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Price et les débuts du Saguenay
Thème : Société et institutions

Price et les débuts du Saguenay : une main-d'œuvre piégée au milieu du 19e siècle

Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003


L'existence d'un seul grand employeur a des effets importants sur la structuration d'une société régionale. L’employeur peut alors constituer, maintenir, renforcer ou transformer son emprise sur la région et les régionaux. C’est la situation des travailleurs forestiers au Saguenay–Lac-Saint-Jean au cours de plusieurs décennies au 19e siècle.

Lorsqu'un industriel désire exploiter ses concessions forestières, il organise la coupe, ce qui consiste à découper la concession en chantier. Le chantier équivaut à un territoire d'environ 16 milles carrés. Le lieu d'empilement des billes se situe à quelques kilomètres seulement des lieux de coupe et donne sur une rivière où il y a possibilité de flottaison pour les billes. Les principaux bâtiments qui sont construits sur le site de coupe sont les camps de bois ronds où s'entassent les lits, la cuisine, les écuries et les entrepôts.

À la tête des opérations, le gérant ou le contremaître jouit d'une très grande autonomie. Il peut être assisté dans sa tâche par diverses catégories de travailleurs. Aux bûcherons qui sont généralement des jeunes gens venant des paroisses agricoles environnantes ou de cultivateurs marginaux, s’ajoutent divers préposés aux bâtiments, aux chemins ou à l'approvisionnement. Pour assister les bûcherons qui coupent et ébranchent les arbres, des charretiers assurent le transport des billes à la jetée la plus proche. Le printemps venu, des travailleurs forestiers travailleurs au transport des billes sur l’eau en se faisant draveurs. Le cuisinier joue un rôle important à l'intérieur du camp. En plus de sa tâche journalière, il agit souvent comme une sorte d'agent des relations de travail entre le gérant et les équipes de bûcherons. Par son entrain et par la qualité de la nourriture qu'il réussit à préparer, le cuisinier contribue à rendre l'atmosphère du camp plus supportable pour les bûcherons. Un bon cuisinier est toujours bien rémunéré parce qu'il attire davantage les bons hommes. 

La rémunération du bûcheron se fait à la pièce. Il est logé et nourri pendant le temps de travail en forêt moyennant un montant qui est retiré de sa paye. De plus, il paie les haches, les scies et autres outils nécessaires à son travail que lui vend son employeur. Finalement, ce dernier retire peu de sa production. Les mesureurs eux-mêmes sont souvent perçus comme les partenaires des patrons de qui ils reçoivent souvent des gratifications pour leurs bons offices. Entre le mesurage dur, le mesurage consciencieux et le mesurage libéral, que de marge de manœuvre. Il arrive même que les contrats stipulent des différences importantes dans le volume d'une corde de bois qui peut passer de 128 pieds cubes, la norme habituelle, à 138, 144 et même 156 pieds cubes. Finalement, une fois qu'il aura payé ses dettes, le bûcheron retire ses « pitons » ou quelques dollars. Il arrive aussi qu'on le réfère simplement au marchand général du village où l'entrepreneur garde une marge de crédit spécialement pour ses employés. Dans la phase initiale de son fonctionnement, les rapports qu'établissent les compagnies avec les bûcherons ressemblent au système de troc.

Pendant l'ère du patriarche, c'est une discipline de fer qui règne dans les chantiers. Dans un mémoire qu'il adresse à ses employés, McLeod montre le climat de soumission dans lequel les travailleurs du Saguenay sont soumis en 1846 :

« Une amende de 5s. par jour pour jours chômés, maladie, etc. Les provisions qui seront données pour les chantiers seront du pain, des biscuits, du lard, du poisson et des pois. J'espère que tout le monde sera content de cette nourriture. Je n'ai promis rien de plus. Tout homme qui désobéira aux ordres ou ne donnera pas satisfaction sera congédié immédiatement et il n'aura pas un seul sou de ses gages, vu qu'il aura manqué de remplir les conditions de son engagement. Je veux qu'il soit bien entendu que tout raccommodage, soit de harnais, sleigh, menoires, enmancher des haches, etc., seront fait (sic) le soir après la journée faite. (...) Le temps du travail sera du petit jour le matin jusqu'à la nuit. »

Les entrepreneurs, en plus d’exploiter eux-mêmes certains chantiers, ont toujours su profiter de la sous-traitance. Ils peuvent ainsi créer une concurrence locale parmi les travailleurs eux-mêmes ce qui favorise le maintien des coûts de production plus bas dans une situation de monopole. Les abus de la sous-traitance créeront de nouveaux problèmes parce que les petits entrepreneurs locaux devront s'inscrire dans une dynamique d'exploitation. 
 
 
Bibliographie :

Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
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