La prime histoire de la Communauté des Servantes du Cœur Immaculé de Marie, mieux connues sous le nom de Sœurs du Bon-Pasteur, est liée à la Maison Sainte-Madeleine. Cette dernière prend racine au mitan du XIX
e siècle. À l'époque, George Manly Muir, avocat et premier greffier à l'Assemblée législative de la Province de Québec, effectue de fréquentes visites à la prison de Québec. Celles-ci l’amènent à constater un manque criant à l'égard de l'accompagnement des personnes démunies et, particulièrement, des femmes sorties de prison. En 1949, il exprime ses convictions devant le Conseil de la société Saint-Vincent-de-Paul dont il est membre : « il est urgent d’ouvrir une maison de refuge pour les personnes du sexe féminin qui, au sortir de la prison de cette ville, expriment le désir de se convertir et de mener une vie chrétienne
1 ». Muir entreprend alors la création d’un refuge destiné à accueillir les ex-prisonnières de Québec (voir figure 1).
Par l'entremise de Mgr Pierre-Flavien Turgeon, évêque de Québec, la direction du refuge est confiée à Marie-Josephte Fitzbach. Cette veuve qui ne rebute pas le travail vient tout juste d'être accueillie à l'Hospice de la Charité où se trouvaient également ses deux filles. C'est le 11 janvier 1850 que l’Asile Sainte-Madeleine prend son envol. Le modeste établissement est alors situé sur la rue Richelieu, dans le faubourg Saint-Jean. Sa première pensionnaire, Marie Grégoire, est une récidiviste meurtrière tout juste sortie de prison. Mais n'était-ce justement pas là la clientèle type à laquelle songeait le notable Muir ? Marie Fitzbach (également appelée Roy, du nom de son défunt époux) n'est pas seule afin de pourvoir à la tâche. Marie-Anne Angers, Marie-Zoé Blais, Esther Ouimet, Angèle Lacroix, Éléonore Thivierge et Marie-Anne Fiset l'épaulent. C'est de ce groupe que naîtra la communauté des Servantes du Cœur Immaculé de Marie le 2 février 1856 ; Marie-Josephte Fitzbach en deviendra, d'ailleurs, la fondatrice et prendra le nom de Mère Marie du Sacré-Cœur (voir figure 2).
Pendant sa première année, l’œuvre accueille 40 femmes sorties de prison – un signe qu'elle répond à un besoin dans le milieu local. Rien n'oblige formellement les « pénitentes », comme on les appelle, à venir chercher refuge à l'Asile Sainte-Madeleine, mais, au fil des décennies, des centaines d'entre elles y affluent tout de même. En 1924, année où l’oeuvre se détache de la Maison-Mère, plus de 4 200 femmes au profil de plus en plus diversifié auront été accueillies à la Maison Sainte-Madeleine2 (voir figure 3).
Tout au long de son existence, à la Maison Sainte-Madeleine, on manifeste une préoccupation récurrente pour la rééducation des femmes, comme le rappelle un document de l'après-guerre : « la maison vise la réhabilitation des jeunes filles et des adolescentes moralement abandonnées, instables, inadaptées dans leur milieu familial, vagabondes, caractérielles, débiles mentales, dont cependant un grand nombre sont éducables et susceptibles de relèvement
3 ». Quant à la durée du séjour des femmes admises à la Maison, elle n'est pas uniforme. Selon les lignes directrices qui guident l'action de l'établissement, « ce sont les progrès réalisés au cours du séjour en institution surtout qui hâtent ou retardent l’heure de la sortie. Il importe en effet que les sacrifices consentis en venant au Bon-Pasteur aient des lendemains heureux, et ce sont les améliorations apportées à son caractère, l’oubli des expériences néfastes du passé (…) qui en sont la meilleure garantie. Pour arriver à ce résultat, il est conseillé d’y séjourner au moins 2 ans
4 (voir figure 4) ».
Si, au fil des années, la clientèle accueillie à la Maison Sainte-Madeleine se diversifie de façon considérable, les raisons du placement en institution varient elles aussi. L'internement peut être effectué de façon tout à fait volontaire, mais il peut aussi avoir été instigué par la famille ou encore par le curé. À la fin des années 1950, les principales raisons expliquant l'admission d’une jeune fille à la Maison Sainte-Madeleine sont notamment la révolte contre les parents, l’insubordination à l’école, un comportement indécent (alcool, sorties non autorisées, prostitution), des délits mineurs ou encore la désertion du foyer familial
5 (voir tableau 1).
L'essor rapide que connaît la Maison Sainte-Madeleine explique sa relocalisation, en 1870, sur la rue de la Chevrotière, dans le faubourg Saint-Louis, qui représente, en quelque sorte, le berceau de la communauté des Sœurs du Bon-Pasteur.
Le programme rééducatif de la Maison Sainte-Madeleine se transforme au fil des années. Au départ, les jeunes filles accueillies doivent, pour la plupart, suivre des cours élémentaires et participer à des séances d’enseignement religieux6. Petit à petit, un important volet d'enseignement ménager se greffe au cursus : couture, tissage, cuisine, tricot et arts décoratifs, parmi d'autres7.
La création d'une école des arts et métiers au sein même de la Maison Sainte-Madeleine, en 1948, a pour effet de formaliser ces enseignements et de les aligner sur les exigences du gouvernement de la Province de Québec, qui en est désormais le financier. Au début des années 1950, on estime qu'environ le tiers des jeunes femmes accueillies à la Maison Sainte-Madeleine prennent part aux enseignements de l'école des arts et métiers8. La rééducation s'appuie également sur des activités à caractère économique, comme la buanderie Saint-Joseph (voir figure 5).
La buanderie Saint-Joseph… un moyen de financement !
En 1950, la Maison Sainte-Madeleine est reconnue comme institution d’assistance publique selon la loi adoptée en 1921, c'est-à-dire qu'elle bénéficie désormais de subventions du gouvernement provincial et de la Ville de Québec. Dans le contexte de la révolution tranquille et de la laïcisation des institutions de santé et de services sociaux, la Maison Sainte-Madeleine (connue comme la Maison Marie-Fitzbach depuis 1962) fermera ses portes en 1975, après avoir accueilli, au total, plus de 9 000 jeunes femmes en besoin (voir figure 6).