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L’Orphelinat d’Youville (Mont d’Youville)...
Thème : Soins de santé

L’Orphelinat d’Youville (Mont d’Youville) Sœurs de la Charité de Québec (Québec)

Etienne Berthold, département de géographie. Université Laval, 2015


Dans la première partie du 19e siècle, les conditions socio-sanitaires difficiles de Québec suscitent de grands besoins sociaux. Dans un contexte où il y a beaucoup à faire avec peu de ressources, une des premières causes à mobiliser les efforts des œuvres sociales est celle des enfants orphelins. En 1831 naissent simultanément la « Société d’éducation sous la direction des dames de la cité de Québec » et la « Société charitable des Dames de Québec pour le soulagement des orphelins », la première dans le faubourg St-Jean et la seconde dans le faubourg St-Roch. Réunies sous un même bâtiment de la rue des Glacis quelques années plus tard, en 1834, ces sociétés dirigées par des dames patronnesses fusionnent alors pour devenir la « Société charitable des dames catholiques de Québec », laquelle veille à l’éducation et à l’accueil des enfants pauvres des faubourgs (voir figure 1). 

Carrefour important des initiatives sociales, la rue des Glacis accueille en 1843 une seconde œuvre de charité poursuivant la mission d’éduquer les enfants issus de milieux pauvres, l’école des Frères des Écoles chrétiennes. Les frères de cette Congrégation élargissent rapidement leur sphère d’action à différents quartiers où les besoins en matière d’éducation se font sentir. En 1846, c’est au tour de la Société Saint-Vincent-de-Paul de voir le jour. Inspirée de l’œuvre de Frédéric Ozanam, mise sur pied une décennie plus tôt en France, la Société St-Vincent-de-Paul veille au soulagement matériel des plus démunis entre autres par le biais de visites à domicile.

En 1849, une nouvelle épidémie de choléra s’abat sur la population de Québec. L’événement, qui ajoute à la misère engendrée par les conflagrations des années précédentes, place Québec dans une situation particulièrement vulnérable. L’archevêché de Québec, nommément par les initiatives de l’évêque coadjuteur de Mgr Signay, Mgr Pierre-Flavien Turgeon, se montre soucieux de fournir de façon pressante une aide sociale aux plus démunis touchés par cette crise, en encourageant et en appelant les initiatives de charité. Par l’effet de cette sollicitation, les œuvres sociales et secours catholiques ne tardent pas à émerger. Deux communautés religieuses d’importance fondamentales s’installent à Québec au tournant de la décennie 1850 : les Sœurs de la Charité et les Servantes du Cœur immaculé de Marie, plus généralement connues sous l’appellation Sœurs du Bon-Pasteur (1856). Bien que répondant à des appels différenciés en matière d’assistance sociale, toutes deux joueront un rôle structurant pour le devenir de la ville. 

C’est vers le Conseil général des Sœurs grises de Montréal, déjà établi dans la métropole depuis 1737, que se tourne en premier lieu Mgr Turgeon pour recruter des sœurs capables de subvenir aux besoins de la population. Placées sous la responsabilité de soeur Marcelle Mallet (1805-1871), cinq sœurs quittent définitivement la maison-mère de Montréal et s’établissent à Québec, en 1849, rue des Glacis. Cet événement inaugure la présence des Sœurs de la Charité dans la ville de Québec. Le premier mandat qui leur est confié consiste à reprendre les rennes de l’œuvre de la Société charitable des Dames catholiques de Québec, c’est-à-dire à s’occuper de l’Asile des orphelins de la rue des Glacis. Fidèles à l’héritage spirituel de la fondatrice des Sœurs de la Charité, Marguerite Dufrost de Lajemmerais, mieux connue sous le nom de Marguerite d’Youville (1701-1771), les soeurs se vouent avant toute chose à l’assistance et au soin des personnes pauvres ainsi que des orphelins : « [l]a fin des Sœurs de la Charité est non-seulement [sic.] de s’appliquer à leur propre salut et à leur perfection, avec le secours de la grâce divine, mais aussi de s’employer, de toutes leurs forces, avec la même grâce, à servir, à consoler et à édifier les pauvres et les malades. Elles se proposent aussi d’instruire et de former à la piété les enfants, principalement ceux des pauvres »1

