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Gaspésie et histoire
Thème : Culture

La Gaspésie à l’avant-scène de l’histoire nationale

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire Gaspé, 10 novembre 2002


Les manuels d’histoire du Canada mettent l’accent sur des sujets qui préoccupent les populations du centre de la province ou du pays : la naissance des grandes villes comme Québec, Montréal, Trois-Rivières, la traite des fourrures, les relations Blancs-Iroquoiens, la révolte des Patriotes, la construction du chemin de fer de l’Ouest, le problème des Métis. C’est normal, ces épisodes de notre histoire se sont déroulés chez elles. Toutefois, la Gaspésie a la chance d’avoir été la première terre abordée par les Européens et, par la suite, de connaître en primeur une série d’événements qui, s’ils n’ont pas changé le cours de l’histoire officielle, ont peut-être le mérite de l’avoir devancée, sinon annoncée. 
 
Jacques Cartier
 
Jacques Cartier prend possession du Canada à Gaspé le 24 juillet 1534. Au-delà du fait que cet acte marque le début de l’histoire officielle au pays, son compte-rendu des événements permet d’étudier les premiers contacts établis avec les Amérindiens. Quand le lecteur y trouve le récit de l’enlèvement des enfants du chef iroquoien Donacona, et sachant que dans son second voyage il amènera ce dernier de force en France, il ne se surprendra pas de constater que par la suite les tribus iroquoiennes feront la guerre aux Français. Le geste de Cartier, en un sens, déclenche des hostilités qui ne prendront fin qu’avec la Paix des Braves en 1701, événement dont on vient tout juste de célébrer le 200e anniversaire. 
 
Mgr de Laval
 
En 1659, Mgr de Laval, depuis peu Vicaire apostolique du Canada, s’en vient prendre possession de son diocèse. Le navire sur lequel il voyage jette l’ancre à Percé, premier arrêt en Amérique. Le prélat peut déjà dresser un constat sur l’état de son nouveau diocèse. Le poste de pêche est fréquenté par des marins français, mais il n’y a point d’église, ni de prêtre résidant ou de missionnaire pour desservir la population estivale. Pourtant, à chaque été, environ dix bateaux-pêcheurs et quelque 700 à 800 personnes viennent y tirer leurs lignes, amenant avec eux une centaine d’enfants pour assurer la manutention du poisson sur les graves. Mgr de Laval en dénombre d’ailleurs quatre-vingt-cinq en âge d’être confirmés, mais qui ne l’ont pas été parce qu’employés trop jeunes dans les pêches. L’occasion s’y prêtant, il organise une cérémonie où il leur confère la sainte onction en même temps qu’à cinquante-cinq jeunes Micmacs. C’est là le premier geste de son apostolat en Amérique, avant de prendre la route de Québec où à peine cinq cents personnes l’attendent sur les quais. 
 
Jacques de Meulles
 
Juste avant de retourner en France après avoir rempli son mandat, l’intendant Jacques de Meulles organise une visite de l’Acadie et des côtes du golfe Saint-Laurent. Sa tournée des établissements de pêche le conduit finalement à Percé au mois de juin 1686. Il y trouve une dizaine de navires qui viennent des plus grands ports de France : Honfleur, Saint-Malo, Granville, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz. Ces équipages ont peu d’intérêts en commun, hormis l’exercice de leur métier. Or, justement, la concurrence joue très fort entre eux et, quand l’intendant débarque à Percé, celui-ci tombe en plein cœur d’une chicane récurrente. À chaque année, c’est la course entre les capitaines pour s’accaparer les meilleures graves et les sites de transformation du poisson. Ils sont des centaines d’hommes à se disputer les espaces à Percé, autant dans la baie de Gaspé et encore plus sur les côtes de l’Acadie. Après une discussion concertée avec les maîtres d’équipage, de Meulles établit un règlement en dix points qui devrait ramener la tranquillité sur les lieux de pêche, mais qui présente aussi la particularité, quand on le considère comme il le faut, d’être la première convention de travail négociée au Canada.
 
