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Pierre Fortin
Thème : Société et institutions

Pierre Fortin, inspecteur des pêches et député

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 24 août 2002


Pierre-Étienne Fortin est un fonctionnaire du gouvernement connu en son temps sous le surnom de Roi du golfe. Son sobriquet lui vient de l’importance de la fonction, Surintendant des pêches, qu’il remplit de 1852 à 1867 et du crédit que les gens de la côte lui accordent. Ses parents, Pierre Fortin et Marie-Anne-Julie Crevier dit Duvernay, n’ont rien à voir avec le milieu maritime. Son père est un charpentier qui s’installe à La Prairie un an avant sa naissance et sa mère est la sœur du fervent et engagé nationaliste montréalais Ludger Duvernay. Lui-même, Pierre-Étienne Fortin, plus connu sous le simple prénom de Pierre, est natif de Verchères où il voit le jour le 14 décembre 1823. 
 
Les débuts de sa carrière
 
Ses parents étant déménagés à La Prairie, Pierre Fortin y fait son école primaire et secondaire après quoi il poursuit ses études au Petit Séminaire de Montréal. Il entre ensuite au collège de médecine de l’Université McGill dont il sort diplômé en 1845. Il exerce sa profession à La Prairie pendant deux ans puis il offre en 1847 et 1848 ses services à titre de volontaire pour soigner la population de Montréal et les immigrés de la Grosse-Ile, victimes d’une sévère épidémie de typhus. L’année suivante est pour lui l’occasion d’une réorientation majeure. Des émeutes ont lieu dans la métropole suite à la décision du gouvernement du Canada-Uni, dirigé par Louis-Hippolyte Lafontaine, d’indemniser les victimes de la Rébellion de 1837-38. Fortin commence alors une carrière dans la fonction publique qui va le conduire jusqu’en Gaspésie. Il devient chef d’un escadron policier chargé de contenir les ardeurs des émeutiers qui acceptent mal l’aide apportée aux anciens rebelles. Après ces événements, il revient à La Prairie où il organise et dirige un groupe de policiers montés.
 
À cette époque, et dans un tout autre domaine, le gouvernement canadien est aux prises avec des problèmes de juridiction sur ses eaux limitrophes. L’Angleterre a signé avec les États-Unis un traité en 1818 qui permet à leurs pêcheurs de puiser dans les stocks de morue du golfe Saint-Laurent. Les Américains doivent se tenir à 5,6 kilomètres des côtes canadiennes, mais ils ne respectent pas cette disposition. La France envoie pour sa part à chaque année plus de 300 navires sur les bancs de pêche. La concurrence est dure pour les pêcheurs de la Gaspésie et, par le fait même, pour l’économie canadienne. La présence américaine et européenne à elle seule pousse les colonies britanniques d’Amérique du nord à s’entendre pour se protéger de cette concurrence. Chacune s’organise et met en place à partir de 1851 des équipages chargés de la surveillance de leurs intérêts dans le golfe Saint-Laurent. Pour sa part, le gouvernement de Québec crée en 1852 Le Service de protection des pêcheries avec à sa tête un magistrat stipendiaire, c’est-à-dire délégué pour structurer le service, appliquer les lois et organiser la protection des pêches. Le poste est ouvert et Pierre Fortin applique puis l’obtient. Il occupe la fonction d’Inspecteur des pêches jusqu’en 1867, année où il décide de faire le saut en politique.
 
L’Inspecteur des pêches
 
Les responsabilités d’Inspecteur des pêches sont multiples. Le fait d’être médecin favorise certainement Fortin puisqu’un des devoirs qui lui incombent est de s’occuper de la santé des personnes installées dans les établissements de pêche du golfe Saint-Laurent. Il doit aussi veiller au respect des ententes signées entre le Canada et ses voisins du sud et voir à ce que les pêcheurs américains n’incommodent pas les pêcheurs canadiens. Il a d’ailleurs, à ce titre, à surveiller au début des années 1860 plusieurs équipages américains qui perturbent les opérations des postes de Mont-Louis, du Grand-Étang, de La Madeleine, de Grande-Vallée et de Petit-Cap. Certains pillards vont un jour jusqu’à graisser leurs bottes dans l’huile de foie de morue des pêcheurs. L’Inspecteur des pêches délivre des permis de pêche au saumon et recueille des statistiques sur les prises effectuées dans les rivières concernées. Pierre Fortin dispose en plus d’un mandat de Juge de Paix, ce qui lui confère le droit et l’autorité pour régler sur place des situations conflictuelles relatives aux pêches et d’imposer des amendes à des pêcheurs contrevenants. 
 
