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Chania

Les familles saguenayennes
Thème : Société et institutions

La dynamique des familles saguenayennes au 19e siècle

Laurie Goulet et Camil Girard, Groupe de recherche Histoire (GRH), Université du Québec à Chicoutimi. 2003


Les familles sont très populeuses au Saguenay–Lac-Saint-Jean, particulièrement au milieu du 19e et au début du 20e siècle. Le nombre d'enfants par famille dépasse régulièrement la moyenne provinciale et fédérale. Par exemple, la décennie 1921-1931 voit le taux de naissances de la région atteindre le double du taux canadien. Regardons de plus près les différentes particularités de ces familles.
 
Selon Girard et Perron, une famille se compose « d'individus liés entre eux par des liens de parenté qu'ils soient consanguins ou maritaux ». En interaction avec ce groupe, des gens créent et entretiennent de nombreux contacts sociaux tels que la solidarité, l'amitié et l'entraide. Ainsi, au sein des communautés, on retrouve souvent des rapports humains semblables à ceux que l'on retrouve à l'intérieur même des familles. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la grande majorité des familles sont françaises et catholiques. L'agriculture traditionnelle est l'activité économique principale, à laquelle s'ajoute le travail forestier. Les groupes familiaux se structurent dans une grande mobilité spatiale : la migration vers des terres inoccupées est privilégiée. On vise de cette façon à reproduire et à perpétuer le modèle familial des vieux territoires de peuplements. 
 
Les données recueillies dans les recensements permettent de donner une idée sur la taille de la population et sur la dimension des familles. En moyenne, des années 1850 jusqu'aux années 1920, un couple d'agriculteur engendre dix à onze enfants vivants. Pour les couples qui exercent une autre profession, on doit diminuer de un ou deux enfants. Ces statistiques ne tiennent pas compte du taux élevé de mortalité infantile à cette époque. 
 
Cependant, les familles n'ont pas toutes une moyenne d'enfants si élevée. Certains couples ont une vingtaine d'enfants alors que d'autres n'en conçoivent que trois. De plus, il faut considérer qu'un couple sur vingt est stérile. La fécondité demeure élevée dans la région. Cette particularité trouve son explication dans le contexte social et économique en période de peuplement. Les grandes familles ont déjà été observées au sein de régions nouvellement ouvertes à la colonisation. Par contre, le Saguenay–Lac-Saint-Jean se démarque de ces dernières par la longue durée de cette caractéristique. Le rendement élevé dure plus longtemps dans la région comparativement au reste du Québec. C'est que les jeunes couples qui s'installent au Saguenay ont besoin de main-d'œuvre afin de défricher les terres le plus rapidement possible. La solution que plusieurs personnes adoptent réside dans la procréation; les enfants deviennent de ce fait une main-d'œuvre généralement dévouée et peu coûteuse. En échange, les parents donnent, au moment du mariage, une partie des terres que l'enfant a défrichée.
 
Les familles saguenayennes sont plutôt mobiles, mais elles demeurent toutefois dans la région. En effet, de 1852 à 1861, près de 50% des couples changent d'emplacement en s'installant dans de nouvelles terres. La raison première de cette grande mobilité est la volonté d'installer le plus d'enfants possible en leur donnant une terre. Ce mouvement est facilité par le grand nombre de lots disponibles du milieu du 19e au début du 20e siècle. La mobilité des familles diminue donc lorsque le nombre de terres devient moins important. De plus, certains migrants venus de Charlevoix retournent dans leur région d'origine afin de rendre l'âme dans leur patelin.
 
Les familles saguenayennes suivent un modèle particulier de développement dont voici les caractéristiques. Tout d'abord, un couple se forme, officialise son union à l'église et acquiert une terre. La femme, sur une période de dix à douze ans, enfante presque chaque année. Par la suite, le délai entre les naissances devient plus grand. La femme termine sa famille vers l'âge de trente-huit ans. Les enfants fréquentent l'école primaire généralement jusqu'à leur première communion. À partir de ce moment, ils abandonnent l'école et participent activement aux travaux de la ferme. Cette période est caractérisée par l'expansion de la terre initiale et la transmission d'une partie du bien familial. Enfin, la donation du lot initial survient lorsque le père prend sa retraite, alors qu'un garçon hérite de ce patrimoine. On remarque donc que le but premier du couple est d'établir les enfants le plus près possible des parents. Ce modèle fonctionne essentiellement en période de peuplement.
 
La famille a beaucoup d'importance au Saguenay–Lac-Saint-Jean pendant la colonisation. Cependant, certaines familles quittent la région. On remarque que ces groupes sociaux avaient moins d'enfants que ceux qui sont demeurés au sein de l'espace saguenayen. En effet, comme ces couples sont peu nombreux, ils doivent embaucher de la main-d’œuvre ce qui constitue une perte de revenu. Les enfants contribuent donc au succès de l'établissement d'une famille dans une région qui s'ouvre au peuplement. En fait, la société traditionnelle a su développer des stratégies innovatrices pour maintenir une profonde cohésion sociale et culturelle tout en prenant place dans un territoire difficile à conquérir.
 
 
Bibliographie : 

Girard, Camil et Normand Perron. Histoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 665 p.
Bouchard, Gérard. Quelques arpents d'Amérique : population, économie, famille au Saguenay (1838-1971), Montréal, Boréal, 1996. 635 p.
 
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