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Pinèdes de la Côte-du-Sud
Thème : Territoire et ressources

Les pinèdes de la Côte-du-Sud

Jacques Saint-Pierre, historien, 8 août 2002


La forêt sudcôtoise ne comporte presque plus de pin, un bois qui sert à plusieurs usages. Il est probable que les arbres qui poussaient dans les limites des seigneuries ont été utilisées dans la construction des maisons et la fabrication des meubles des premiers habitants. Bien que le pin vienne surtout dans les régions plus méridionales, il est l’objet d’une exploitation permanente sur la Côte-du-Sud depuis les débuts de l’occupation du territoire jusqu’à sa quasi disparition au cours du 19e siècle. Les pins de la région servent d’abord à la fabrication du goudron, puis seront transformés en bois d’œuvre pour le marché domestique et pour l’exportation. 
 
La fabrique de goudron de la Grande Anse
 
Après un premier essai sous l’administration de l’intendant Talon, la fabrication du goudron, qui sert notamment à imperméabiliser la coque des navires, est relancée en 1705 à Baie-Saint-Paul. Le goudron est obtenu par la combustion dans des fourneaux de racines de pin empilées en forme de cônes renversés. Au fur et à mesure qu’elles se consument, le liquide provenant de la distillation des racines s’écoule à travers un grillage dans un tuyau jusqu’aux barils dans lesquels est recueilli le produit fini. Jusqu’en 1730, la fabrication du goudron est confiée à un détachement de soldats des troupes de la Marine. 
 
Située à peu près à la même latitude que Baie-Saint-Paul, la Grande Anse apparaît comme un secteur favorable à la croissance du pin. En 1729, c’est là que le détachement de 28 soldats se rend pour fabriquer du goudron. Cependant, l’augmentation des coûts de production convainc l’intendant de faire appel plutôt à des particuliers. En 1730, il s’entend avec Robert Lévesque, de Sainte-Anne, qui s’engage à produire une certaine quantité de goudron à un prix déterminé à l’avance. Ce dernier fabrique du goudron durant deux saisons. En 1732, l’intendant réussit à intéresser à l’entreprise un second habitant de Sainte-Anne, Gabriel Bouchard, et un autre de Kamouraska, Gabriel Paradis. Les deux hommes s’associent avec le goudronnier Pierre Denis dit Quimper. À la suite de la mort de Bouchard et d’une mésentente avec Paradis, le fabricant s’associe en 1734 à Jean-Baptiste Maisonneuve et au sieur de La Durantaye à Kamouraska.
 
La fabrication du goudron se poursuit sur la Côte-du-Sud (à Rivière-Ouelle et à Kamouraska) jusqu’à la Conquête. En 1754, Nicolas Gaspard Boucault écrit cependant que l’entreprise est assez négligée depuis quelques années. Il n’est plus question de fabrication de goudron par la suite. 
 
L’exploitation commerciale au 19e siècle
 
Au début du 19e siècle, l’exploitation forestière devient une activité économique majeure pour le Bas-Canada. La demande sur le marché britannique provoque un véritable assaut de la forêt québécoise. Le pin est alors l’essence la plus recherchée par les commerçants. Le bois équarri, qui provient surtout de l’ouest de la province, est destiné à la construction navale. Les pinèdes de la Côte-du-Sud ne peuvent répondre à cette demande de billots de très grandes dimensions. Cependant la région est en mesure de fournir du bois d’œuvre de très bonne qualité. Ainsi, les goélettes de Kamouraska ne transportent pas à Québec seulement des denrées agricoles, mais aussi des planches de pin. D’après la Description topographique de Joseph Bouchette, publiée en 1815, les pinèdes des basses terres de la région sont concentrées à l’est de Saint-Thomas. 
 
Après 1825, l’exploitation s’étend au plateau appalachien. Les réserves de pin sont cependant très vite épuisées par les entrepreneurs qui obtiennent des concessions forestières sur les terres de la Couronne. C’est du moins ce qui se dégage des rapports des arpenteurs qui explorent les cantons dans la seconde moitié du siècle. C’est ainsi que l’arpenteur du canton Ashford situé en arrière de Saint-Roch-des-Aulnaies explique en 1873 : « Les chantiers qui sont en grande activité dans cette localité, sont une des causes qui ont fait disparaître le plus beau bois; il y avait beaucoup de pins et il en reste encore, mais d’une qualité très médiocre. » Après avoir exploré les cantons Lessard et Beaubien, en haut de L’Islet, un autre arpenteur écrit en 1883: « Le bois de commerce a été détruit par les chantiers et les feux et ne mérite plus mention. »
 
Il s’agit en fait des deux plus importantes zones de coupe de la région à l’époque. La première approvisionne la grande scierie de Saint-Pacôme établi par Charles King en 1862, alors que la seconde alimente les trois moulins de Léandre Méthot à Cap-Saint-Ignace. Au recensement de 1861, ce dernier a seulement 1 000 billots de pin contre 57 000 billots d’épinette dans sa cour. King transforme probablement davantage de billots de pin en madriers, mais la proportion ne doit pas être très différente. En effet, les statistiques officielles indiquent que les billots de pin expédiés de la Côte-du-Sud représentent une fraction de 1 % de la production québécoise dans le dernier tiers du 19e siècle. Déjà à cette époque, la Côte-du-Sud produit surtout de l’épinette. Mais il serait intéressant d’avoir des statistiques régionales pour la période antérieure à 1850.
 
Après avoir rappelé les activités de Charles King à Saint-Pacôme, l’abbé Alphonse Casgrain écrit en 1913 : « il y en avait donc encore de ce beau pin jaune dans la seigneurie de la Rivière Ouelle. Aujourd’hui, on ne coupe plus de pin, il n’y en a plus, mais on coupe tout, en dépit des lois du pays ». 
 
 
Bibliographie :

Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
Description des cantons arpentés et des territoires explorés de la province de Québec extraits des rapports officiels d’arpentages qui se trouvent au département des terres ainsi que de ceux de la commission géologique du Canada et autres sources officielles. Québec, Imprimeur de la Reine, 1889. lxxii-955 p.
Lunn, Alice Jean E. Développement économique de la Nouvelle-France 1713-1760. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1986. xiv-348 p.
Richard, Jos.-Arthur. Cap-Saint-Ignace, 1672-1970. [Montmagny, Impr. Les Éditions Marquis Ltée], 1970. 467 p.
 
 
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