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La grève des « Fros »
Thème : Économie

La révolte gronde au Nord : la grève des « Fros » de 1934

Marc Riopel, Ph.D. Histoire, À travers le temps enr., Hudson, 30 janvier 2004


Le développement minier de l’Abitibi-Témiscamingue commence au milieu des années 1920. En 1929, le contexte économique difficile force alors la plupart des compagnies minières de la région à interrompre leurs activités. Seule la Noranda Mines Company Ltd poursuit ses activités avec profit pendant cette période. Cela la place dans une situation de force pour imposer ses conditions aux travailleurs, qui vivent par ailleurs dans la crainte de perdre leur emploi à tout moment au profit des 500 à 600 chômeurs attirés à Rouyn et Noranda par les possibilités d’emploi. C’est dans ce contexte que le syndicat d’allégeance communiste, le Workers’s Union, s’implante chez les travailleurs de la Noranda Mines. Il rejoint principalement les mineurs de fond, en majorité des immigrants européens dont plusieurs ne possèdent pas la nationalité canadienne. Ces immigrants, appelés Fros dans les régions minières, comptent pour plus de 50 % des effectifs de la Noranda. Une partie d’entre eux déclencheront une grève, en juin 1934.
 
En 1930, les salaires des travailleurs miniers se situent à 60 ¢ de l’heure pour un mineur, à 53 ¢ pour un apprenti mineur et à 43 ¢ pour un travailleur de surface. Un an plus tard, ils baissent tous de 3 ¢ l’heure. La semaine de travail s’étire sur six jours, à raison de 8 heures par jour. Les travailleurs doivent régulièrement faire des heures supplémentaires non rémunérées. Le quart de travail de huit heures représente, en réalité, neuf à dix heures sous terre en comptant le temps de transport pour monter et descendre dans l’unique cage de la mine. Les conditions de travail sont pénibles et la ventilation est inadéquate dans les souterrains. Selon certains, les mineurs de Noranda ne peuvent travailler plus de cinq ans sous terre à cause du niveau élevé de poussières de silice dans les puits de mine causant de graves maladies pulmonaires. À la surface, la compagnie n’offre pas de vestiaires appropriés à ses mineurs. 
 
Tous ces éléments sont sources de mécontentement chez les travailleurs. Le 10 juin 1934, les dirigeants syndicaux tiennent une assemblée publique à Rouyn et discutent des propositions à soumettre à la direction de la Mine Noranda. En cas de refus de ses propositions, le syndicat propose de déclencher la grève. Il regroupe alors 500 des quelque 1 300 travailleurs de la Noranda Mines. Comme prévu, le 11 juin, les dirigeants syndicaux déposent leurs demandes qui se formulent ainsi : « observance de la journée de 8 heures sous terre, reconnaissance du comité ouvrier de la mine et du droit d'adhésion à un syndicat, amélioration de la ventilation et des vestiaires, réembauchage des militants syndicaux congédiés. Les ouvriers demandent aussi une augmentation générale des salaires de 10 % et la rémunération du surtemps à taux et demi» (B.-B. Gourd, Mines et syndicats, p. 76-77). 
 
Toutefois, le gérant de la mine, H.L. Roscoe, refuse catégoriquement de négocier avec la délégation syndicale. Il leur aurait même affirmé qu’il ne voulait entretenir aucun lien avec le Mine Workers’s Union, formé de communistes. Si vous n’êtes pas contents, aurait-il poursuivi, vous n’avez qu’à déclencher la grève! Dans la soirée du 11 juin, les dirigeants syndicaux tiennent une autre assemblée publique à Rouyn et ils obtiennent un vote de grève. Le 12 juin 1934, quelque 300 ouvriers-mineurs, dont la grande majorité sont des immigrants, montent un piquet de grève devant la mine Noranda et espèrent que leurs camarades vont emboîter le pas. Malheureusement pour eux, la majorité des employés décide d’entrer au travail. 
 
