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Milieux humides
Thème : Territoire et ressources

Les milieux humides

Jacques Saint-Pierre, historien, 31 octobre 2002


La région de la Côte-du-Sud possède des superficies très considérables de milieux humides, ces sites saturés d'eau ou inondés durant une période assez longue pour avoir une influence sur les composantes du sol et de la végétation. Outre les marais littoraux de Kamouraska, les tourbières des basses terres de ce comté et de celui de Bellechasse forment les étendues les plus vastes. Les Sudcôtois ont longtemps su tirer profit de la forte productivité biologique de ces milieux particuliers sans trop les altérer, mais la pénurie de bonnes terres a entraîné une modification de leur comportement à compter de la seconde moitié du 19e siècle.

Les marais littoraux : des usages méconnus 

Les marais littoraux de Kamouraska sont des aires de chasse et des sources de fourrage pour les troupeaux des habitants, mais ils servent également à d’autres fins. 

Le sel demeure une denrée rare et chère en Nouvelle-France. En 1712, l’ingénieur Gédéon de Catalogne, dans sa tournée des établissements de la colonie remarque sur les terres de Rivière-Ouelle « une fontaine très abondante d’eau salée, où le sel se pourrait faire comme il se fait en plusieurs provinces de l’Europe ». Ce n’est qu’en 1747, que l’intendant Hocquart étudiera sérieusement la faisabilité d’une extraction à grande échelle. Le projet restera sans lendemain, mais il est permis de penser que les habitants, du moins dans les périodes de rareté, ont extrait le sel de mer des marécages pour leurs besoins. 

Au début du 19e siècle, l’arpenteur général Joseph Bouchette confirme le développement de l’élevage des volailles dans le secteur de Rivière-Ouelle et de Kamouraska. Or, tout indique qu’il s’agit là d’une spécialisation liée à la présence des marais. Un siècle plus tard, l’abbé Alphonse Casgrain décrit en ces termes dans ses Mémoires inédites la basse-cour qui avait été aménagée par la cuisinière de la famille : « On en voit encore des vestiges, dans une belle prairie au nord-est de la montée qui mène du chemin royal à la maison. C’est là qu’on voyait autrefois les oies, les canards et les poulets par milliers, elle avait fait faire un étang avec une bâtisse convenablement grande pour cela. » Moyennant quelques aménagements, les volatiles domestiqués par l’homme partagent la niche écologique avec leurs congénères sauvages. 

Dans sa monographie sur Rivière-Ouelle, Madame Elphège Croff écrit, quant à elle, à la même époque :

La fermière trouvait encore une source de revenus dans l’élevage des volailles. Les oies surtout formaient la partie la plus populeuse de la basse-cour. On sait le soin que réclament ces volailles dans leur plus jeune âge et vraiment le spectacle d’un troupeau d’oies prenant leurs ébats dans le ruisseau avoisinant la ferme est bien de nature à lui donner un aspect des plus campagnards. Outre sa chair succulente, recherchée par les gourmets comme un menu des plus délicats, l’oie nous donne encore ses plumes avec lesquelles nos grands-mères faisaient les lits et les oreillers duveteux qui se font rares aujourd’hui.

Durant au moins au siècle, les marécages de Kamouraska ont contribué à diversifier le menu des habitants de la région et de leurs clients de la ville.

L’écobuage des marais tourbeux

L’écobuage est une technique ancienne d’amendement des sols. Sur la Côte-du-Sud, elle est utilisée afin de convertir les marais tourbeux en terres cultivables à la fin du XIXe siècle. En effet, la Gazette des campagnes signale, en 1885, que la technique est en usage dans quelques localités, sans les mentionner. L’abbé Alphonse Casgrain confirme, dans ses Mémoires, que les cultivateurs de Rivière-Ouelle y ont recours pour assainir les terres de la Grande Plaine. Il précise :

Les bords [de la savane (tourbière)] ont été plus ou moins cultivés, après des travaux considérables, par des fosses immenses que l’on pratiquait autour d’un certain nombre d’acres pour les égouter dans la terre noire spongieuse qu’on en retirait. La terre noire, ainsi exposée au soleil, l’été, séchait et alors on y mettait le feu. Ce carré de terre, ainsi couverte de la terre extraite des grands fossés, brûlée sur le terrain même qu’on voulait cultiver après, produisait de très belles récoltes. Cette cuite fertilisait la terre. Il y a des habitants le long de la plaine, qui ont ainsi agrandi leurs terres, en empruntant sans aucun droit sur le terrain même du seigneur…

L’abbé Casgrain estime la superficie initiale de la Grande Plaine à 8 000 hectares. Cependant, il n’est pas possible de déterminer avec précision l’étendue des terres qui ont été récupérées peu à peu au fil des années. Quant au vaste projet d’assainissement lancé en 1928, il n’a pas connu les succès escomptés. En 1930, le propriétaire d’alors, F.-X. Lambert de Sainte-Anne, espérait pouvoir drainer 2 500 hectares, soit de quoi établir une cinquantaine de familles. Mais la Grande Plaine de Rivière-Ouelle n’a jamais été colonisée. Finalement, c’est le fils de F.-X. Lambert qui y a amorcé l’exploitation de la tourbe.

L’utilisation des marais tourbeux pourrait avoir débuté dès le Régime français dans la région. En effet, la tourbière située entre Beaumont et Saint-Charles de Bellechasse est englobée sous la rubrique « prairies » dans les recensements généraux (série G1 des Archives des colonies) du XVIIIe siècle. Par ailleurs, il est possible que les habitants y aient pratiqué en commun (sur des portions asséchées collectivement) la culture du lin et du tabac, suivant une rotation que nous révèlent les mêmes recensements.

Les milieux humides de la Côte-du-Sud ont survécu à l’occupation du territoire par les colons européens. Même les pressions très fortes pour « assainir » ces écosystèmes n’ont pas réussi à les faire disparaître. Une partie des marais littoraux a été endiguée au moyen des aboiteaux et les tourbières de Kamouraska ont été mises en exploitation, mais la sensibilité nouvelle à la protection de l’environnement fait en sorte que l’on essaie maintenant de restaurer ces milieux naturels uniques.

Bibliographie :

Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
« Causerie agricole. Défrichement des terres incultes », Gazette des campagnes, vol. 23, nos 8-13, octobre-novembre 1885.
Croff, Madame Elphège. Nos ancêtres à l’œuvre à la Rivière-Ouelle. Montréal, Albert Lévesque, [1931]. 212 p.
Saint-Pierre, Jacques. « L’aménagement de l’espace rural en Nouvelle-France : les seigneuries de la Côte-du-Sud », dans Peuplement colonisateur aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Jacques Mathieu et Serge Courville, Québec, Centre d’étude sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique du Nord, 1987, p. 35-201.
Saint-Pierre, Jacques. « L’habitant et l’environnement (XVIIe-XIXe siècles) : l’apport de l’histoire régionale », Thèmes canadiens, vol. 13, 1991, p. 101-114.

 

 

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