En 1849, au moment de sa création, « l’Asile des orphelins » de la rue des Glacis accueille une vingtaine de filles qui y reçoivent, en compagnie d’autres enfants accueillis par l’établissement sur le principe de l’externat, une instruction de niveau primaire. Les besoins continuant de croître, les Sœurs de la Charité ouvrent en 1872 un nouvel établissement, le Foyer Nazareth, qui vise cette fois à accueillir les jeunes garçons et à leur offrir, comme à leurs homologues féminines, l’instruction primaire. Ces deux institutions répondent à des besoins criants et elles fonctionnent à plein régime dès leur création. 

En 1880, cependant, les besoins sont si grands à « l’Asile des orphelins » que l’espace physique vient à manquer. Un déménagement doit alors être envisagé par la Congrégation, qui choisit de faire construire un bâtiment neuf et plus spacieux sur le terrain de l’ancienne école des Frères des Écoles chrétiennes, tout près de la maison-mère. « L’Asile des orphelins » devient dès 1893 l’« Orphelinat d’Youville », un immeuble de quatre étages qui accueille, au fil du temps, un effectif toujours plus grand (voir figure 2). Entre 1893 et 1925, pas moins de 2325 jeunes filles y auront séjourné et bénéficié d’une instruction primaire2

Si le programme de l’Orphelinat d’Youville s’applique tout aussi bien aux filles qu’aux garçons, il s’avère plutôt souple dans sa définition de l’orphelin, reflétant un phénomène social en définition3. En 1888, un dénombrement démontre que, sur un total de 312 orphelins-es venus pour moitié de la ville de Québec et des localités avoisinantes, 30 sont réellement privés de leurs deux parents, alors que 152 n’ont pas de père et 130 n’ont pas de mère. 
 

Par ailleurs, si les garçons reçoivent automatiquement leur congé à treize ans, alors qu’ils peuvent être retournés auprès de leurs parents ou encore être adoptés par d’« honnêtes familles », les filles, elles, demeurent parfois à l’orphelinat pour une plus longue période. Les annales de l’établissement sont évocatrices sur les raisons susceptibles de motiver de plus longs internements : « On sait comment sont exposées dans le monde, des jeunes filles qui n’ont pas de parents, et qui serait abandonnées trop tôt à elles-mêmes »4
 
L’agrandissement physique de l’« Orphelinat d’Youville » permet de fournir un refuge et une éducation aux orphelines de la ville jusqu’au début du 20e siècle, l’espace finit néanmoins par manquer de nouveau. En 1925, l’« Orphelinat d’Youville » se transporte en périphérie de la ville, à Giffard. L’environnement physique des quartiers centraux de la ville, de plus en plus saturé en raison de la poursuite de l’urbanisation, offre des contraintes évidentes à l’expansion de l’orphelinat. Le bâtiment construit à Giffard – qui conserve l’appellation d’« Orphelinat d’Youville » – est d’ampleur : il compte six étages et plusieurs ailes, ce qui permet aux Sœurs de réunir sous un même toit, bien que dans des ailes distinctes, orphelines et orphelins. Jusqu’à 600 pensionnaires peuvent séjourner dans le nouveau bâtiment des Sœurs de la Charité, qui deviendra, au long du 20e siècle, une institution d’accueil majeure à l’échelle de la ville, mais aussi de la province de Québec.