On a alors baptisé cette grève du nom de la grève des Fros. Mais, était-elle en réalité uniquement une grève d’immigrants et est-ce que tous les immigrants ont fait la grève? Une recherche récente fournit des réponses intéressantes à ces questions. En fait, 90 % des 300 grévistes sont d’origine ethnique étrangère. Les autres sont principalement des Canadiens anglais et très peu de Canadiens français. Il n’y a, par ailleurs, aucun Anglo-Américain parmi eux. Cela confirme le fait que l’organisation syndicale se faisait clandestinement et qu’elle n’ait pas intégré les Canadiens dans sa démarche. Par ailleurs, ce ne sont pas tous les immigrants qui ont fait la grève puisque plus de 40 % des employés d’origine étrangère sont rentrés au travail comme leurs confrères Canadiens et Américains. Cette scission parmi les travailleurs immigrants explique la victoire de la compagnie Noranda. Pendant et après la grève, la Noranda Mines embauche principalement des Canadiens. Ainsi, après 1934, ils forment, avec les Anglo-Américains, 70 % des travailleurs embauchés. 
 
Un contemporain résume bien le contexte de l’époque :  « J'étais sans ouvrage. […] Il restait la mine Noranda qui, durant l’été, avait subi un « walkout » (grève illégale) et la compagnie comme représailles avait choisi de changer son personnel. Au mois de juin, avec un groupe de copains, nous avions visité cette grève et nous eûmes l’impression que cet incident était arrivé comme une planche de salut pour les bûcherons de métier qui se ruaient vers la mine par pleins camions. J’ai encore dans les oreilles les cris des autorités de la mine «  come on, Frenchies » et les « Frenchies » allaient avec fierté et ignorance couper le cou de d’autres « travailleurs » comme eux qui cherchaient à obtenir des conditions de travail raisonnables. Ces grévistes ne demandaient pas de luxe, croyez-moi. Jusqu’à date, les « émigrés » avaient eu préférence à la Noranda parce qu’ils étaient plus flexibles devant « Monsieur le Boss ». [R. Jodouin, En-D’ssour, p. 102]. 
 
En conclusion, soulignons le dénouement et les conséquences de cette grève ratée. « La réaction de la Noranda est immédiate et implacable : embauche de briseurs de grève parmi les chômeurs de la ville, arrestation des militants et dirigeants du syndicat, brutalité policière, congédiement massif des travailleurs étrangers. Tout l’arsenal répressif est utilisé en même temps. La compagnie ne cède sur aucune demande. Elle casse la grève en dix jours. La Noranda réussit à désorganiser complètement le Mine Workers’ Union en Abitibi-Témiscamingue. Les dirigeants locaux sont traînés devant les tribunaux et les militants sont expulsés du district minier. Le syndicat tente de se réorganiser en 1935 et 1936. La répression immédiate de la Noranda fait toutefois échouer ces nouvelles tentatives. » (B.-B. Gourd, Mines et syndicats, p. 77).
 
 
Bibliographie :

Gaudreau, Guy. L’histoire des mineurs du nord ontarien et québécois. Sillery, Septentrion, 2003. 296 p., Cahiers des Amériques 4. 
Glenday, Dan. « Thirty years of labour relations in the mining industry in Rouyn-Noranda, Québec, 1934-1964 », dans De l’Abbittibbi – Témiskaming 5. Rouyn, Collège du Nord-Ouest, 1979, p. 77-119. Les Cahiers du département d’histoire et de géographie, no 5. 
Gourd, Benoît-Beaudry. Mines et syndicats en Abitibi-Témiscamingue, 1910-1950. Rouyn, Collège de l'Abitibi-Témiscamingue, 1981. 141 p., Cahiers du département d’histoire et de géographie, travaux de recherche no 2. 
Jodouin, Rémi. En-D’ssour. Ville Saint-Laurent, Éditions Québécoises, 1973. 207 p.
 
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