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Thème : Éducation en classe

Laure Gaudreault (1889-1975), pionnière du syndicalisme enseignant

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 6 mars 2002.


L’école de rang du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle au Québec évoque des images pittoresques. Les anciens élèves se souviennent le plus souvent du charme désuet de la petite école surplombée de sa cloche où habitait une maîtresse d’école parfois sévère, parfois gentille mais dont on se rappelle avec nostalgie. Les autres qui n’ont pas vécu cette époque connaissent l’école de rang grâce aux images véhiculées par le roman Les filles de Caleb d’Arlette Cousture et aussi par la série télévisée qui s’en est inspirée. L’école de rang c’était en quelque sorte le « bon vieux temps ». Pourtant cette époque révolue cache d’autre part une réalité moins édifiante. L’école de rang c’est le temps de la grande noirceur. Un temps où les institutrices rurales peinaient dans des classes surpeuplées pour un pauvre salaire annuel de 150$ au début du vingtième siècle! C’était une vie faite de renoncements et d’isolement. C’est ce « bon vieux temps-là » que Laure Gaudreault s’efforça de changer.
 
Laure Gaudreault est née à La Malbaie le 25 octobre 1889 dans un rang de la paroisse connu sous le nom de Snigoll ( déformation du mot anglais Seagull ou goéland qui étaient très présents sur ce territoire) aujourd’hui rattaché à la municipalité de Clermont. Comme il n’y a pas d’école de rang dans le secteur où elle habite, la petite Laure Gaudreault étudie sous la direction de sa mère Marguerite Bergeron-Gaudreault qui possédait une bonne formation. Ce n’est qu’à l’âge de treize ans que Laure Gaudreault connaît la vie scolaire. Elle devient alors pensionnaire au Couvent des Soeurs de la Charité à La Malbaie. Laure Gaudreault est une brillante élève. Elle obtient notamment le prix Prince de Galles -alors une des plus hautes décorations à être décernées dans les institutions d’enseignement du Québec- de même que la Médaille d’or d’enseignement pratique alors qu’elle étudie à l’École Normale Laval de Québec. À l’âge de seize ans, elle devient institutrice à l’école numéro 1 de la paroisse des Éboulements. Son salaire annuel est de 125 $. Par la suite, elle enseigne à Clermont, sa paroisse d’origine. En 1920, Laure Gaudreault quitte sa région natale de Charlevoix pour se rendre enseigner à Saint-Cœur-de-Marie au Lac-Saint-Jean. Son salaire annuel passe alors à 300 $ par an.
 
Rapidement lassée par les dures conditions faites aux institutrices rurales, Laure Gaudreault quitte l’enseignement et travaille alors comme journalisme écrit à l’emploi du journal Le Progrès du Saguenay. Elle rédige deux chroniques sous la rubrique « Le Coin des enfants » et « Au foyer ». Plusieurs de ses articles sont signés sous le pseudonyme « Cousine Laure » et s’adressent aux institutrices rurales. Laure Gaudreault revient toutefois dans Charlevoix en 1932 et elle reprend l’enseignement à l’école de Rivière-Mailloux à La Malbaie. Au total, elle a été journaliste professionnelle durant dix ans. 
 
À partir de 1936, Laure Gaudreault se donne pour objectif de réunir les institutrices rurales afin de tenter de rendre plus acceptables leurs conditions de travail. Le 2 novembre 1936 lors d’une réunion tenue à La Malbaie, elle fonde avec d’autres institutrices l’Association Catholique des Institutrices rurales du district d’inspection primaire de La Malbaie(A.C.I.R.) dont elle est élue secrétaire. Cette association se donne notamment comme objectif d’obtenir un salaire minimum de 300 $ par année et d’abaisser à 20 ans le nombre d’années de service pour obtenir une pension de retraite. Le projet est ambitieux.
 
