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La bataille de Saint-Pierre
Thème : Société et institutions

La bataille de Saint-Pierre

Jacques Saint-Pierre, historien, 16 septembre 2002

 
Au printemps de 1776, la Côte-du-Sud est le théâtre de l’un des épisodes les plus dramatiques de l’invasion de la province de Québec par les Américains. L’allégeance de la population à la couronne britannique est alors sérieusement mise à l’épreuve. Après avoir répondu avec assez peu d’empressement à la mobilisation des miliciens à la défense de la province en 1774 et en 1775, les Sudcôtois sont cependant divisés quand vient le moment de soutenir plus activement la cause républicaine. 
 
Les rebelles pro-américains 
 
Le souvenir des dévastations de la guerre de la Conquête est encore très présent à l’esprit des Sudcôtois lorsque les soldats américains commandés par Benedict Arnold, les « Bostonnais », remontent la rivière Chaudière et se présentent devant Québec à l’automne de 1775. L’assaut contre la capitale tourne au désastre le 31 décembre : Arnold est blessé et Montgomery, qui a réussi plus tôt à s’emparer de Montréal, est tué. Malgré cet échec cuisant, l’armée américaine poursuit le siège de la ville depuis leur camp de la Pointe-Lévy jusqu’au printemps.
 
Durant l’hiver, les Bostonnais se font plus menaçants à l’endroit de la population. C’est ainsi qu’une proclamation menace de la peine de mort ou de l’exil ceux qui s’opposent au Congrès, même en paroles. Les sympathisants à la cause américaine s’efforcent de recruter des rebelles, avec un certain succès. À Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Clément Gosselin, gendre de Germain Dionne, se charge de l’enrôlement des rebelles. Ce Germain Dionne, qui, selon le curé Pierre-Antoine Porlier, a beaucoup d’ascendant sur les esprits parce qu’il a été premier baillif et qu’il est riche, leur fournit les vivres, les souliers, etc. Mais le curé qualifie de « vagabonds » et de « meurs de faim » ceux qui se laissent séduire par les propos des partisans du Congrès. 
 
Au commencement de février, le sieur Feré, un commissaire du Congrès pour les vivres, vient acheter des provisions du seigneur Duchenay de Saint-Roch pour les troupes rebelles. Il avoue alors au curé de Sainte-Anne la faiblesse de celles-ci depuis leur échec du 31 décembre. C’est une très bonne nouvelle pour les royalistes. Cependant, ceux-ci constatent que peu d’habitants sont prêts à risquer leur vie pour tenter de déloger les troupes américaines de leurs positions. 
 
L’affrontement armé
 
Les royalistes parviennent à convaincre un certain nombre de miliciens de marcher contre les rebelles. Commandée par Louis Liénard de Beaujeu, seigneur de l’Île-aux-Grues, une avant-garde formée de 50 hommes de Kamouraska, 4 de Rivière-Ouelle, 27 de Sainte-Anne et 25 de Saint-Roch part de Sainte-Anne le 23 mars 1776 avec l’intention de se rendre à Saint-Thomas. Les paroisses situées sur sa route préfèrent demeurer neutres et cherchent même à décourager les royalistes. De Beaujeu répond à cet argument « en annonçant autant de monde par derrière qu’il en avait avec luy ». 
 
L’avant-garde se rend au 2e quartier général de la milice de Saint-Thomas, où des hommes se chargent de faire du recrutement. Le commandant de Beaujeu envoie alors un courrier au curé Porlier pour faire marcher l’arrière-garde. Les voitures sont assemblées à 4 heures du matin le 26 mars au presbytère de Sainte-Anne quand le sieur Feré vient annoncer une triste nouvelle : « Tout est perdu, s’écria-t-il en entrant, nos gens sont massacrés. M. Bailly [Charles-François Bailly de Messein, prêtre du Séminaire] est du nombre, d’autres ont été faits prisonniers. »
 
En fait, les témoignages sur l’affrontement entre les miliciens demeurés fidèles à la couronne britannique et les Bostonnais et leurs partisans, qui se déroule à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud le 25 mars, sont contradictoires. Certains parlent de 3 victimes chez les royalistes, tandis qu’une autre source avance le chiffre de 5 victimes canadiennes et de 6 chez les rebelles. Une vingtaine de prisonniers, dont l’abbé Bailly de Messein, sont capturés par les Bostonnais. Les royalistes, retranchés dans la maison du capitaine de milice Michel Blais, se sont heurtés à une force supérieure en nombre (150 habitants pro-rebelles et 80 Américains). 
 
