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Grosse-Île, entre la quarantaine et l’anthrax
Thème : Société et institutions

Grosse-Île, entre la quarantaine et l’anthrax

Normand Perron, octobre 2016


Le toponyme Grosse-Île remonte au 17e siècle. Cette île de l’archipel de l’Isle-aux-Grues (archipel de Montmagny) est située à une cinquantaine de kilomètres en aval de Québec et au large de Montmagny. En dépit de son nom, l’île n’a qu’une superficie de 2,2 km2. Son milieu naturel est varié et les botanistes ont depuis longtemps remarqué sa flore riche. Mais la Grosse-Île évoque aussi d’autres réalités. La plus connue est bien sûre celle d’une station de quarantaine devenue le passage obligé de milliers d’immigrants en route vers le Canada. Moins connu par contre est son centre de recherche militaire secret.

Une station de quarantaine

La menace des épidémies plane toujours au 19e siècle. Au début des années 1830, le choléra sévit en Asie et en Europe.  À cette époque, des milliers d'immigrants qui rêvent de l’Amérique affluent à Québec. Vers les années 1830, cette ville d’une trentaine de milliers habitants accueille en moyenne plus de 30 000 immigrants. Afin de parer à la menace d’une éventuelle épidémie, le gouvernement adopte en février 1832 une loi établissant une nouvelle station de quarantaine.  Il choisit un site privilégié et isolé à proximité de Québec : la Grosse-Île.  La nouvelle station de quarantaine devait d’ailleurs remplacer celle de Pointe-Lévy, trop près de Québec. Mais l’épidémie redoutée atteint la ville Québec à l’été 1832. Les hôpitaux en construction à la Grosse-Île doivent accueillir des malades sans plus attendre. L’épidémie frappe durement et Québec dénombre plus de 3 000 victimes à la fin de septembre. Ainsi débutait sans beaucoup de préparation le vécu de la station de quarantaine de la Grosse-Île.

La traversée de l’Atlantique se fait dans des conditions exécrables sur le plan de l’hygiène.  Les passagers sont entassés sur les bateaux et les autorités britanniques font preuve de laxisme. Mais rien n’arrête l’immigration.  Une quinzaine d’années plus tard, la Grosse-Île doit composer avec une autre épidémie de grande envergure, celle du typhus qui éclate en 1847 chez les immigrants irlandais. Ceux-ci fuient alors en grand nombre la famine qui sévit en Irlande. Les ravages de l’épidémie de typhus seront importants : plus de 5 000 immigrants irlandais meurent à la Grosse-Île au cours de 1847. Ceux qui soignent ces immigrants paient aussi un tribut, dont des médecins, des infirmières et des prêtres.

C’est en 1854 que cessent les épidémies successives de choléra. Le danger associé à ces maladies infectieuses s’amenuise au fur et à mesure qu’avance le 19e siècle. Le gouvernement canadien continue néanmoins d’investir dans la station de quarantaine. Il fait construire différents bâtiments, dont des chapelles, des logements, des hôtels pour les immigrants, un hôpital de briques en 1881, puis un autre hôpital au début du 20e siècle. (Voir les illustrations)

La station de la quarantaine de la Grosse-Île a joué un rôle important dans le contrôle des maladies et la prévention des épidémies. Mais la Grosse-Île fut aussi le cimetière de milliers d’immigrants irlandais. En témoigne, par exemple, la croix celtique érigée en 1909 (voir la première illustration) par l'Ancient Order of Hibernians. Sur l’une des plaques du monument est gravée l’inscription suivante :

 « À la pieuse mémoire de milliers d'émigrés irlandais qui,
pour garder la foi, souffrirent la faim et l'exil et,
victimes de la fièvre, finirent ici leur douloureux pèlerinage,
consolés et fortifiés par le prêtre canadien.
Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront
dans la joie. (Psaume 126:5) »

Les risques de choléra et de typhus se font bientôt moindres avec les progrès généraux de l’hygiène, y compris sur les bateaux, et ceux de la médecine.  Mais d’autres maladies persistent, dont la variole. Aussi les nombreux bateaux qui circulent sur la voie maritime demeurent tenus de s’arrêter à la Grosse-Île.

La station de quarantaine de la Grosse-Île perd peu à peu de son importance. Au printemps 1938, elle ferme ses portes. Le Peuple du 2 septembre 1938 mentionne qu’un projet d’utilisation les bâtiments comme locaux d’une colonie pénitentiaire pour jeunes délinquants est à l’étude. On veut sûrement à profit l’isolement des lieux, mais le projet est sans lendemain.

