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Refuge Notre-Dame-de-la-Merci
Thème : Services sociaux

Refuge Notre-Dame-de-la-Merci

Etienne Berthold, département de géographie. Université Laval, 2015


En un sens, la genèse de la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur est liée au milieu carcéral de Québec. En effet, la toute première maison ouverte par les religieuses n’était-elle pas justement destinée à accueillir les femmes à leur sortie de prison ?
« L’œuvre des prisons, malgré tout ce qu’elle laisse entrevoir de rebutant et de pénible à la nature, sera toujours bien chère à la Sœur du Bon-Pasteur 1».


À compter des années 1920, le gouvernement de la Province de Québec et la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur entrent en pourparlers pour l'établissement et l'opération d'une prison dédiée aux femmes uniquement (voir figure 1). Au départ, les sœurs proposent d'aménager la prison dans un immeuble qu’elles possèdent dans le secteur de Giffard, à proximité de Beauport. Cette proposition est rejetée par les autorités, car l’immeuble est jugé trop loin du centre-ville de Québec. L’année suivante, l’Archevêché émet l'idée d’installer la prison dans l’agrandissement de la Maison Sainte-Madeleine, rue Berthelot. C’est au tour des sœurs de refuser cette proposition, car l’espace y est déjà trop restreint. On pense alors aux locaux de l’Hôpital de la Miséricorde, dans le Vieux-Québec, qui seront laissés vacants dans le sillage du déménagement sur le chemin Sainte-Foy. Mais, de nouveau, l’idée est écartée. Peu après, Louis-Alexandre Taschereau, le premier ministre de la province de Québec, propose que le gouvernement fasse l’acquisition d’un terrain situé à Sainte-Foy et qu’il y fasse construire la prison projetée dont la gestion reviendrait aux Sœurs du Bon-Pasteur. C'est Raoul Chênevert, architecte bien actif auprès d'autres communautés religieuses de Québec, qui est invité à dessiner les plans du nouvel édifice. Dans le cadre des travaux entourant la conception du bâtiment, les sœurs vont visiter l’Asile Sainte-Darie, à Montréal, pour les aider à définir leurs besoins. La prison ouvre ses portes en décembre 1931. Elle accueille, au départ, huit détenues, mais ce nombre ne tarde pas à augmenter. Sœur Saint-Fortunat assure d'abord la direction de l'œuvre (voir figure 2).

         Une prison…ou un château ?

« Une visite à la nouvelle prison permet aux Mères générales d’admirer la beauté, le goût et la solidité de l’édifice. On constate du même coup que le logement intérieur est extrêmement restreint et trop peu nombreuses les pièces destinées aux détenues. Les cellules sont dispersées dans tous les coins et recoins créés par l’architecture. Il faut admettre que le style a eu des exigences qui favoriseront mal la surveillance et la discipline. Devant le fait accompli, les religieuses courbent la tête et se résolvent à mener, avec leurs pensionnaires futures, la vie de château ».
Archives des Sœurs du Bon-Pasteur, Un centenaire au Bon-Pasteur : Refuge Notre-Dame-de-la-Merci, s.p.

À la prison, les détenues sont prises en charge physiquement mais aussi moralement. « La prison des femmes est (...) réellement une institution du Bon-Pasteur. L’action du personnel religieux dépasse la fonction punitive de l’État; elle fait de "Notre-Dame de la Merci" un véritable refuge pour le relèvement des femmes bannies et déchues2 ». Puisqu'aucun programme général n'est dicté par les autorités gouvernementales, les religieuses du Bon-Pasteur ont libre cours. Tel « que stipulé par contrat, l’État prévoit tous les rouages de l’administration du Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Mais il appartient aux Sœurs du Bon-Pasteur, à qui cette administration a été confiée, d’insuffler un esprit à la lettre de la loi afin de la rendre aussi efficace que possible en matière de réhabilitation3 ». Ainsi, travaux à la buanderie, ménage, artisanat, cours de conversation anglaise et, bien sûr,  catéchisme sont au programme. Dans la même lignée, les prisonnières confectionnent également des uniformes de détenus qui sont acheminés aux autres centres de détention de la province (voir figure 3). 

Sur le plan des effectifs, le Refuge Notre-Dame-de-la-Merci reçoit des détenues sur ordre du Tribunal. Il héberge, en moyenne, 200 femmes par année, mais il s'y trouve rarement plus de 25 détenues à la fois4. L'établissement possède 28 chambres individuelles. On y retrouve également deux dortoirs (voir tableau 1).