Rapidement l’association créée à La Malbaie n’est plus seule. Dès juillet 1937, un premier Congrès de la Fédération des Institutrices Rurales (F.C.I.R.) se tient à La Malbaie. Cette Fédération naissante regroupe déjà à ce moment 13 associations en provenance de 30 comtés du Québec. Laure Gaudreault devient alors la première syndicaliste laïque rémunérée au Québec et elle obtient un salaire de 450 $ par année.
 
Le travail syndical de Laure Gaudreault parvient à faire avancer grandement la cause des institutrices québécoises. Laure Gaudreault mène des luttes difficiles et le gouvernement provincial dirigé par le premier ministre Maurice Duplessis ne lui rend pas la partie facile. Toutefois, la bouillante syndicaliste ne s’en laisse pas imposer. Elle déclare elle-même: « lorsque les négociations étaient plus ardues et que Duplessis frappait un poing sur la table, moi je frappais les deux! ». Les résultats sont étonnants: en 1942, la F.C.I.R. obtient le salaire annuel de 300 $ par année pour les institutrices rurales; en 1958, le congédiement obligatoire des institutrices par les commissions scolaires à la fin de l’année est aboli; en 1959, le salaire minimum légal des enseignants et enseignantes fait un bond prodigieux de 600 $ par an à 1 500 $ par an! Peu de chefs syndicaux peuvent se vanter d’avoir obtenu une telle augmentation pour leurs membres lors de la négociation d’une convention collective! Mais en fait il s’agit d’un juste rattrapage qui aurait peut-être encore tardé sans la détermination de Laure Gaudreault.
 
Durant les années 1960, Laure Gaudreault prend sa retraite de l’action syndicale. La Révolution tranquille amène des changements importants dans le monde syndical et la syndicaliste est parfois un peu étonnée de cette rapide évolution. Elle consacre les dernières années de sa vie à la cause des enseignants retraités. Laure Gaudreault voit à la fondation de l’Association des retraités de l’Enseignement du Québec (A.R.E.Q.) en 1961. Elle s’occupe de cette œuvre jusqu’en 1974, soit à peine quelques mois avant sa mort survenue le 22 janvier 1975. Laure Gaudreault est alors âgée de 85 ans.
 
Le travail de Laure Gaudreault a favorisé la naissance du syndicalisme enseignant au Québec. L’histoire la consacre à juste titre comme la fondatrice de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) autrefois la Centrale des enseignants et enseignantes du Québec (CEQ). Laure Gaudreault a permis, grâce aux luttes qu’elle a menées, l’amélioration de la condition des enseignants et enseignantes du Québec. Laure Gaudreault a été reconnue par les siens en recevant le titre Grande de Charlevoix (à titre posthume) en 1989. La réalisatrice Yolande Cadrin-Rossignol a consacré un film à la vie de Laure Gaudreault en 1983. Ce film a été présenté sur les ondes de Télé-Québec à plusieurs reprises. Laure Gaudreault disait : « c’était pas le bon vieux temps, on s’est arraché le cœur à le changer. » Il faut reconnaître que son travail en plus de favoriser la reconnaissance de la profession des enseignants et enseignantes a aussi donné à l’ensemble des Québécois et Québécoises des écoles mieux organisées fort éloignées des écoles de rang d’hier peut-être pittoresques mais qui étaient loin d’offrir le cadre d’éducation plus adéquat offert aux écoliers québécois d’aujourd’hui.
 
Bibliographie :
 
« Laure Gaudreault, pionnière du syndicalisme », Revue d’histoire de Charlevoix, 39, avril 2002, 20 p.
Giroux, Michel. Les souvenirs de Laure Gaudreault. Une chronique du journal l’Enseignement, 1966-1967. Québec, Centrale de l’enseignement du Québec, 1996. 85 p.
Le film réalisé par Yolande Cadrin-Rossignol s’intitule « Rencontre avec une femme remarquable : Laure Gaudreault ». Production des Film du Cénatos. Durée : 89 minutes. 1983. Il est possible d’obtenir des copies de ce film sur vidéo à l’adresse de la CSQ à Québec (320, rue Saint-Joseph Est, bureau 100, Québec, G1K 9E7)
 
 
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