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La révolte de Rivière-au-Renard
Thème : Société et institutions

La révolte de Rivière-au-Renard

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 9 septembre 2002


Rivière-au-Renard porte fièrement aujourd’hui le titre de Capitale des pêches du Québec. Et ce n’est pas sans raison, avec plus de 200 ans d’histoire locale tournée vers l’exploitation de la ressource halieutique. Ce village est aussi passé à la postérité pour avoir été en 1909 le théâtre d’une manifestation, dirait-on de nos jours, de pêcheurs qui revendiquaient de meilleurs prix pour leurs prises. Le mouvement de mécontentement est connu depuis sous le nom de Révolte de Rivière-au-Renard. L’action des pêcheurs, dans les circonstances, n’est pas dirigée contre une autorité politique comme peut le laisser croire l’usage du mot « révolte », mais contre un système économique dominé par des compagnies étrangères, essentiellement jersiaises.
 
Le village de Rivière-au-Renard
 
Le village de Rivière-au-Renard s’étale sur les rives d’une large baie ouverte sur le golfe Saint-Laurent, à l’extrémité est de la péninsule gaspésienne. Il a été fondé vers 1790 par quelques familles canadiennes-françaises et irlandaises. Ainsi, y retrouve-t-on côte à côte des Bond, des English, des Tapp, des Élément, des Chrétien, des Joncas, des Jalbert, des Dupuis, etc. Le curé de la paroisse, l’abbé Élias Morris, originaire de Douglastown, est lui-même, par ses parents, d’origine irlandaise. Relèvent de sa paroisse les villages ou regroupements de Pointe-à-la-Renommée, l’Anse-à-Valleau, Saint-Maurice-de-l’Échouerie, Pointe-Jaune, Petit-Cap et Petite-Rivière-au-Renard. L’ensemble fait plus de vingt kilomètres de côte et ramasse une population d’un peu plus de 2 000 habitants. Une grande partie d’entre eux vivent de la culture du sol. Pendant l’hiver, plusieurs tirent de leur terre du bois qu’ils font scier ou qu’ils vendent aux moulins de Jean-Baptiste Jalbert, à la Petite-Rivière-au-Renard, et de Georges Plourde, à l’embouchure de la rivière au Renard. La majorité de la population s’occupe cependant de la pêche de la morue.
 
La condition du pêcheur
 
S’il ne la loue pas d’une compagnie de pêche, le pêcheur possède sa propre barque, un flat de douze à treize pieds de long muni de deux rames, ou une barge de dix-huit à vingt-deux pieds de quille et pourvue de voiles. Chacun possède ses agrès de pêche : deux filets, des lignes, des manigots, des turluttes, une haussière (corde pour amarrer le bateau), des grappins, un panier pour sa boëte (appâts), des couteaux et des baquets (chaudières). Équipé de ces outils, le pêcheur gaspésien prend en moyenne entre soixante et soixante-dix quintaux (55 kilos par quintal) de morue par saison. En 1908, il reçoit 5 $ le quintal, ce qui signifie pour lui une entrée d’argent de 300 $ à 350 $, une somme suffisante pour rencontrer ses dettes.
 
Chaque matin, le pêcheur se lève à la barre du jour et prend le large. S’il ne vente pas, il rame. Pendant un mille, peut-être deux. À son retour, le soir, sa femme et ses enfants l’aident à débarquer la morue qu’il prépare ensuite directement sur le plain. Quand elle est prête, il l’amène aux magasins de la compagnie Robin, situés sur le banc de sable, au centre du village, ou à la compagnie Hyman, dans la partie est du village; il peut aussi aller chez Fruing (les Vieux disaient Forouinn), à l’ouest de l’anse. Ces compagnies fonctionnent suivant un système développé par Charles Robin. Le pêcheur achète ses agrès à crédit au printemps et enregistre ses prises durant l’été. La compagnie fixe elle-même les prix et fait un état du compte à l’automne. Soit qu’elle se rembourse avec les surplus, ce qui s’avère plutôt rare, ou qu’elle garde en compte la dette du pêcheur jusqu’à la saison suivante, une fois la pêche terminée.
 
