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Le père Pacifique et la culture micmaque
Thème : Culture

Le père Pacifique de Valigny et l’émergence de la culture micmaque

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 19 octobre 2002


Le père Pacifique de Valigny est un missionnaire qui appartient à l'Ordre des Capucins. Sa communauté, membre réformé de l’Ordre des Franciscains, remplace les pères Récollets dans leur mission auprès des Micmacs de la Gaspésie à partir de 1894. De son vrai nom Henri-Louis-Joseph Buisson, le père Pacifique est né en 1863 près de Poitiers en France, dans un village qui s'appelle Valigny. Il a fait son noviciat en Espagne où il serait ordonné prêtre en 1886. Ses supérieurs l’envoient au Canada en 1890 et l’affectent à l’enseignement de la philosophie à Ottawa. Quatre ans plus tard, le père Pacifique débarque chez les Micmacs de Ristigouche auprès de qui il oeuvre pendant près d'un demi-siècle. Seul son rappel à Montréal par les supérieurs de la communauté met fin à son apostolat en 1931. 
 
L’Ordre des Capucins au Canada
 
L’Ordre des pères Capucins s’implante au Canada à la fin du XIXe siècle. Pour détourner l’obligation du service militaire auquel tout Français doit alors se plier, religieux compris, les pères Capucins de Toulouse fondent un couvent à Ottawa où leurs étudiants aspirant à la prêtrise peuvent recevoir leur formation. Après dix ans à l’étranger, il leur est possible d’échapper à cette prescription, mais, entre-temps, leur Ordre doit se donner une vocation pour les occuper, d’autant, de toute façon, que le supérieur en terre canadienne ambitionne de fonder une province de ce côté-ci de l’Atlantique.
 
En 1894, quand Mgr Blais, évêque du diocèse de Rimouski, se présente à eux pour leur demander de prendre en charge la mission de Ristigouche, sa requête arrive à point nommé. Leur supérieur, le père Alfred de Carouge, accepte avec empressement. Il s’en vient visiter dès cet été-là sa nouvelle mission en compagnie du père Pacifique. De ce jour, l'œuvre de cet homme, qui s’étend de 1894 à 1931, recouvre trois champs principaux par lesquels elle contribuera à revitaliser une culture atténuée par des siècles d’érosion. Ainsi travaillera-t-il aux plans spirituel, mais aussi social et culturel.
 
Le pasteur
 
Du point de vue religieux, le père Pacifique a tout à faire: desservir au premier titre les Micmacs de Ristigouche, mais aussi les paroisses annexes de Pointe-à-la-Garde et de Saint-Fidèle, établir des services religieux pour ses ouailles, enseigner la foi. Dès son arrivée en 1894, il construit une chapelle en remplacement de l’église incendiée l’année précédente. Parfois, son apostolat verse dans la solennité. Par exemple, voulant célébrer en 1910 le tricentenaire de la conversion du grand chef micmac Membertou, il organise à Ristigouche un congrès de toutes les tribus de la nation vivant dans les Maritimes. Huit ans plus tard, une nouvelle église est inaugurée en remplacement de la première et le père Pacifique, qui s’est mis à l’étude du micmac, fait, au moment des cérémonies, un prêche dans la langue des autochtones. Il inaugure ainsi un service pastoral qui sera désormais offert dans les trois langues parlées par les Micmacs : le micmac, l’anglais et le français. 
 
Le défenseur de la culture autochtone
 
Non seulement le père Pacifique veut communiquer avec ses fidèles dans leur langue maternelle, mais il entend redonner à cette dernière ses lettres de noblesse. Ainsi, il dispense des leçons de micmac aux religieuses du Saint-Rosaire que l’on fait venir pour enseigner aux jeunes enfants de la réserve. À leur tour, ces dernières peuvent appuyer ses efforts au plan pastoral en leur apprenant les rudiments de la langue à l’école tout en les préparant au catéchisme et à la première communion.
 
En continuité avec ces premiers efforts, le père capucin publie en 1902 un almanach en langue micmaque et rédige à toutes les semaines un billet dans la langue de ses paroissiens dans l’hebdomadaire de Saint-Jean (N.-B.), le New Freeman. Pour la première fois, les Micmacs de la Gaspésie et du Nouveau-Brunswick peuvent profiter des moyens modernes de communication. Plus encore, le père Pacifique s’attache à la publication, en 1913, d’un catéchisme en langue micmaque, Le catéchisme Micmac-Geginamatimgeoel, et d’un livret de chants et de prières aussi dans la langue de ses fidèles, Cantiques – Gtapegiemge.
 
Au-delà de cette contribution personnelle, le père Pacifique désire mettre ses fidèles en contrôle de leurs moyens de diffusion culturelle. Il crée, dans ce but, une maison d'édition qui publie The Micmac Messenger / Le Paroissien micmac. De nombreux autres ouvrages sortis des presses de leur imprimerie redonnent aux Amérindiens un accès inconditionnel à leur mode d’expression ancestrale. Parmi ces écrits, il y a Alasotmamgeoel - Le Paroissien micmac, Prayer Book in Micmac, Teloigiget Lnoi Patlias et une Petite histoire de la religion en Micmac - Sacred History in Micmac - Sag metj teli pmi Alasotmeoinoimgel osgitgamog. Plus tard, le missionnaire publiera une grammaire micmaque accompagnée d’un cahier d’exercices.
 
Le vulgarisateur
 
Au plan scientifique, le père Pacifique a voulu faire connaître davantage la communauté amérindienne de Ristigouche et y a grandement contribué. En 1906, il participe à une réunion de scientifiques tenue à Québec, le « 15e Congrès international de Américanistes », et fait une communication sur « Les caractéristiques de la Tribu des Micmacs ». En 1910, il profite du Congrès eucharistique international de Montréal pour présenter un rapport sur la dévotion des Micmacs à l’Eucharistie depuis trois siècles. En 1934, il publie un ouvrage sur la toponymie d’origine micmaque dans les provinces maritimes, un écrit qui fait rapidement autorité. Enfin, il dote la réserve de Ristigouche d'un musée et monte une collection d'objets anciens et récents issus de la culture matérielle micmaque. Il retire aussi des boues de la rivière Ristigouche les restes du navire français Le Machault et les présente aux touristes.
 
On voit, à la suite de ce récit, comment le père Pacifique a largement contribué à la renaissance de la culture micmaque au Canada. Il a non seulement enseigné la foi chrétienne aux Amérindiens de la péninsule, mais il leur a redonné la fierté de leur culture et les moyens de la défendre.


Bibliographie :

Chiasson, Anselme et Albert Landry. Ristigouche - Centenaire des Capucins 1894-1994. Québec, Ristigouche, 1992. 173 p., carte, ill. 
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. Guide de formation pour les animateurs-interprètes du village micmac Gespeg. Gaspé, Conseil de Bande Micmac de Gaspé, 1996. 152 p., cartes, ill.
Pacifique de Valigny, Père. Chroniques des plus anciennes Églises de l'Acadie: Bathurst, Pabos et Ristigouche, Rivière Saint-Jean et Memramcook. Montréal, L'Écho de Saint-François, 147 p.
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