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Fortune d’Amable Dionne
Thème : Société et institutions

La fortune d’Amable Dionne

  Jacques Saint-Pierre, historien, 2002


Amable Dionne est un personnage très important dans l’histoire de la Côte-du-Sud. En fait, il est sans doute l’homme le plus riche qui ait vécu dans la région avant 1850. S’il faut en croire le témoignage de l’abbé Alphonse Casgrain, sa fortune était estimée à 400 000 dollars, somme colossale pour l’époque. Après s’être enrichi par le commerce, Amable Dionne fait carrière en politique tout en faisant fructifier son capital dans des biens fonciers, soit les deux seigneuries voisines de La Pocatière et des Aulnaies.
 
Le commis de Pierre Casgrain
 
Onzième enfant du mariage d’Alexandre Dionne et de Madeleine Michaud, Amable naît dans la paroisse de Saint-Louis de Kamouraska le 30 novembre 1781. Son père, qui est capitaine de milice, a notamment participé à la bataille de Carillon durant la Guerre de Sept-Ans. Le jeune garçon ne fréquente l’école que 18 mois, mais il continue à étudier durant ses temps libres. Il devient commis du marchand Pierre Casgrain, de Rivière-Ouelle, avant de devenir son associé en 1811, l’année de son mariage avec Catherine Perrault, nièce et fille adoptive du seigneur de Rivière-Ouelle. Les nouveaux mariés résident chez Casgrain jusqu’en 1813, alors que Dionne se rend à Kamouraska pour s’occuper sur place des affaires de la société. Celle-ci est dissoute à l’amiable en 1818 et Amable Dionne, qui est devenu dans l’intervalle capitaine de milice de la paroisse, part alors à son compte.
 
Dans ses mémoires, l’abbé Alphonse Casgrain évoque de façon touchante la rencontre initiale du garçonnet avec l’homme qui allait sceller son destin. Bien qu’il soit impossible de vérifier l’authenticité des faits rapportés, l’histoire paraît tout à fait vraisemblable. « Mon grand-père, écrit-il, cherchait un commis quand un beau jour, revenant de Kamouraska[,] il fit la rencontre d’un pauvre enfant. Cet enfant du nom d’Amable Dionne retournait dans sa famille, ses petits souliers à la main pour les ménager après avoir assisté aux leçons de catéchisme préparatoire à la première communion, mon grand-père observe cet enfant marchant gravement sur le bord du chemin paraissant très occupé saluant poliment. »

- Eh, mon petit, dit mon grand-père, où vas-tu?
- Chez-nous, Mr.
- Et où est-ce donc chez vous?

L’enfant se tournant vers le sud du chemin et montrant un rang de maisons à peu près de 40 arpents du chemin de l’anse de Kamouraska:

- C’est là Monsieur, à la haute ville (nom alors désignant ce rang de maisons)
- Que fais-tu?
- Rien, Monsieur, seulement je marche pour ma première communion.
- Mais c’est bien loin pour toi mon petit. Veux-tu que je t’emmène à la Rivière-Ouelle, on reste tout près de l’église, ma femme t’instruira et elle te fera apprendre ton catéchisme, te l’expliquera de son mieux pour te rendre capable d’être admis.
- Oh oui, Monsieur, quant à moi ça me plairait beaucoup mais c’est la permission de mes parents à avoir.
- Eh bien saute dans ma voiture, on va aller les voir tes parents. »

C’est ainsi que le jeune Amable Dionne s’initiera aux affaires dans la famille Casgrain.
 
Un personnage controversé
 
Des activités commerciales d’Amable Dionne à Kamouraska, on connaît assez peu de choses. Cependant, il est certain que le marchand est impliqué dans l’expédition des denrées agricoles de la région sur le marché québécois comme en témoigne le récit d’une altercation qu’il aurait eue, en 1816, avec un cultivateur de Saint-André à propos d’une livraison d’orge de mauvaise qualité déchargée dans sa goélette. Comme le rapporte l’arpenteur Joseph Bouchette, il y a un trafic important, à l’époque, de denrées diverses (grains, volailles, beurre, sucre d’érable, etc.) en provenance de Kamouraska sur le marché de Québec. Il est possible également que Dionne profite du patronage des autorités religieuses de la paroisse. Selon Charles Chiniquy, le neveu qu’il adopte en 1821, le curé Jacques Varin « enchaîné aux pieds de M. Dionne par des dettes énormes, n’osait pas aller à d’autres magasins ». Si la haine qu’éprouve Chiniquy à l’endroit de son oncle enlève de la crédibilité à son témoignage, il faut cependant reconnaître qu’il peut avoir eu connaissance de certains agissements répréhensibles de son prédécesseur, au moment où il était vicaire, puis curé à Kamouraska. Mais seule une étude plus approfondie des affaires de Dionne permettrait d’en savoir davantage sur l’origine de sa fortune.
 
Quoi qu’il en soit, Amable Dionne est assurément doté de grandes qualités. Outre ses enfants et son épouse, plusieurs membres de sa parenté profitent de sa générosité : son neveu Charles Chiniquy d’abord, mais également l’une de ses sœurs, forcée de quitter un mari brutal, et l’un de ses petits-fils devenu orphelin, qu’il recueille sous son toit, et son beau-père, à qui il verse une pension. Son dévouement envers sa famille s’étend en outre aux pauvres, à l’Église, voire même à l’ensemble de la communauté. Après avoir fait la promotion du projet de construction d’un collège classique à Kamouraska, il se rallie à la décision de le construire plutôt à Sainte-Anne et il accordera même une exemption de droits seigneuriaux à l’institution en échange de l’instruction gratuite pour ses deux fils. Dans les années 1830, alors qu’il représente le comté de Kamouraska à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada, il réussit à obtenir des fonds pour aider les habitants de la région éprouvés par les mauvaises récoltes. Il n’est donc pas étonnant que les pauvres de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et des paroisses du voisinage soient nombreux à vouloir rendre un dernier hommage à leur bienfaiteur à ses funérailles en 1852.
 
Amable Dionne avait acquis les seigneuries de La Pocatière et des Aulnaies durant les années 1830. C’est l’héritage qu’il lègue à ses deux fils. Quant à ses filles, elles peuvent compter sur un montant de 12 000 dollars au moment du partage des biens de leur mère, en plus de la dot de 8 000 dollars versée au moment de leur mariage. Six des huit filles de Dionne survivent au moment de ce partage, en 1857. La veuve d’Amable Dionne reçoit pour sa part une somme de 150 000 dollars. L’imposant manoir Dionne de Sainte-Anne-de-la-Pocatière a été démoli dans les années 1940, mais celui de Saint-Roch-des-Aulnaies témoigne de la fortune accumulée par le fondateur de la dynastie.

Bibliographie :

Casgrain, Alphonse. Notes sur la famille de Pierre-Thomas Casgrain. Manuscrit daté de 1913. 300 p.
Gagnon, Serge. « Dionne, Amable », Dictionnaire biographique du Canada, vol. VIII, Québec, PUL, 1985, p. 247-248.Hudon, Paul-Henri. Rivière-Ouelle de la Bouteillerie : 3 siècles de vie. Rivière-Ouelle, Comité du tricentenaire, 1972, xi-495 p.« Noyade et meurtre d’Abraham Bérubé le 25 octobre 1816 », Le Javelier, vol. 3, no 3, octobre 1987, p. 8.
Têtu, Henri. Histoire des familles Têtu, Bonenfant, Dionne et Perrault. Québec, Dussault & Proulx, 1898. 636 p.
 
 
 
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