Dans des cas extrêmes, comme il en est arrivé un le jour d’une agression sévère aux îles de la Madeleine, le docteur Fortin a le pouvoir de procéder à des arrestations et d’amener les témoins principaux au palais de justice de Percé. Fortin, qui commande d’abord le Napoléon III, puis La Canadienne, dispose d’un équipage de dix-huit hommes armés et entraînés. Quand la situation l’exige, il peut les mettre au service de la justice. Par exemple, un bon jour, les juges de la cour de Percé, craignant une émeute en raison d’un procès délicat, lui demandent de se présenter pour la tenue des sessions. Plus de 700 personnes s’étaient ramassées au moment venu près du palais de justice, mais la seule vue des hommes, bien connus, de La Canadienne, suffit pour préserver l’ordre. En d’autres temps, les membres de son équipage prêtent main forte aux administrations municipales qui ne parviennent pas toujours à percevoir les taxes scolaires. Cela est arrivé à Bonaventure, Percé et Rivière-au-Renard. Ce sont là des actions qu’il consigne à chaque année avec les statistiques recueillies en cours de mission dans un ouvrage publié par le gouvernement.
 
Le politicien
 
En 1867, le Canada devient un pays indépendant avec la mise en application de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique. Des élections doivent permettre de choisir de nouveaux représentants du peuple. Dans la région, John Le Boutillier, député du comté de Gaspé, avance en âge et désire se retirer. Pierre Fortin, avantageusement connu des Gaspésiens, se présente alors comme candidat conservateur à la Chambre des communes à Ottawa en même temps qu’il postule le mandat de député à l’Assemblée législative du Québec. C’est là, aujourd’hui, une démarche impossible à faire, mais bien permise alors et, le plus surprenant, c’est que Pierre Fortin remporte la victoire dans les deux cas. Il remplit ses deux mandats jusqu’en 1873 alors que le principe de la double représentativité est aboli. 
 
Réélu député à chaque élection qui suit, Pierre Fortin ne se représente pas au fédéral en 1874, mais il continue au provincial où, l’année précédente, il a été nommé Commissaire des Terres de la Couronne. En 1875, il occupe la charge de Président de l’Assemblée législative et crée en 1876 une section marine à la bibliothèque de l’Assemblée. En 1878, Pierre Fortin passe à nouveau au fédéral où il se fait élire et siège à la Chambre des Communes jusqu’en 1887 alors qu’il est nommé sénateur. Une année plus tard, en 1888, il décède.
 
Au plan des bilans, le député Fortin peut revendiquer les débuts de la construction du chemin de fer de la baie des Chaleurs et la mise en place du réseau de télégraphie ceinturant la Gaspésie à partir des années 1870. Il est aussi à l’origine de la politique canadienne de construction de phares dans le golfe Saint-Laurent et à l’embouchure de son fleuve. Il en avait demandé la mise en place au temps où il était Inspecteur des pêches, comme il avait aussi demandé à ce moment la création d’une école de navigation. 


Bibliographie :

Bilas, Irène. « Pierre-Étienne Fortin », Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI, p. 351-353.
Bilas, Irène. « Pierre-Étienne Fortin – Le Roi du golfe », Gaspésie, vol. XXIV, no 2, p. 16-17.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Potvin, Damase. Le Roi du Golfe. Le Dr. P. E. Fortin. Ancien Commandant de La Canadienne. Québec, Éditions Cartier Latin, ca 1943. 183 p., ill.
Stewart, W. Brian, « A Life on the Line ». Commander Pierre-Étienne Fortin and his Times. Ottawa, Carleton University Press, 1997, xi-218 p. (Coll. Carleton library series, no 188)
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