 
Un laboratoire de recherche militaire

Le site isolé et privilégié de la Grosse-Île conserve néanmoins tous ses attraits et dès 1942, au plus fort de la Deuxième Guerre mondiale, l’armée canadienne s’y établit et avec des chercheurs américains ouvre un centre de recherche pour le développement d’un vaccin contre la peste bovine. C’est aussi l’époque où l’on procède à des recherches sur la production d’armes biologiques et où l’on produit, dans l’édifice ayant servi jadis à la désinfection, le bacille de l’anthrax. Des mesures sont prises pour sécuriser les lieux. Le corridor aérien y est interdit. Pour éviter d’éveiller les soupçons, on présente le centre de recherche comme une station de contrôle des maladies de guerre. La production d’anthrax à la Grosse-Île ne fait toutefois pas l’unanimité chez les scientifiques en raison de la trop grande proximité des côtes.

Les 439 litres d’anthrax fabriqués à la Grosse-Île auraient été amplement suffisants pour détruire l’humanité nombre de fois. L’accès à des documents jadis secrets et des témoignages ont permis récemment de mieux connaître cet épisode de l’histoire de la Grosse-Île. Si l’on a fait en partie la lumière sur la production d’anthrax à la Grosse-Île, d’autres faits restent mal documentés. L’un d’eux est particulièrement troublant. Ainsi, en 2010, à une question du député Bernard Bigras, le secrétaire  parlementaire de la Défense nationale répond que l’anthrax fut neutralisé avec du formaldéhyde, mais il ne peut préciser l’endroit où on en a disposé. Selon le documentaire Projet N (2010), les stocks d’anthrax ont été jetés dans le Saint-Laurent. D’autres questions restent aussi sans réponses précises. Parmi elles, on peut rappeler l’utilisation possible de prisonniers allemands pour des expériences.


De quarantaine pour les animaux à site historique

Après la fin des expériences bactériologiques, l’isolement de la Grosse-Île est à nouveaux mis en valeur. Sous l’autorité du  ministère de l’Agriculture canadien, le site devient en 1957 un centre de recherche vétérinaire et en 1965 est aménagée une station de quarantaine animale pour les animaux importés au Canada.

Le  gouvernement du Québec y crée en 1978 une réserve de chasse et de pêche sous le nom de Sanctuaire de la Grosse-Île. En 1984, pour souligner son rôle important dans l’histoire canadienne, le gouvernement canadien accorde à la Grosse-Île le statut de site historique. Cette même année naît la Corporation pour la mise en valeur de Grosse-Île qui travaillera de concert avec Parcs Canada.  En 1988, le ministère de l’Agriculture cède le site de la Grosse-île à Environnement Canada. Après la désinfection de l’île, le site est aménagé sous les auspices de Parcs Canada. Il ouvre au public en 1995. Les visites guidées du Lieu historique national du Canada de la Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais permettent une meilleure compréhension du fonctionnement de cette station de quarantaine où sont passés des milliers d’immigrants.

Bibliographie :

Jeannette Vekeman Masson, Grand-maman raconte la Grosse-Île, s.l., Les Éditions La Liberté, 1981, 190 p.
Marianna O'Gallagher, La Grosse-Île porte d'entrée du Canada, 1832-1937, Québec, Carraig Books, 1987, 190 p.
André Sévigny, « La Grosse Île : quarantaine et immigration à Québec (1832-1937) », Les Cahiers des Dix, n° 47, 1992, p. 153-192.
Alain Laberge et al., Histoire de la Côte-du-Sud, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993, p. 308.
Yves Bernard et Caroline Bergeron, Trop loin de Berlin : Des prisonniers allemands au Canada, 1939-1946, Sillery, Éditions du Septentrion, 1995, 358 p.
Marie-Hélène Vallée, Peu nombreuses mais essentielles : les travailleuses salariées de la station de quarantaine de la Grosse-Ile, 1891-1924, Ph. D., histoire, Québec, Université Laval, 2006, 354 p.

Différents sites internet relate différents aspects de l’histoire de la Grosse-Île. En voici quelques-uns :
https://www.youtube.com/watch?v=jDxIfiW8v8A (documentaire Projet N)
http://www.lapresse.ca/arts/television/201005/31/01-4285306-le-projet-n-le-secret-de-grosse-ile.php
http://www.lametropole.com/article/tendances/voyages/tout-le-monde-en-parle-à-grosse-île
http://www.lapresse.ca/le-soleil/arts/television-et-radio/201005/30/01-4285216-une-arme-secrete-se-cachait-a-la-grosse-ile.php
http://www.wallyzone.net/grosseile/Index.php?page=2
http://www.fanette.ca/?p=1256
http://www.irishpbs.ca/grosse-ile-nhs.html
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/07/02/004-grosse-ile-page-histoire-canada-immigrants.shtml%20target=
http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/ToposWeb/fiche.aspx?no_seq=27226
http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/qc/grosseile/index.aspx
Le dernier site cité relève de Parcs Canada et présente un dossier fort intéressant sur le lieu historique de la Grosse-Île.   

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