La condition de l’industrie
 
Depuis deux ou trois ans, les pêches se portent bien. En 1907, 230 bateaux sont mis à l’eau depuis Rivière-au-Renard jusqu’à Pointe-à-la-Renommée. La campagne de 1908 est aussi considérée par l’inspecteur des pêches William Wakeham comme généralement bonne et même supérieure à l’année précédente. Deux cent cinquante-six barques se rendent sur les hauts fonds. La saison 1909, celle qui connaît le soulèvement des pêcheurs, commence bien elle aussi. Par contre, les prix de la morue sont assez bas et le nombre de bateaux engagés dans les pêches est moindre dans l’ensemble du Québec. Ce n’est cependant pas le cas pour la région de Rivière-au-Renard dont le nombre de bateaux-pêcheurs grimpe à 276, mais les prises baissent et la production de morue séchée-salée s’en ressent. De 15 132 quintaux de morue séchée-salée l’année précédente, celle-ci passe à 14 939 quintaux. En fait, on observe à Rivière-au-Renard une augmentation de l’effort de pêche pour une diminution des rendements. Normalement, les prix accordés aux pêcheurs devraient monter puisque la ressource se fait rare, mais, au contraire, ils baissent abruptement en cours de saison de 5 à 3 $ le quintal, un rajustement explicable par une valeur moindre du poisson sur le marché mondial. 
 
La révolte
 
Dans un contexte où le pêcheur engage en début de saison des frais suivant le prix de revient de ses prises, il est assuré qu’en les rajustant à la baisse les grandes compagnies les enfonçaient dans l’endettement. Les pêcheurs qui voient venir le coup envoient l’un d’entre eux, Philippe Francoeur, négocier la vente de leur poisson directement avec un acheteur d’Halifax. Le bateau de ce client arrive à Rivière-au-Renard le 3 septembre, mais il quitte le village dans la nuit suivante sans rien transiger. Soupçonnant une collusion de dernière heure avec les compagnies, les pêcheurs de la côte, une cinquantaine d’hommes au départ, se rendent chez la Robin Collas and Co. dans la journée du 4 septembre, avec Joseph Tapp à leur tête, et demandent un prix de 4 $ le quintal pour leur poisson. 
 
Aucunement habitué à ce genre de manifestation de solidarité, les agents de la compagnie paniquent et s’enfuient. À la faveur de la bousculade, l’un d’eux sort une arme et blesse un pêcheur, Urbain Chrétien, à la cuisse. Évidemment, le commis reçoit une rossée. Le lendemain, un nouvel attroupement et des négociations avec les gérants des magasins locaux conduisent à une entente forcée que renient leurs patrons à l’étranger. Le 7 septembre, ces derniers demandent l’appui du gouvernement qui envoie deux bateaux armés à Rivière-au-Renard. Les militaires arrêteront dans les jours suivants un peu plus d’une quinzaine d’hommes qui demandaient rien de plus qu’un prix équitable pour leur morue. D’autres personnes seront arraisonnées et toutes sont poursuivies en justice puis emprisonnées à Percé. 
 
Le bilan de l’affaire : les pêcheurs perdent leur cause, mais les compagnies paient le prix fort. Les affaires de la Robin, Collas and Co. périclitent au point ou ses actionnaires vendent leurs parts à une maison d’Halifax. La nouvelle compagnie est depuis connue sous le nom de Robin, Jones and Whitman. Pour sa part, la William Fruing and Company fait faillite en 1912. Quant à la raison du soulèvement, le prix du poisson payé au pêcheur, il remonte à partir de 1910 pour atteindre des sommets incomparables pendant la Première Guerre mondiale. 
 
 
Bibliographie :

Bérubé, Louis. Coup d’œil sur les pêcheries du Québec. Sainte-Anne-de-la-Pocatière, École Supérieure des Pêcheries, 1941, p. 16-19, 30, 63.
Clarke, John Mason. The Hearth of Gaspé. Sketches in the Gulf of St-Lawrence. New York, MacMilland, 1913, p. 56-62.
Jalbert-Côté, A. « La révolte de 1909 à Rivière-au-Renard », La Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. IV, no 1, janvier-mars 1906, p. 5-9.
Keable, Jacques. La révolte des pêcheurs. L’année 1909 en Gaspésie. Montréal, Lanctot Éditeur, 1996. 165 p., carte.
Wakekam, William. « Rapport de l’inspecteur des pêches. Années 1905-1910 ». Journaux de l’Assemblée législative du Canada, années 1905-1910. Ottawa, Imprimeur du Roi, 1905-1910.
 
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