À compter du premier tiers du 20e siècle, le domaine de l’assistance sociale, à l’image de celui de la santé, fait l’objet de préoccupations sans cesse croissantes de la part des pouvoirs publics. En marge du mandat principal qu’elle reçoit à l’égard de l’examen de la condition des chômeurs et du problème de l’hygiène en milieu industriel, la Commission Montpetit s’intéresse également à la situation des écoles de réforme et à la législation qui la sous-tend. Préoccupée notamment par la coordination des établissements d’accueil, l’harmonisation de leurs pratiques d’enseignement avec celles qui prévalent dans les établissements scolaires d’instruction publique et la question du placement des enfants en milieu familial, la Commission suggère la création d’un Bureau provincial pour la protection de l’enfance, de même que la création de sociétés de protection de l’enfance dans les villes comportant plus de 25 000 habitants. Au milieu des années 1940, les préoccupations relatives au placement familial des enfants ne s’estompent pas et il s’installe, dans la société québécoise autour de ce que l’on nomme « la question des orphelinats », un débat relativement polarisé entre les partisans du placement familial, d’un côté, et ceux qui soutiennent le système institutionnel déjà en place, de l’autre côté. Dans ce contexte, une Commission d’assurance-maladie sur le problème des garderies et la protection de l'enfance (dite Commission Garneau) propose de nouveaux fondements pour la protection de la jeunesse. Mais il faut attendre la toute fin des années 1950, et la création d’un service de l’enseignement au ministère du Bien-être social au mois d’avril 1959, pour que les orphelinats connaissent une série de transformations majeures5. Les orphelinats étant à la fois des établissements d’accueil et d’éducation, ils sont « tout aussi sensibles à la refonte du système éducatif qu’à la réforme des services sociaux »6 (voir figure 3). 

Le Mont d’Youville se trouve, en quelque sorte, dans une telle situation. Désigné comme école de protection de la jeunesse en 1947 et reconnu au chapitre de la Loi sur l’assistance publique en 1959, l’établissement joint également le cercle des polyvalentes dans le sillage de réforme de l’éducation. « Il est incorporé en 1964 et, en février 1965, devient le Mont d’Youville. L’intégration des classes à la commission scolaire s’opère peu à peu ; elle est définitive en 1969 et s’accompagne d’une augmentation du nombre de moniteurs7». Au début des années 1970, le Mont d’Youville se présente comme « une institution-internat de protection reconnue d’assistance publique; orientée vers la réintégration du jeune à un milieu aussi normal que possible; financée par le Ministère des Affaires sociales et celui de l’Éducation »8. Or, le placement en milieu familial est en plein essor et, de façon générale, les orphelinats en ressentent directement les impacts9. En 1992, dans un dessein de réorganisation administrative, prend place la fusion de 5 centres de réadaptation pour jeunes en difficulté d’adaptation (CRJDA) qui se trouvent à Québec ou dans sa région immédiate : le Centre l’Escale pour jeunes filles, qui est situé à Cap-Rouge, le Centre Tilly (Sainte-Foy) qui est responsable de l’encadrement de jeunes en difficultés sévères référés sur ordre de la Cour, le Centre Cinquième Saison (Beauport) qui accueille des jeunes de 14 à 18 ans, le Phare (Québec) qui s’adresse principalement aux garçons adolescents, et le Mont d’Youville. Celui-ci accueille alors des jeunes âgés de 6 à 13 ans. Au cours des années 1990, le gouvernement réduit petit à petit les services institutionnels prodigués par l’ancien orphelinat et le centre régional y déménage ses bureaux administratifs jusqu’alors situés dans le centre-ville de Québec. Quant aux Sœurs de la Charité de Québec, elles se retirent de la gestion de l’établissement en 1996.

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1Constitutions des Sœurs de la Charité de la Congrégation de Québec, 1867, p. 1.
2Yvonne Ward, Histoire des Sœurs de la Charité de Québec, tome 2, Beauport, MNH, 1998, p. 123.
3À cet égard, voir notamment Rose Dufour, Naître rien. Des orphelins de Duplessis, de la crèche à l’asile, Québec, Multimondes, 2002.
4Archives des Sœurs de la Charité de Québec (ASCQ), Maison-Mère, Décembre 1888, p. 170-174.
5Mathieu Peter. «La métamorphose des orphelinats québécois au cours de la Révolution tranquille (1959-1971)», Recherches sociographiques, Volume 52, numéro 2, 2011, p. 286.
6Ibid.
7ASCQ - L027Mont d’Youville – 1849-2004. Historique du Mont d’Youville.
8ASCQ - L027/D, 08 HISTORIQUE. – 1929-2000. Feuillet : L’éventail des services, 1971.

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