Au Québec tout comme dans de nombreux autres états à l’échelle mondiale, l’abandon des enfants constitue une problématique très importante sur le plan historique. Les dirigeants de la Nouvelle-France et, par la suite, ceux de la province de Québec ont tenté par plusieurs moyens de trouver des solutions pour prendre en charge les enfants laissés à l’abandon. D’abord remis entre autres à des nourrices, les enfants abandonnés de Québec ont été confiés, à compter du tout début du 19^e siècle, aux religieuses de l’Hôtel-Dieu du Précieux-Sang de Québec. Au milieu de ce siècle, la communauté des Sœurs de la Charité fut appelée à prendre en charge temporairement les enfants abandonnés. Le plus souvent, ceux-ci étaient transférés à Montréal, berceau de la communauté. En 1873, l’ouverture de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur, la troisième œuvre des Augustines de la Miséricorde à Québec, devait permettre de conférer un lieu d’accueil local aux nombreux enfants abandonnés. Mais la tâche était grande et quelque peu étrangère à la spécialisation à laquelle se destinait petit à petit cette institution, c’est-à-dire les soins aux personnes épileptiques. Ainsi, en 1901, à la suite d’une requête des autorités diocésaines, les Sœurs du Bon-Pasteur créent la Crèche Saint-Vincent-de-Paul. Il faut dire qu’une telle institution n’est fondamentalement pas étrangère à l’œuvre de l’Hospice de la Miséricorde. Quant à l’orphelinat de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur, il perdurera jusqu’à la fin des années 1920, désormais soulagé par l’action de la Crèche en Haute-Ville (voir figure 1). 

La parenté entre les objectifs poursuivis par l’Hospice de la Miséricorde et la Crèche Saint-Vincent-de-Paul explique que la Communauté cherche à les rapprocher sur le plan géographique. Si la Crèche voit d’abord le jour dans les locaux de la Maison-Mère, dès 1904, elle est déménagée sur la rue Saint-Flavien, dans deux propriétés qui sont contiguës à l’Hospice de la Miséricorde. Cependant, les besoins sans cesse grandissants placent rapidement la Crèche face à la nécessité de prendre de l’expansion (voir figure 2). Et pour cause : entre 1903 et 1908, le nombre de poupons qu’accueille la jeune institution est multiplié par trois, passant de 42 à 125. En 1908, grâce à la contribution financière du notable Louis-Adolphe Robitaille, qui entretient des liens d’amitié avec Mère Saint-Vincent-de-Paul, la Crèche déménage sur le lieu de son dernier emplacement, c’est-à-dire sur le chemin Sainte-Foy (voir figure 3). Il faudra attendre l’année 1929 avant que l’Hospice de la Miséricorde l’y rejoigne définitivement. Cette même année marque d’ailleurs une transition dans l’histoire de la Crèche : sous l’impulsion d’importantes rénovations et d’une demande accrue du fait de la fermeture de l’orphelinat de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur, l’institution décuple son nombre de lits, qui passe à plus de 640. En outre, quatre salles sont aménagées pour les enfants, qui y sont répartis selon leur âge et leurs besoins. Une cour et des jeux sont aménagés, l’éducation de niveau maternel y est dispensée : on cherche à recréer un milieu de vie dit « naturel » pour ces enfants orphelins. En 1915, 13 religieuses assistées de 37 « aides » sont au travail dans l’institution. Dix ans plus tard, infirmières et aides sont déjà passées respectivement à 19 et 75¹ (voir tableau 1).

L’expansion de la Crèche Saint-Vincent-de-Paul va de pair avec la multiplication du personnel à l’œuvre aux soins des enfants. Divers métiers essentiels à la vie quotidienne de l’institution – blanchisseuses, cuisinières, employés de maintenance – sont présents en appui au travail des religieuses et de leurs « aides ». Les  « Marguerites du Sacré-Cœur » figurent parmi les aides les plus estimées. Accueillies à l’Hospice de la Miséricorde, ces femmes sont souvent dans l’impossibilité de défrayer la totalité de leur pension, ce qui les amène à participer, de façon directe, aux soins des bébés. C’est ainsi qu’elles s’activent « dans l’ombre à maintenir en mouvement les rouages d’une entreprise humainement impossible² (voir figure 4) ». 

« L’Œuvre des Berceaux est une organisation de dames charitables qui veulent bien se charger de recueillir, dans leur paroisse, pour les enfants délaissés de la Crèche St-Vincent-de-Paul, une contribution annuelle de .25 sous par famille ou des aumônes en nature (…) Son but est de fournir à la Crèche St-Vincent-de-Paul : argent, lingerie, vêtements (…) sucre ou sirop d’érable, patates, légumes, fruits, etc (…) Les résultats, jusqu’ici, ont été tout simplement merveilleux dans les paroisses (…) Cette charité est de mieux en mieux comprise. Et c’est chaque jour que les religieuses puisent dans les réserves de l’Œuvre des Berceaux pour secourir, habiller les centaines d’enfants abrités sous le grand toit hospitalier de la Crèche St-Vincent-de-Paul » (voir figure 5).  

Archives des Sœurs du Bon-Pasteur. Un centenaire au Bon-Pasteur : La Crèche Saint-Vincent-de-Paul,  s.p.. Photo : Enfants dans la cour de la Crèche, D-10,09-168

Par ailleurs, la science médicale est bien présente au sein de la Crèche Saint-Vincent-de-Paul. La figure du pédiatre René Fortier, associé à la Crèche à compter de 1905 l’exprime bien. Mais l’influence de la science médicale sur l’œuvre culmine en quelque sorte en 1948, alors que voit le jour, au sein même de la Crèche, une école de puériculture (voir figure 6). Instiguée par le docteur Donat Lapointe, l’école de puériculture concourt à la professionnalisation du personnel soignant. À Québec, elle est alors l’unique pôle de formation de la « garde-bébé », une profession en pleine genèse qui repose tout autant sur l’esprit scientifique que sur un dévouement sans fin : « L’école a d’abord pour but de faire œuvre sociale en formant des gardes-bébés compétentes et dévouées (…). Il est bien reconnu que la profession de garde-bébé requiert une vocation, une élévation de l’esprit et du cœur, le don de soi-même qui est à la base de toute charité véritable³ ». Le succès que connaît l’école ne se dément pas : dans les années 1950, celle-ci accueille près de cent cinquante étudiantes chaque année. Au total, jusqu’en 1971, année de sa fermeture, l’école aura formé 1 317 puéricultrices⁴.

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¹ABPQ, 300-21-B-48. Fonds Crèche Saint-Vincent-de-Paul. « Statistiques », Rapport annuel de l’œuvre de la Crèche Saint-Vincent-de-Paul, du 1er avril 1915 au 31 mars 1916; du 1er avril 1925 au 1er avril 1926.
²Mireille Bergeron, Historique sommaire de l’Hôpital de la Miséricorde et de la Crèche Saint-Vincent-de-Paul des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec, [en ligne] http://www.soeursdubonpasteur.ca/files/Historique_sommaire_Creche_et_Misericorde__en_ligne.pdf
³Sr Marie-Joseph-Adolphe, « La puériculture au XXe siècle », L’hôpital d’aujourd’hui, vol. 1, no 10 (octobre 1955), p. 18.  
⁴ABPQ, 300-21-F-14. Fonds Crèche Saint-Vincent-de-Paul. Commission des Écoles de Puériculture : Exposé du docteur Antoine Larue sur le cours de Puériculture, 1953.
⁵Mireille Bergeron, op.cit.