Les sanctions contre les révoltés
 
Si la bataille de Saint-Pierre est de courte durée, elle laisse de profondes cicatrices au sein de la population sudcôtoise. Selon la tradition, des pères se battent contre leurs fils et des frères contre leurs frères. Après le départ des Américains, au printemps de 1776, le gouverneur met sur pied une commission d’enquête pour s’enquérir de la loyauté des paroisses du district de Québec. Plusieurs officiers de milice qui ont soutenu la cause des rebelles sont remplacés par des candidats loyaux à la couronne britannique. Afin de prévenir de nouveaux soulèvements dans la région, des mercenaires allemands sont aussi cantonnés dans les principales paroisses durant les années suivantes.
 
Plusieurs rebelles s’étaient rangés du côté des Américains parce que la France soutenait leur cause. Ils espéraient le retour des Français en Amérique si les rebelles réussissaient à chasser les Britanniques. Le ressentiment de certains était si profond qu’ils ont préféré la sanction de l’excommunication de l’Église catholique à la soumission au nouveau régime. Le romancier Philippe Aubert de Gaspé écrit dans les notes de son livre Les Anciens Canadiens (publié en 1864) qu’on retrouvait autrefois le long de la Côte-du-Sud plusieurs tombes d’insurgés à qui on avait refusé une sépulture au cimetière. Dans l’état actuel de la recherche, on n’en connaît cependant qu’un seul groupe de cinq personnes de Saint-Michel. 
 
Parmi ces excommuniés, qui ont été immortalisés par le poète Louis Fréchette, on retrouvait deux femmes. De fait, les Sudcôtoises semblent avoir été très hostiles aux Britanniques, qui ont brûlé leurs maisons. L’abbé Charles Trudelle, qui est curé de Saint-François de 1854 à 1876, mentionne dans ses notes historiques sur cette paroisse qui est au cœur des événements tragiques de 1776 : « Les femmes étaient pleines de zèle pour la cause de la révolte et je me rappelle avoir entendu dire à M. Louis Jacques Casault natif de Montmagny, que plusieurs d’entre elles faisaient leurs prières au saint Congrès qu’elles croyaient un saint parce qu’elles n’en entendaient parler qu’en bien et avec éloge. » 
 
La bataille qui se déroule à Saint-Pierre au printemps de 1776 témoigne surtout de la profonde division qui règne au sein de la population sudcôtoise sur l’attitude à adopter face au nouveau régime. Il marque en quelque sorte le début de l’histoire politique de la région.


Bibliographie :

Aubert de Gaspé, Philippe. Les Anciens Canadiens. Montréal, Fides, 1975. 359 p.
Bonneau, Louis-Philippe. On s’est battu à St-Pierre. Saint-François, Société de conservation du patrimoine de Saint-François de la Rivière-du-Sud, 1987. 135 p.
Roy, Raoul. Les patriotes indomptables de La Durantaye. Montréal, Éditions Parti Pris, 1977. 62 p.
Porlier, Pierre-Antoine. « Mémoire d’observations sur la conduite des habitants des deux paroisses Sainte-Anne et Saint-Roch au sujet de l’invasion des Bostonnais rebelles et l’exécution des ordres de son excellence Mons de Carleton pour les repousser de la Pointe Levy sous les ordres de M. de Beaujeu », Bulletin des recherches historiques, vol. 6, no 5, mai 1900, p. 136-137.
Trudelle, Charles. Notes d’histoires de St-François. [Saint-François, Société de conservation du patrimoine de Saint-François de la Rivière-du-Sud, s.d.]. 57 p.
 
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