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L’exploitation du pin et de l’épinette
Thème : Économie

L’exploitation du pin et de l’épinette au Saguenay–Lac-Saint-Jean, 1840-1930

Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 30 octobre 2003


Vers le milieu du 19e siècle, il ne se produit que du bois de sciage dans la région. Les témoignages de l'époque font état des superbes pinières du Saguenay. Il faut toutefois préciser que la production locale, si importante soit-elle, n'a jamais été très significative par rapport à l'ensemble québécois. L'Outaouais demeure la grande région pourvoyeuse de pin dans la province. Entre 1855 et 1876, la région ne fournit jamais plus que 6,08 % du pin produit à l'échelle provinciale. Les données statistiques qui sont disponibles pour cette période comprennent, sans possibilité de distinction, le Haut-Saguenay, le Bas-Saguenay (secteur compris entre L’Anse-Saint-Jean et Tadoussac) ainsi que la Côte-Nord. À la lumière de ces chiffres, il ne fait pas de doute que les pinières locales ont vite été dévastées et leur importance, compte tenu du couvert forestier régional, a été exagérée. Le Saguenay et le Lac-Saint-Jean et au demeurant la Côte-Nord sont plutôt des forêts riches en sapins et en épinettes.
 
Dès les débuts de la colonisation, la production de l'épinette (incluant le sapin) est relativement importante dans la région, même si le pin garde son ascendant. Certaines années, il se coupe d’ailleurs davantage d'épinettes que de pins, comme c'est le cas en 1860, puis en 1870. Mais, dès les années 1875, le Saguenay–Lac-Saint-Jean ainsi que le Bas-Saguenay/Côte-Nord, dont il devient possible alors de distinguer la production, apparaissent comme des producteurs d'épinettes. La récolte du pin est dès lors de plus en plus accessoire dans les stratégies de coupe des exploitants du Saguenay ou du Lac-Saint-Jean. Au plan provincial, la production de pins garde toute son importance jusqu'en 1890 alors que la production égale celle du sapin. La valeur marchande du pin place cette production en avant scène, mais dans l’est du Québec, au cours des années 1875-1890, l'épinette est l'essence par excellence pour l’industrie forestière. 

Tandis que la crise économique des années 1870 touche des régions comme la Mauricie, le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie, le Saguenay–Lac-Saint-Jean s'en tire très bien. Ainsi, en 1875 et en 1880, celle-ci produit respectivement 21,64 et 21,28 % du bois d’épinette au Québec. Le Bas-Saguenay et la Côte-Nord font aussi bien durant la même période avec des taux de 19,17 et 15,86 %. Le repli des années 1885 à 1895 est sûrement plus marqué sur la Côte-Nord qui voit sa part relative et réelle dégringoler. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la situation de relative stabilité des années 1875 à 1880 s'explique par une baisse générale dans la province alors que la région maintient sa production annuelle à quelque 130 000 épinettes. Pendant la décennie 1885-1895, la coupe d'épinettes au Québec est en pleine expansion et s’accroît beaucoup plus rapidement que la coupe de pins. Sous ce rapport, les effets de la crise économique mondiale qui dure jusqu'en 1896 ne doivent pas être exagérés lorsqu'il s'agit de l'industrie du bois au Québec.

Pour la période 1895 à 1905, les chiffres officiels fournis par le ministre des Terres et Forêt doivent être analysés avec précaution. Il n'y a pas de raison de croire qu'il y a effondrement de la production au point où en 1905, le région ne produise plus que 1,62 % de la production totale québécoise alors qu’elle se situait habituellement au-delà de 10 % dans le dernier tiers du 19e siècle. Les statistiques sur la coupe d'épinettes ne tiennent pas compte jusqu'en 1905 du bois de pâte alors qu'à partir de 1910, les données sont intégrées. L'implantation d'usines de pâte favorise un accroissement de la production locale. L'ouverture de la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi en 1896 et celle de Val-Jalbert en 1901 ne peuvent que stimuler la production. Le gouvernement perçoit 18 638 $ en droits de coupe dans la région en 1895, 9 500 $ en 1900, 15 195 $ en 19O5 et 27 803 $ en 1910. Ces données suggèrent qu'il y a une baisse sensible de la production du bois de sciage entre 1895 et 1900, suivie d’une reprise perceptible dès 1905. Le secteur de la pâte, dont les statisticiens ne tiennent pas suffisamment compte avant 1905, vient fausser l'image de l'industrie du bois. 

La lancée vertigineuse des années 1910 vient du fait que les statistiques intègrent alors bois de sciage et de pâte. Chose certaine, à l'échelle locale, il n'y a pas de crise qui permette d'expliquer l'effondrement que connaît la région dans la coupe d'épinettes entre 1895 et 1905. À partir des années 1910, la région se situe à nouveau dans ses pourcentages habituels qui dépassent les 10 %. Au sortir de la Première Guerre mondiale, tant la position du Québec que celle de la région se raffermisse. Pendant les années 1920, la région produit même entre 20 et 33 % de toute la production de la province. 
 
 
Bibliographie :

Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
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