Thème :
Société et institutions
La disette de 1816
Jacques Saint-Pierre, historien, 21 avril 2002
Dans la première moitié du XIXe siècle, les mauvaises récoltes se multiplient au Bas-Canada. Elles affectent cruellement la population de la Côte-du-Sud. La Chambre d’Assemblée est appelée à intervenir à plusieurs reprises pour soulager les habitants en détresse par le prêt de grains de semence. La charité privée, qui avait été le principal recours des pauvres, ne suffit plus à soulager la misère qui sévit dans les campagnes. La lente dégradation du climat qu’on constate à compter de la fin du XVIIIe siècle et qui se traduit par des étés plus courts et des hivers plus rigoureux, touche d’une manière particulière les paroisses de l’est de la province.
Le « renversement des saisons »
Dans les annales météorologiques de l’Occident, l’année 1816 est tristement célèbre. En effet, une vague de froid d’une intensité peu commune déferle alors sur l’hémisphère nord, ruinant les récoltes en Europe et en Amérique du Nord. L’éruption, en avril 1815, du volcan Tambora en Indonésie serait à l’origine de ce phénomène météorologique. Elle est considérée comme la plus importante des derniers 10 000 ans. Projetés dans la stratosphère, soit à plus de 20 km de hauteur, la poussière, la cendre et les gaz diminuent le rayonnement solaire, en provoquant du même coup un refroidissement marqué des températures dans la zone tempérée pour plusieurs années. Les effets néfastes de l’éruption volcanique commencent peut-être à se faire sentir dès le mois d’août 1815, car les récoltes sont compromises par les gelées dans certaines parties de la province. C’est cependant en 1816, qui est connue comme « l’année sans été », qu’ils sont les plus dévastateurs.
Le territoire québécois connaît alors une chute dramatique des températures. À Québec même, on signale une très forte tempête de neige au début de juin, qui laisse les calèches embourbées jusqu’aux essieux. Au même moment, dans la Beauce, les habitants déconcertés sont doivent remonter les poêles qu’ils avaient remisés pour la belle saison et ressortir les traînes à bois de chauffage. En fait, on rapporte des gelées pendant tous les mois de l’année 1816. Celles de la fin d’août compromettent définitivement une récolte qui s’annonçait déjà mauvaise. Dans une région comme la Côte-du-Sud, où la saison de végétation est déjà très brève, le froid estival a des conséquences encore plus tragiques. Si l’on en juge par le volume des provisions avancées aux familles dans le besoin, ce sont les paroisses situées à l’est de Sainte-Anne ainsi que celle de Saint-Gervais, la seule à l’époque à être située dans l’arrière-pays appalachien, qui sont les plus affectées par la mauvaise récolte.
Les habitants de Rivière-Ouelle se plaignent d’avoir perdu leurs moissons par « l’inconstance des tems et le renversement des Saisons ». L’expression traduit bien l’angoisse qui doit alors s’emparer de la population.
La Côte-du-Sud, une région sinistrée
À Saint-Jean-Port-Joli, les cultivateurs qui parviennent à obtenir une récolte malgré les aléas de la température mesurent l’ampleur du désastre au moment de battre les grains, qui sont de très mauvaise qualité en raison des gelées. Comme le blé de la nouvelle récolte commence à être consommé habituellement durant l’hiver, cela laisse cependant du temps aux autorités de la colonie pour organiser les secours. Il s’agit d’abord d’évaluer les besoins.
Dans une pétition qu’ils soumettent au gouverneur du Bas-Canada par l’intermédiaire de leur député, les paroissiens de L’Islet résument assez bien la situation. Ils expliquent :
1. Que cette présente année Mil huit cent seize, les plus riches propriétaires de notre Paroisse ayant été malheureusement affligés par les gelées qui ont eu lieu dans le cours de cet Eté dernier ont perdu la plus grande partie de leurs grains et légumes, et en conséquence se trouvent hors d’état de pouvoir les assister en la manière accoutumée.
