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Vent du nordet et couchers de soleil
Thème : Territoire et ressources

Vent du nordet et couchers de soleil

Jacques Saint-Pierre, historien, 15 juillet 2002


La Côte-du-Sud est renommée pour deux phénomènes naturels : ses flamboyants couchers de soleil et son redoutable vent du nordet. Cela tient à son orientation particulière par rapport au fleuve Saint-Laurent et à la chaîne de montagnes des Laurentides. En effet, la Côte-du-Sud est livrée périodiquement aux vents glaciaux de l’Arctique, qui s’engouffrent dans le corridor du Saint-Laurent. En contrepartie, la largeur de l’estuaire offre aux riverains, particulièrement en été, un spectacle grandiose à la tombée du jour, alors que l’astre solaire se glisse doucement derrière les montagnes en laissant derrière lui une traînée de lumière sur les eaux alors calmes du fleuve.
 
Une région venteuse
 
La Côte-du-Sud est balayée par des vents continuels, qui soufflent avec plus d’intensité durant l’hiver. D’après les observations météorologiques réalisées à la station de Sainte-Anne-de-la-Pocatière de 1918 à 1947, les vents dominants proviennent de l’ouest et du sud-ouest pendant tous les mois de l’année. Mais le nordet est presque aussi fréquent que le vent d’ouest en avril et en mai. Les pires mois de l’année sont ensuite ceux de juin, mars, novembre et octobre. Les paroisses en bordure du fleuve sont beaucoup plus exposées aux grands vents du nord-est que celles à l’intérieur des terres. Mais peu de secteurs sont complètement à l’abri du nordet.
 
Le journaliste et homme politique Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, futur premier ministre de la province de Québec, écrit dans son roman de mœurs Charles Guérin publié en 1853, dont l’intrigue se situe sur la Côte-du-Sud :

C’est pour le district de Québec un véritable fléau que le vent du nord-est. C’est lui qui, pendant des semaines entières, promène d’un bout à l’autre du pays les brumes du golfe. C’est lui qui, au milieu des journées les plus chaudes et les plus sèches de l’été, vous enveloppe d’un linceul humide et froid, et dépose dans chaque poitrine le germe des catarrhes et de la pulmonie. C’est lui qui interrompt, par des pluies de neuf ou dix jours, tous les travaux de l’agriculture, toutes les promenades des touristes, toutes les jouissances de la vie champêtre. C’est lui qui, durant l’hiver, soulève ces formidables tempêtes de neige qui interrompt (sic) toutes les communications et bloquent chaque habitant dans sa demeure. C’est lui enfin, qui chaque automne préside à ces fatales bourrasques, cause de tant de naufrages et de désolations, à ces ouragans répétés et prolongés qui à cette saison rendent si dangereuse la navigation du golfe et du fleuve Saint-Laurent.
 
L’écrivain, qui travaille à son manuscrit à L’Islet de juillet à septembre 1849, exagère à peine les inconvénients causés par le nordet. Les habitants ont appris à s’en protéger en construisant leurs maisons derrière des crêtes rocheuses là où c’était possible et en réduisant les ouvertures dans les murs exposés au nord-est. Même si le nordet affecte l’ensemble des régions, la Côte-du-Sud est assurément l’une de celles qui en souffrent le plus. Mais sa situation en bordure de l’estuaire du Saint-Laurent ne comporte pas seulement des inconvénients. 
 
Des couchers de soleil spectaculaires 
 
Les couchers de soleil de la Côte-du-Sud constituent un spectacle assez unique au monde. De fait, selon un classement réalisé par la prestigieuse National Geographic Society, la Côte-du-Sud se classe au troisième rang pour la beauté de ses couchers de soleil. À la fin du 19e siècle, l’abbé Henri-Raymond Casgrain mentionne quant à lui, en réponse à une question de son vieil ami Philippe-Aubert de Gaspé, n’avoir rien vu de plus beau dans ses divers voyages à travers le monde. Depuis la grève située derrière son manoir de Saint-Jean-Port-Joli, ce dernier, avec sa sensibilité romantique, bénéficie d’un point de vue unique pour observer la tombée du jour. Il assiste aux premières loges à cette représentation flamboyante offerte par la nature à chaque soir d’été par temps clair. Henri-Raymond Casgrain lui prête cette description du phénomène, qui reflète sans doute la pensée des deux hommes : 

Le fleuve ressemble à une mer de feu; à peine notre vue peut-elle supporter l’éclat de cette traînée de lumière qui se projette jusqu’à nous. Chaque lame est une écaille étincelante, dont la surface, toujours en mouvement, décompose la lumière en mille nuances variées à l’infini. Quel contraste avec ces masses immobiles et sombres des montagnes, que le soleil laisse maintenant dans l’ombre devant nous!

Et quelle richesse dans le ciel! Ces nuages, éclairés par le bas de teintes roses, qui convergent tous vers le soleil, ne dirait-on pas l’éventail du bon Dieu? Ce serait un magnifique sujet pour un poète.
 
Jusque dans le Bas-Saint-Laurent, on profite de ce tableau. Charles Gauvreau écrit en 1890 en parlant de Trois-Pistoles : « Un jour, ce sera le plus beau spectacle qu’il soit donné à l’homme de contempler ici-bas qui frappera les yeux : un coucher de soleil par un beau soir d’été. Le soleil rouge ensanglanté, s’effacera derrière les rochers du nord, illuminant toute la côte sud, l’embrasant comme dans un incendie féérique… » L’écrivain avait vu juste. Les couchers de soleil de la Côte-du-Sud, popularisés au 20e siècle par les cartes postales vendus aux touristes par les photographes, sont considérés aujourd’hui comme un attrait de la région.
 
La Côte-du-Sud est aussi le théâtre d’autres phénomènes météorologiques plus spectaculaires comme les aurores boréales en hiver ou les tornades en été. Cependant, ils sont exceptionnels. La rigueur des coups de nordet et la beauté des couchers de soleil sont des caractéristiques de la région, qui sont liés à sa situation géographique particulière.


Bibliographie :

Chauveau, Pierre-Joseph-Olivier. Charles Guérin. Roman de mœurs canadiennes. Montréal, Fides, 1978. 392 p.
Casgrain, Henri-Raymond. Philippe Aubert de Gaspé. Québec, Atelier typographique de Léger Brousseau, 1871. 123 p.
Gauvreau, Charles-Arthur. Trois-Pistoles. Lévis, Mercier & cie, 1890. 336 p.
 
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