Thème :
Territoire et ressources
Le couvert forestier primitif
Jacques Saint-Pierre, historien, 5 juin 2002
La Côte-du-Sud n’a été visitée par aucun des explorateurs et des voyageurs qui ont laissé des descriptions de paysages de la colonie. Les journaux de bord des explorateurs qui remontaient le Saint-Laurent ne sont pas plus utiles, étant donné qu’à l’époque, les vaisseaux empruntaient le chenal nord. À 100 ans d’intervalle, soit en 1715 et en 1815, l’ingénieur français Gédéon de Catalogne et l’arpenteur Joseph Bouchette ont cependant parcouru l’ensemble des seigneuries canadiennes en consignant pour chacune d’entre elles la configuration des lieux, la qualité du terroir et en donnant à l’occasion quelques indications sur le couvert forestier subsistant. C’est à partir de ces deux textes fondamentaux qu’il est possible de tenter une reconstitution de la forêt primitive régionale en utilisant la toponymie et certains rapports d’arpentage des cantons au 19e siècle comme sources complémentaires.
Les îles du Saint-Laurent
À l’origine, les deux principales îles de la Côte-du-Sud, soit l’île aux Grues et l’île aux Oies, devaient être peuplées d’un mélange de feuillus et de conifères. Ces îles jouissent d’un micro-climat qui aurait favorisé la croissance d’essences comme le chêne et le pin, mais également le tilleul et l’ostryer. En 1712, Gédéon de Catalogne avait d’ailleurs été fort impressionné par la taille des arbres à cet endroit.
Les deux îles sont séparées par une immense prairie naturelle formée de sédiments littoraux récents qui ont une faible valeur pour la culture à cause de leur excès d’humidité. Le foin de grève, appelé « rouche » par les insulaires, constitue depuis longtemps la principale ressource de ces îles. Au début du 19e siècle, Joseph Bouchette considérait que les battures pouvaient nourrir 3 000 têtes de bétail. C’est aussi là que les oies blanches s’arrêtent pour se reposer et brouter les rhizomes de scirpe.
La plaine côtière
Formées d’alluvions récentes, les terres situées en bordure du fleuve supportaient à l’origine une végétation mixte de conifères et de frênes. Dans l’anse de Cap-Saint-Ignace, la présence de cette dernière essence est attestée par le toponyme « Lafrenaye » qui désigne l’un des fiefs concédés à cet endroit. Au niveau de la vaste plaine baignée par la rivière du Sud, on trouvait vraisemblablement une association de chênes blancs, d’érables rouges et d’ormes parsemée de conifères tolérant bien l’humidité du sol, comme les sapins, les cèdres et les pins blancs.
Le littoral de Kamouraska est composé des mêmes sols qu’en amont. Seuls ceux localisés en bordure du fleuve, depuis l’anse de Sainte-Anne jusqu’à Notre-Dame-du-Portage, présentent des particularités à cause de leur niveau qui dépasse à peine celui des plus hautes marées. Le botaniste Aubert Hamel a émis l’hypothèse que les sols de la série de l’Anse n’avaient pas eu le temps d’être envahis par la forêt. En fait, les données historiques tendent plutôt à démontrer que ces terres auraient été recouvertes de conifères et d’aulnes. Cela expliquerait l’origine du nom de « Saint-Roch-des-Aulnaies ». La flore littorale se distingue également par la présence d’une variété de spartine, communément appelée « herbe salée », résistante à l’eau de mer.
Dans les profondeurs de la seigneurie de la Grande Anse, Gédéon de Catalogne observait la présence de « toutes sortes de bois, [mais] plus de gommeux que d’autres ». Les seigneuries en amont étaient plutôt recouvertes de « bois melangez ». La forêt de Kamouraska avait donc un caractère nettement plus boréal que celle de Montmagny et L’Islet.
Le piedmont
Le piedmont des Appalaches et son prolongement en bordure du Saint-Laurent, qui est le plus souvent confondu avec la plaine côtière de Bellechasse, constituent véritablement le domaine de la forêt. Dans les anciennes seigneuries de Montapeine, Beaumont et La Durantaye, situées près de Québec, cette forêt composée d’érables, de hêtres et de bouleaux jaunes alimentait les résidents de la ville en bois de chauffage. On y fabriquait également du sucre d’érable. Mais les concessions des premiers rangs ont été dépouillées assez vite de leur couvert forestier. Au 19e siècle, les terres à bois se concentraient surtout dans les profondeurs des seigneuries.
Le plateau appalachien
Les températures sur le plateau sont inférieures à celles de la plaine et les précipitations y sont plus abondantes. Vallonné, le terrain est formé de sols très minces et habituellement pierreux. Là où ils sont bien drainés, ils sont favorables à l’établissement de l’érablière. Par contre, dans les secteurs où le drainage est mauvais, comme les cantons du bassin versant du Saint-Laurent dans le comté de Kamouraska, on trouve plutôt une forêt à caractère boréal (épinette blanche, épinette noire, sapin, mélèze, bouleau jaune, cèdre). C’est du moins le couvert forestier qu’on peut observer aujourd’hui. Mais qu’en était-il au 19e siècle, au moment où l’on a entrepris la mise en valeur de cette partie de la région?
À en juger par les commentaires de l’arpenteur Bouchette, la végétation primitive comportait une quantité appréciable de pins. Les profondeurs des seigneuries et les cantons adjacents, qui sont décrits dans l’édition de 1832 de son Dictionnaire topographique, en contenaient encore beaucoup, notamment dans le secteur arrosé par la rivière Ouelle. Cependant, dès le milieu du siècle, les plus beaux spécimens de cette essence forestière très recherchée avaient été coupés. Dans le canton Ashford, par exemple, un arpenteur écrivait en 1864 : « Il y avait beaucoup de pins; mais depuis bon nombre d’années on les a détruits, enlevés ou gaspillés annuellement, de sorte qu’il en reste bien peu à présent ». Le cèdre et, surtout, l’épinette ont aussi été l’objet d’un commerce très important. Enfin, dans certains cantons de Bellechasse, plusieurs colons se sont livré à l’exploitation des érablières.
Même si la forêt primitive de l’arrière-pays sudcôtois était peuplée des mêmes essences que de nos jours, à l’exception du pin, la proportion de chacune a été modifiée sensiblement. Par contre, il serait très difficile de mesurer l’ampleur de ces transformations. En ce qui concerne la plaine côtière, on n’y observe plus que des lambeaux du couvert forestier original. La forêt est un écosystème qui évolue sous l’effet de plusieurs facteurs. L’intervention humaine est le plus facile à déceler, mais pour avoir un portrait exact, il faudrait pouvoir tenir compte aussi des fluctuations climatiques et des perturbations naturelles (incendies, insectes, etc.)
Bibliographie :
Description des cantons arpentés et des territoires explorés de la province de Québec extraits des rapports officiels d’arpentages qui se trouvent au département des terres ainsi que de ceux de la commission géologique du Canada et autres sources officielles. Québec, Imprimeur de la Reine, 1889. lxxii-955 p.
Saint-Pierre, Jacques. « L’aménagement de l’espace rural en Nouvelle-France : les seigneuries de la Côte-du-Sud ». Dans Peuplement colonisateur aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Jacques Mathieu et Serge Courville, Québec, Centre d’étude sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique du Nord, 1987, p. 35-201.