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Les disettes au 18e siècle
Thème : Société et institutions

Les disettes au 18e siècle

Jacques Saint-Pierre, historien, 11 juillet 2002


La Côte-du-Sud, comme toute la partie orientale de la province, est beaucoup plus vulnérable aux accidents climatiques que le sud-ouest de la province en raison de la brièveté de la saison de végétation (130 jours, à La Pocatière, contre 145 autour de Montréal). Un mémoire daté de 1765 mentionne à ce propos, non sans quelque exagération : « la difference qu’il y a du climat d’une ville à l’autre est telle, que dans les environs de Québec à peine voit-on dans quatre ans une bonne récolte, et le contraire arrive dans la partie de Montréal ». En réalité, durant tout le régime français sauf durant la période de la Conquête, où l’activité économique de la colonie est perturbée par les opérations militaires, seules les mauvaises récoltes de 1736-1737 et 1743 provoquent des disettes dans la colonie. La Côte-du-Sud est surtout affectée par celle de 1737. 
 
Une année de misère 
 
La disette de 1736 est provoquée par la sécheresse et la gelée. Les provisions accumulées à la faveur d’une récolte abondante l’année précédente en atténuent les effets. Mais la pénurie est réelle dans les villes et les autorités prennent des mesures pour aider la population à traverser la crise. Les craintes d’une famine s’amplifient durant l’été de 1737 à mesure que les rapports sur la nouvelle récolte provenant des gouvernements de Montréal et de Trois-Rivières laissent entrevoir une autre année difficile. L’intendant Hocquart donne des ordres pour faire battre le blé nouveau, alors que les habitants ont l’habitude de ne consommer la nouvelle récolte qu’au début de l’hiver. Il compte sur une moisson plus abondante dans le gouvernement de Québec, mais la maigre récolte sur l’île d’Orléans et la côte de Beaupré lui confirme que la situation de la colonie est critique. À défaut de pain, la population en est réduite à vivre des produits de la chasse, de légumes et de laitages.
 
D’après les rapports officiels, la Côte-du-Sud est la région la plus sévèrement touchée par le manque de blé. Au printemps 1738, Hocquart écrit au ministre : « Je ne puis vous exprimer monseigneur, la misere causée par la disette qui se fait sentir dans toutes les campagnes. Le plus grand nombre des habitans, particulierement ceux de la Coste du Sud manquent de pain depuis longtemps et une grande partie ont erré pendant tout l’hyver dans les Costes du Nord qui ont esté moins maltraitées pour y recüeillir des aumones et quelque peu de bled pour semer. D’autres ont vêcu, et vivent encore d’un peu d’avoine de bled d’inde et de poisson. Les villes ont esté remplies tout l’hyver de ces coureurs miserables qui venoient y chercher quelques secours de pain ou d’argent. »
 
L’intendant avait été forcé d’avancer aux habitants environ 2 000 minots de blé et de pois de ceux mis en réserve pour le service du roi. Les officiers de milice étaient responsables de la distribution des secours. Ils avaient également été chargés de « vuider d’authorité les greniers de quelques habitants aussi avares qu’aisez ». L’état de la distribution des grains de semence provenant des magasins du roi indique que trois paroisses de la Côte-du-Sud en ont bénéficié. Ce sont : Rivière-du-Sud, Saint-Michel et Cap-Saint-Ignace. Elles reçoivent environ les deux tiers de l’aide. Dans son rapport au ministre, en 1740, Hocquart signale que tous les grains de semence avaient été rendus à l’exception de ceux avancés aux plus pauvres. Il explique : « je presume que plusieurs consommerent alors le peu de blé que je leur fis donner pour eviter la faim ». Les habitants de Saint-Michel comptent parmi ces démunis qui n’ont pu s’acquitter de leur dette envers le roi.
 
Cette disette de 1737 est provoquée par un accident climatique. L’hiver de 1736-1737 est l’un des plus rigoureux qu’on ait vu dans le pays, au dire du commissaire général Michel. Celui-ci rapporte, le 10 mai 1737, que la colonie a été ensevelie durant six mois sous huit pieds (plus de deux mètres) de neige, soit deux fois plus que la normale. En conséquence, les semences sont retardées et les récoltes ne peuvent débuter qu’à la mi-septembre dans le gouvernement de Québec, alors qu’elles se font habituellement à partir de la mi-août.
 
Le fléau des chenilles
 
Une autre calamité s’abat sur la Nouvelle-France à l’été de 1743. Le 2 juillet, des habitants de la Prairie-de-la-Madeleine, seigneurie située en face de Montréal, rapportent au gouverneur et à l’intendant qu’une quantité prodigieuse de chenilles « tombées a ce qu’ils prentendoient du ciel » dévastent leurs champs. La nuée d’insectes se répand ensuite le long des rives du fleuve pour atteindre la rivière Chaudière à la mi-juillet. Les rapports alarmistes reçus par l’intendant font craindre le pire. Cependant, au mois de septembre, celui-ci peut rapporter au ministre que la récolte sera supérieure à celle de l’année précédente. Cependant la récolte du gouvernement de Québec s’avère décevante et l’euphorie fait place à l’appréhension en octobre. C’est vers la Côte-du-Sud que l’intendant se tourne alors pour l’achat de blé et de farine pour la subsistance des troupes et de la ville. 
 
Par une ordonnance datée du 11 octobre 1743, l’intendant demande au grand voyer Eustache Lanouillier de Boisclerc « conjointement avec les Capitaines et officiers de milice des costes de proceder incessamment a l’etat de repartition de ce que chacun des habitants aisés pouront fournir de bled et qu’ils auront au-dela de ce qu’il leur en faut pour leur subsistance d’icy au premier juillet prochain et pour leurs semences au prorata de ce qu’ils ont de guerets propres a Ensemencer ». Cette ordonnance est notifiée aux habitants de toutes les paroisses comprises entre Rivière-Ouelle et Beaumont. Si on se fie aux termes de l’ordre de réquisition de blé aux habitants de Saint-Michel, c’est un problème de transport – les vents contraires ont empêché les barques de remonter le fleuve de Montréal à Québec – qui oblige l’intendant à solliciter les habitants de la Côte-du-Sud.
 
L’étude d’Isabelle Bouvier sur les conséquences démographiques des disettes de 1736 et 1737 sur la Côte-du-Sud démontre un impact négligeable sur la mortalité et la natalité. La nuptialité est cependant affectée par le report des mariages des jeunes couples provenant de familles de condition modeste. En ce qui concerne la disette de 1743, elle touche peu la Côte-du-Sud, qui est d’ailleurs mise à contribution pour regarnir les magasins du roi. 


Bibliographie :

Bouvier, Isabelle. Disettes et démographie : le cas de la Côte-du-Sud (Canada) en 1736-1738. Mémoire de maîtrise (histoire), Rennes, Université Rennes 2-Haute Bretagne, 1999. 126 p. 
Dechêne, Louise. Le partage des subsistances au Canada sous le régime français. Montréal, Boréal, 1994. 283 p.
 
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