2. Que le peu de jardinage qu’ils ont fait cette année et qui étoit leur seul ressource a subi le même sort.
3. Qu’ayant offert leurs services et les offrant tous les jours aux personnes qui ont coutume de les employer, elles les refusent par le manque d’argent et provisions, étant positivement les réponses qu’ils reçoivent tous les jours de ceux à qui ils s’adressent.
4. Qu’ils se trouvent dans un tel état de misère et de détresse, qu’il leur est impossible de subsister et de faire subsister leurs familles dans le cours de cette année…
Dans la paroisse voisine de Saint-Jean-Port-Joli, la population en détresse atteint le nombre de 200 personnes. À Rivière-Ouelle, c’est la « presque totalité des habitans » qui se trouvent sans ressource. À Saint-André, à l’extrémité orientale de la région, le tiers de la population manque de pain pour subsister jusqu’à la prochaine récolte. Les plus petits cultivateurs sont forcément les plus démunis face à la disette. Dans le cas de Saint-André, ceux qui manquent de pain sont également incapables de rembourser les grains de semence pour la prochaine récolte. Ils n’ont que 8 arpents en culture en moyenne, alors que ceux qui peuvent se contenter d’une avance de grains de semence possèdent 30 arpents en culture en moyenne. Mais les plus vulnérables sont ceux qui ne possèdent pas de terre, journaliers embauchés par les cultivateurs plus prospères à certaines époques de l’année et mendiants.
Les secours aux paroisses en détresse
Les commissaires nommés pour le secours des paroisses du district de Québec entreprennent la distribution des provisions achetées de divers particuliers ou marchands en novembre 1816. Dans la liste des fournisseurs, on retrouve les noms de quelques résidents de la Côte-du-Sud : François Baby, de Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, les frères David et Robert Harrower, de Saint-Jean-Port-Joli, qui vendent du blé et de la farine, et aux sieurs Casgrain, de la Rivière-Ouelle, et Taché, de Kamouraska, qui avancent, le premier des patates et l’autre des harengs. D’autres marchands, de Québec et d’ailleurs, fournissent diverses denrées au gouvernement. Monseigneur Bernard-Claude Panet, alors curé de Rivière-Ouelle et évêque coadjuteur, écrit à son supérieur le 5 avril 1817 qu’il est bien occupé par la distribution des grains de semence et des provisions à ses paroissiens pauvres. Heureusement la nouvelle récolte sera meilleure.
Les bénéficiaires des secours du gouvernement sont tenus de rembourser, soit en argent, soit en participant à des corvées de travaux publics (construction de ponts, réparation de chemins) les avances qui leur sont consenties. C’est ainsi que ceux de Saint-Gervais doivent aplanir les côtes, alors que ceux de Saint-Jean-Port-Joli doivent aménager une route entre les seigneuries de Port-Joly et de L’Islet. Plusieurs habitants ne peuvent cependant honorer leurs obligations. En 1820, aucun des habitants de Saint-Gervais n’a encore remboursé le gouvernement. Il est probable qu’un certain nombre de propriétaires perdent une partie de leurs biens.
D’autres disettes affectent la région par la suite. Celle de 1834 est très vivement ressentie dans l’est de la province. L’année suivante, c’est la mouche à blé qui s’attaque aux récoltes. Aucun de ces fléaux n’aura cependant l’importance de la perte de la récolte de 1816 provoquée par le refroidissement de la température consécutif à l’éruption du volcan Tambora.
Bibliographie :
Bas-Canada, Législature, Chambre d’Assemblée. Journal de la Chambre d’assemblée de la province du Bas-Canada. Québec, John Neilson, vol. 26, 1817, appendice B, et 1818, vol. 27, appendice M et N.
Massicotte, Edmond-Zotique. « Variations hivernales », Bulletin des recherches historiques, vol. 18, no 1, janvier 1937, p. 18-22.
Provencher, Jean. C’était l’été : la vie rurale traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent. Montréal, Boréal Express, 1982. 248 p.