Le général Wolfe
 
Le quatre septembre 1758, le général Wolfe débarque à Gaspé. Suivant un plan de combat bien établi, il vient assurer la campagne de 1759 en écartant la présence française de la péninsule. Ainsi, ses hommes détruisent les établissements de Pabos, de Grande-Rivière, ceux de la baie de Gaspé proprement dits ainsi que de Mont-Louis. Un peu plus de quinze jours lui suffisent pour ravager la côte de la Gaspésie et la vider de ses occupants. La campagne de Gaspé et la déportation de ses habitants à Saint-Malo en France constituent une étape préliminaire qui permet à son armée d’avancer dans le Saint-Laurent en garantissant ses arrières. Une année plus tard, presque jour pour jour, un treize septembre, le même général Wolfe perdra la vie sur les Plaines d’Abraham, mais ses hommes prendront la ville de Québec sans peur de se voir coincés dans l’échancrure du Saint-Laurent.
 
Les Pères de la Confédération
 
Les Pères de la Confédération ont négocié la création d’un nouveau Canada avec les Maritimes en 1867. La première rencontre des politiciens qui avaient lancé cette idée doit avoir lieu à Charlottetown en septembre 1864. Les colonies anglaises de l’Atlantique nord, sauf le Canada, s’y sont données rendez-vous. John A. Macdonald, George Étienne Cartier et d’Arcy McGee entendent cependant s’y rendre à titre d’observateurs. La conférence débute le 1er septembre, mais les trois hommes quittent Québec que trois jours avant, ce qui constitue un bien court délai, surtout que leur navire peut rencontrer en tout temps une tempête qui le retarderait. Or, malgré ce calendrier serré, Macdonald et ses confrères font un léger détour par Gaspé et y passent une journée pleine, beaucoup plus de temps que nécessaire pour refaire des provisions de charbon, comme pourraient le penser certains. Pendant cet arrêt, les trois hommes rencontrent à sa résidence le député conservateur, industriel des pêches et homme d’affaires John Le Boutillier avec qui, dans le contexte, ils ne peuvent que s’être entretenus des débats du jour, l’union du Canada avec les Maritimes. L’hypothèse n’est pas sans fondement. Connaissant la carrière de Le Boutillier, le seul homme dans le gouvernement à réellement bien connaître l’économie des colonies avec lesquelles le Canada entend négocier son union, il est facile de croire que ses avis peuvent leur être d’une grande utilité.
 
William Wakeham
 
William Wakeham est, dans les années 1890 médecin et fonctionnaire du gouvernement chargé d’inspecter les postes de pêche canadiens établis sur les rives du golfe Saint-Laurent. À l’époque, la suprématie du Canada sur les terres arctiques, que l’Angleterre lui a données en 1880, est menacée, d’autant que le pays n’a jamais cru bon d’affirmer sa propriété. À l’été 1897, devant la présence croissante des étrangers, Danois, Suédois, Américains, Écossais, le gouvernement mandate Wakeham de se rende sur ce territoire pour en prendre possession au nom du Canada. La mission est accomplie à Kekerton le 17 juillet 1897, assurant incontestablement au pays la propriété de l’Archipel arctique, lequel constitue aujourd’hui 50 % du territoire canadien.
 
Combien d’autres événements qui ont connu leurs prémisses en Gaspésie pourraient ainsi être cités. Par exemple, la demande de séparation de la Gaspésie en 1840, le forage des premiers puits de pétrole près de Douglastown dans les années 1850, la présence allemande sur les côtes de la Gaspésie en 1942, la réunion des protagonistes du Front de Libération du Québec (FLQ). à la Maison du Pêcheur à Percé à la fin des années 1960, etc… Voilà qui fait dire que la Gaspésie est à l’avant-scène de l’histoire nationale.
 
 
Bibliographie :

Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario., « La déportation de Gaspé - L'établissement de Pierre Revol à Gaspé 1756 – 1758 », Gaspésie, vol. XXI, no 3 juillet-sept. 1983, p. 17 - 31.
Mimeault, Mario. John Le Boutillier (1797 - 1872) - La belle époque de la Gaspésie. L'Anse-au-Griffon, Corporation du Manoir Le Boutillier, 1994. 115 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario, « William Wakeham », Dictionnaire Biographique du Canada, vol. XII, p. 1134-1135.
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