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Les compagnies et le commerce des fourrures
Thème : Économie

Les compagnies à grand capital et le commerce des fourrures dans le Domaine du Roi, 1660-1720

Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003


Dans la poursuite de ses objectifs, la France se tourne de plus en plus vers de grandes compagnies pour mettre en valeur sa colonie de la Nouvelle-France. La Compagnie des Indes occidentales est fondée en 1664 pour remplacer la moribonde Compagnie des Cent-Associés. Cette nouvelle compagnie, dont le capital est de quatre millions de livres en 1665, obtient le monopole du commerce en Nouvelle-France. Liquidée en 1674, la compagnie des Indes Occidentales est remplacée par un syndicat de financiers français, la Compagnie de la Ferme. Celle-ci devient locataire du Domaine du Roi au Canada, auquel Domaine est jointe la Traite de Tadoussac. Un Canadien, Charles Aubert de la Chesnaye, sous-loue au représentant de la compagnie, Jean Oudiette, les droits sur le Canada. 
 
La Chesnaye est un habitué du commerce des fourrures. Il est locataire de Tadoussac entre 1663 et 1666. Il y représente la Compagnie des Indes occidentales de 1666 à 1672 et il devient sous-fermier de cette Traite les deux années suivantes. Au cours des années 1675-1680, La Chesnaye est aussi associé à Charles Bazire qui est chargé d'organiser le poste de Chicoutimi. En 1680, Jean-Baptiste Couligny remplace Oudiette à titre de locataire. La même année, Denis Riverin, l'ancien secrétaire de l'intendant Duchesneau, fait ses débuts dans le commerce des fourrures comme sous-fermier de Tadoussac, poste qu'il occupera jusqu'en 1685. Pendant la même période, La Chesnaye devient le principal actionnaire de la Compagnie du Nord qu'il contribue d'ailleurs à créer en 1682 avec l'appui de l'État. Cette compagnie a pour but de contrer les marchands anglais dans la baie d'Hudson. Son influence sur la Traite de Tadoussac se manifeste jusqu'à la fin du siècle. Ainsi en 1693, les sous-locataires de celle-ci sont La Chesnaye et François Hazeur, un de ses associés dans la Compagnie du Nord.

Le développement du commerce des fourrures nécessite également une action diplomatique des Français auprès des Amérindiens. La France compte alors sur Radisson et Des Groseillers, des explorateurs aguerris qui connaissent bien la route de la baie James, et les Jésuites à qui sont confiées les missions temporelles auprès des Montagnais. C’est ainsi que Charles Albanel agira comme ambassadeur de la France dans ses périples au Saguenay en 1671 et 1673. François de Crespieul fera de même lors de ses hivernements près de l'actuelle ville de Chibougamau en 1672-1673, et lors de sa visite du lieu de foire de Mouchau Ouraganich en 1674.

Il faut le reconnaître, la France a si bien relancé son commerce dans la colonie qu'elle a négligé le développement de son marché européen. En cette fin de 16e siècle, tout semble se conjuguer pour détruire le commerce des fourrures qui constitue la base de l'économie de la Nouvelle-France. Au problème de surproduction s’ajoute un fléchissement de la demande de la part des consommateurs européens qui découvrent de nouveaux produits. Devant la concurrence, l'industrie chapelière, grande utilisatrice des peaux de castor, tarde à réagir et ne parvient pas à diminuer suffisamment ses coûts de production. Dans la conjoncture, la France se retrouve avec un surplus de 850 197 livres de castor en 1697, ce qui équivaut aux besoins estimés pour les dix années à venir. Évidemment, les prix s'effondrent. La livre de castor gras est évaluée à 78 sols 9 deniers courants entre 1696 et 1706. Le prix baisse à 20 sols et le volume des exportations n'atteint plus que 60 000 à 70 000 livres pour la période 1706-1710.

La crise économique amène les marchands de fourrures à délaisser la Traite de Tadoussac que l'on identifie, à partir du XVIIIe siècle, aux Postes du Roi. Premier signe de ce désintéressement, les missions de Tadoussac sont délaissées par les Jésuites. Personne ne vient remplacer François de Crespieul qui décède en 1702 après avoir consacré sa vie auprès des Montagnais. Seul le père Louis André fait quelques incursions au Saguenay entre 1702 et 1709, tandis que le récollet Gélase Delestage séjourne brièvement à Tadoussac et à Chicoutimi en juin 1716.

À partir du début du 18e siècle, l'instabilité caractérise la situation dans le Domaine du Roi. La Compagnie de la Colonie absorbe en 1700 la Compagnie du Nord. Cette nouvelle compagnie obtient la traite des peaux de castor de la Compagnie de la Ferme et le duo François Hazeur et Denis Riverin achète les droits de pêche et de commerce dans les postes de Tadoussac en 1701 pour la somme de 12 700 livres par an. Après la faillite de la Compagnie de la Colonie, c’est la Compagnie Aubert, Néret et Gayot qui obtient le monopole de la Compagnie de la Ferme du Roi de 1705 à 1718. Denis Riverin et Charles Guillimin exploitent la Traite de Tadoussac pendant les huit dernières années du bail. 

Mise aux enchères en 1718, la Traite, dont la situation est lamentable, reste sans preneur. Elle a alors perdu ses principaux attraits. Les maladies contagieuses auraient décimé les populations de chasseurs autochtones. Les nombreux feux de forêt qui sévissent au début du 18e siècle auraient pu contribuer aussi à la baisse des revenus venant de la Traite de Tadoussac. Enfin, des changements climatiques auraient nui à certaines espèces animales, en particulier l'orignal. C'est dans ce contexte difficile qu'à compter de 1719, François-Étienne Cugnet entreprend la réorganisation de la Traite de Tadoussac au nom des bailleurs du Domaine qui assurent alors la régie.


Bibliographie :

Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
 
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