus étendue de matériaux, qui constituent aujourd’hui la plupart des sols cultivables de la région. La couche de sédiments, qui atteint un maximum de 60 mètres dans l’anse de Sainte-Anne, se forme durant la déglaciation qui s’amorce il y a 18 000 ans environ.
 
La déglaciation
 
Vers 13 000 ans avant aujourd’hui, la calotte glaciaire se scinde en deux à la hauteur de Saint-Antonin. Cette ouverture progresse vers le sud-ouest en longeant le piedmont des Appalaches, de Saint-Onésime jusqu’à Saint-Nérée dans le comté de Bellechasse. L’espace dégagé, encore fortement déprimé, est envahi par un bras de mer. La mer de Goldthwait recouvre entièrement les basses terres. Les géographes ne s’entendent pas sur le niveau atteint par les eaux, mais en se basant sur les travaux de Duncan sur Kamouraska et de Le Rouzes sur Bellechasse, on peut avancer le chiffre de 160 mètres. Lacombe a cru identifier près de Saint-Gervais, à 203 mètres d’altitude, un dépôt de vase accompagné d’une plage qui pourrait être, selon lui, une anse de mer postglaciaire. 
 
Au-delà de 200 mètres d’altitude, les sols de la région sont composés de matériaux grossiers charriés par le glacier ou encore de sable transporté par les cours d’eau dans les vallées. Les seuls dépôts d’argile ou de limon importants sont localisés au fond des lacs. En deçà de 160 mètres, les matériaux arrachés au sous-sol sont soumis au processus de sédimentation dans la mer de Goldthwait. Les sols argileux qui en sont issus forment les sols les plus fertiles de la Côte-du-Sud. À une certaine époque, ils contenaient beaucoup de blocs erratiques en surface, mais ces pierres ont été retirées progressivement par les cultivateurs, qui les ont enfouies plus profondément dans le sol ou encore transportées ailleurs. Il y a 50 ans, on pouvait encore voir des digues de roches au milieu des champs de la plaine.
 
Le relèvement des terres
 
Le géographe Jean-Claude Dionne, grand spécialiste de la géomorphologie de la Côte-du-Sud, a récemment démontré l’existence d’un bas niveau marin, entre 7 000 et 6 000 ans avant nos jours, suivi d’une transgression des eaux du Saint-Laurent. Le chercheur a en effet découvert, en différents sites du rivage (embouchure de la rivière Boyer, Montmagny, Cap-Saint-Ignace, Rivière-Ouelle), des souches et des troncs d’arbres fossilisés dans la zone intertidale actuelle. 
 
Ces vestiges témoignent de l’existence d’une forêt de conifères qui s’étendait à au moins 3,5 mètres plus bas que les plus hautes marées contemporaines. Comme les essences qui ont été retrouvées ne poussent pas dans ce secteur, cela signifie que le niveau du Saint-Laurent était autrefois inférieur d’au moins 5 mètres. Ce reliquat de forêt étant recouvert de sédiments fins, caractéristiques des dépôts intertidaux, Dionne en conclut que le niveau du fleuve s’est relevé de 8 à 10 mètres durant une période de 1 500 ans environ pour redescendre progressivement au rythme du relèvement isostatique commandé par un rajustement de la croûte terrestre.
 
Il y a 3 500 ans, le niveau de la mer de Goldthwait ne dépasse probablement guère le niveau actuel. Les cuvettes argileuses, derrière certaines crêtes rocheuses de la plaine, emprisonnent l’eau de mer et, avec le temps, se transforment en tourbières. Les plus importantes de la Côte-du-Sud se trouvent entre Saint-Michel et Beaumont et à Rivière-Ouelle. Ailleurs, le retrait de la mer de Goldthwait laisse, une succession de terrasses qui marquent des stades d’équilibre entre le relèvement du socle continental et le mouvement des eaux.
 
La glaciation wisconsinienne est un événement capital. À l’échelle régionale, l’envahissement du territoire par la mer de Goldthwait contribue à modeler le paysage. Après le retrait de cette mer postglaciaire, la Côte-du-Sud ne subit que des transformations superficielles. C’est à tout le moins le cas jusqu’à l’arrivée des premiers Européens.


Bibliographie :

Dionne, Jean-Claude. « L’émersion de la côte sud du Saint-Laurent depuis la dernière glaciation », Geos, vol. 17, no 1, hiver 1988, p. 18-21.
Duncan, Michel. La genèse géomorphologique de Kamouraska nord-ouest. Thèse de maîtrise (géographie), Université Laval, 1978. viii-140 p.
Hétu, Bernard. « Le Quaternaire du Bas-Saint-Laurent », dans L’Est du Québec : études géographiques. Université du Québec à Rimouski, Module de géographie, 1990, p. 21-35.
Lacombe, Jacques. Géomorphologie glaciaire de la partie centrale du comté de Bellechasse. Thèse de maîtrise (géographie), Université Laval, 1979. 168 p.
Le Rouzes, Guy. Géomorphologie de la région de Saint-Anselme - Saint-Gervais, province de Québec. Thèse de licence (géographie), Université Laval, 1971. 64 p.
 
 
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