Alors que certaines femmes détenues au Refuge Notre-Dame-de-la-Merci sont condamnées pour des délits comme le vol, l'ivresse, le blasphème, la fugue ou, plus rarement, le meurtre, d’autres femmes n'y sont admises qu'en transit vers d'autres œuvres sociales caractéristiques du paysage local : la clinique Roy-Rousseau, l'Hôpital de la Miséricorde, l'Hospice Saint-Charles ou encore l’Hôpital Saint-Michel-Archange. De même, à leur sortie du Refuge, quelques-unes des prisonnières acceptent d’aller « poursuivre leur entrainement manuel à la Maison Sainte-Madeleine où un certificat de "Compétence domestique" leur est attribué à la fin des cours5 ». Il faut souligner que le Refuge Notre-Dame de la Merci reçoit des détenues âgées de 14 ans et plus. Au quotidien, pour accomplir sa tâche, l'institution compte sur la présence de constables, bien entendu, mais aussi de métiers spécialisés (voir figure 4).

Dans le mouvement de laïcisation des institutions au cours des années 1960 et 1970, le Refuge Notre-Dame-de-la-Merci subit plusieurs transformations. D’abord, il est renommé Maison Gomin, qui rappelle le nom de l’ancien propriétaire du lot sur lequel est située la prison. En 1973, la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur se retire de la Maison Gomin dont les opérations reviennent au ministère de la Justice6. Une religieuse y restera tout de même jusqu’en 1981, à titre de directrice de l’établissement. En outre, sœur Lucie Richer sera présente entre les murs de la prison jusqu’à sa fermeture, en 1992, année où les prisonnières seront transférées dans une aile qui leur est dédiée au centre de détention d’Orsainville. 

        Une visite du journal L'Évènement au Refuge Notre-Dame de la Merci,  le 11 juillet 1933

La prison des femmes, située sur le chemin Gomin, a reçu trois cents pensionnaires depuis son ouverture. Cependant, il n’y en a jamais eu plus de 25 à la fois et actuellement le nombre de détenues est de 15 seulement. 
Les religieuses du Bon-Pasteur, qui dirigent l’Institution, appliquent un règlement sévère en lui-même, mais elles le font sans violence et, par la douceur, elles obtiennent des résultats incroyables. Il faudrait un autre refuge pour les femmes qui sortent de réclusion décidées à mieux faire. 
Contrairement à l’opinion courante, il y a beaucoup à dire sur l’existence des détenus de nos prisons. Ils vivent tous, il est vrai, sous l’égide d’un règlement très simple qui est à peu près le même dans tous les lieux de détention de la Province, mais la manière dont ils emploient leurs heures de travail ou de loisirs varie en plusieurs endroits. Leur vie, par conséquent, n’est pas la même dans toutes les prisons. 
Nous avons pu constater ce fait au sortir d’une visite que nous faisions, hier après-midi, à la prison des femmes de Québec (Refuge N-D de la Merci). Comme partout ailleurs, le règlement est rigoureusement observé à la prison des femmes. Mais il semble que les Révérendes Sœurs du Bon-Pasteur, qui en ont la direction, de concert avec les autorités provinciales, veulent que l’application s’en fasse toujours sans violence. Un appel à la bonne volonté de la détenue est toujours fait, si possible, avant qu’une punition lui soit imposée. Ce mode très rationnel de procéder obtient des résultats remarquables et produit les meilleurs effets sur les prisonnières. « En effet, nous disait la directrice de l’établissement, nous voulons en autant qu’il se peut, rendre plus doux le séjour de nos détenues ici afin de les régénérer. La douceur a toujours grandement influé sur elles et nous avons, par ce moyen, obtenu des résultats vraiment incroyables ». 
L’Évènement, Québec, mardi 11 juillet 1933. Tiré des Annales du Refuge Notre-Dame-de-la-Merci.

________________
1ABPQ, 300-40A-01. Fonds Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Album du centenaire.
2ABPQ, 300-40A-01. Fonds Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Album du centenaire « Réhabilitation ».
3Idem.
4
ABPQ, 300-40A-01. Fonds Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Annales – Refuge Notre-Dame-de-la-Merci, Tome 1, p. 35.
5ABPQ, 300-40A-01. Fonds Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Album du centenaire « Réhabilitation ».
6ABPQ, 300-40A-01. Fonds Refuge Notre-Dame-de-la-Merci. Album du centenaire.

 

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