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Les réfugiés loyalistes
Thème : Société et institutions

Les réfugiés loyalistes

Mario Mimeault, Ph. D.Histoire. Gaspé, 7 septembre 2002


Une multitude de facteurs ont, au cours des âges, attiré les gens en Gaspésie. Par exemple, les Basques, les Bretons et les Normands s’intéressent au poisson. Les Jersiais aussi. Ceux qui les suivent y trouvent d’autres attraits. Aux lendemains de la Conquête, les Irlandais licenciés par l’armée britannique s’y voient offrir des terres par le gouvernement. Pour leur part, les Écossais viennent travailler dans la coupe du bois et les Loyalistes chassés de la Nouvelle-Angleterre en 1783 y trouvent une terre d’accueil.
 
La Guerre d’indépendance américaine 
 
En 1763, l’Angleterre gagne la Guerre de la Conquête. Sa partenaire, la Nouvelle-Angleterre, a payé la victoire tout aussi chèrement que la mère patrie. Elle s’attend à en retirer des bénéfices, mais, Oh surprise! le Traité de Paris et la Proclamation royale (1763) ne lui rapportent rien. Les Canadiens français sont installés dans la Province of Québec et le terrain libéré est accordé aux Amérindiens. Le roi  ne leur laisse rien. Pis encore, il taxe leur économie sans leur consentement alors que les vaincus conservent leur langue, leurs terres et leur religion. La mésentente s’élève entre la Nouvelle-Angleterre et l’Angleterre, tant et si bien que les deux parties en viennent aux coups et c’est la Guerre d’indépendance (1776-1783).
 
Les préparatifs
 
Pendant le conflit armé, les gens de la Nouvelle-Angleterre attachés aux institutions britanniques subissent les foudres de la majorité qui désire se séparer. Plusieurs, comme Azariah Pritchard, se réfugient au Canada. C’est ainsi qu’un camp d’immigrants se dresse sur les rives du Richelieu, à Yamachiche, près de Sorel. Après que le Traité de Versailles ait reconnu l’indépendance des États-Unis en 1783, le flot de réfugiés grossit considérablement. Environ 10 000  Loyalistes s’installent de ce côté-ci de la frontière. Le gouverneur de Trois-Rivières, Frederick Haldimand, envisage de récupérer cette population en l’installant sur des terres agricoles. Comme il connaît bien la Gaspésie, où il possède la seigneurie de Pabos, il envoie en 1783 un officier de l’armée, Justus Sherwood, repérer avec Azariah Pritchard des terres qui leur conviendraient. Ces derniers font le relevé du potentiel régional : les rivières à saumon de Pabos et de Bonaventure, les terres fertiles de Maria et Carleton, les avantages offerts par Paspébiac pour le commerce et la pêche, le climat de la région et la présence, un peu partout, de forêts potentiellement commerciales.
 
Pendant que s’effectue ce voyage d’exploration, le lieutenant-gouverneur Cox confie à Felix O’Hara le soin d’arpenter des terres que le gouvernement pourrait distribuer aux nouveaux venus. Ce dernier dresse à cette intention le plan des villages d’Haldimandtown et de Douglastown, situés de part et d’autre de l’embouchure de la rivière Saint-Jean, dans la baie de Gaspé, puis de New-Richmond dans la baie des Chaleurs. En février 1784, le gouvernement enclenche une campagne de presse en faveur de la Gaspésie pendant qu’Azariah Pritchard essaie d’intéresser ses compatriotes à la région. Finalement, le 9 juin suivant, 315 personnes prennent la direction de la baie des Chaleurs à bord de six navires. Arrivés à destination, trois jours plus tard, le groupe compte 129 hommes, cinquante-deux femmes et 134 enfants. D’autres compatriotes les rejoignent à la fin de l’été et tard à l’automne. Les derniers arrivés augmentent leur nombre à 406 personnes.
 
Aire d’installation
 
Justus Sherwood avait estimé, lors de son voyage en 1783, que 1 500 familles pouvaient trouver des terres à leur convenance en Gaspésie. C’est dire que les nouveaux colons ont apparemment le choix, mais il semble que les espaces proposés ne les satisfassent pas. Felix O’Hara doit arpenter en toute vitesse les terres aujourd’hui situées à Paspébiac. Comme l’endroit est dans son esprit destiné à la pêche, les lots qu’il délimite sont de dimensions restreintes. Il prend aussi soin de préserver les boisés situés à l’arrière du canton pour la construction navale et les terres déjà occupées par les Acadiens. 
 
Les Loyalistes ne se concentrent toutefois pas qu’entre Paspébiac et New-Carlisle. Beaucoup choisissent de s’installer entre Ristigouche et Matapédia ou bien entre Carleton, Maria et New-Richmond. Certains remontent même un peu vers l’est, jusqu’à Port-Daniel et Newport. Le village de New-Carlisle devient presque immédiatement le centre d’administration de la baie des Chaleurs. D’abord, le lieutenant-gouverneur de la Gaspésie, Nicholas Cox, installé à Barachois depuis une dizaine d’années, y déménage en permanence le siège du gouvernement en 1785. Sa présence s’imposait davantage dans ce secteur  en raison de l’attitude indisciplinée de certains Loyalistes. Cox en vient même à demander à Haldimand de lui adjoindre un sheriff et des Juges de Paix. Avec lui, suit l’administration du gouvernement et, bien qu’il ne dispose que d’un personnel restreint, sa présence attire autour de son nouveau lieu de résidence des fonctionnaires et des hommes de loi. Des services s’y concentrent avec le temps, dont une école, un palais de justice et une prison de comté. 
 
Une implantation rapide
 
Dès leur arrivée en Gaspésie, les  Loyalistes s’attaquent à l’organisation du milieu. Ils commencent immédiatement à défricher leurs terres et la première récolte permet déjà d’envisager la construction d’un moulin à blé. Pendant que certains s’adonnent à l’agriculture, d’autres se tournent vers la pêche, particulièrement ceux qui s’installent dans la région de Gaspé. Un rapport du mois de novembre 1784 rapporte qu’ils ont déjà réussi à ce moment à produire et à exporter 25 000 quintaux de morue salée-séchée. 
 
La preuve en est alors faite. Le milieu est viable pour les nouveaux arrivants et, même si plusieurs familles quittent par la suite la baie des Chaleurs pour rejoindre des noyaux plus importants de compatriotes ailleurs dans la province de Québec, le gros de leur population demeure dans la péninsule. Aujourd’hui, il apparaît évident que l’apport de ces Loyalistes à la Gaspésie est important à plusieurs égards. Outre le renforcement du caractère multiculturel qu’affichait déjà la péninsule, ceux qui restent lui permettent de renforcer des structures gouvernementales qui n’eussent probablement pas été offertes à la population sans leur présence. 


Bibliographie :

Annett, Ken et Wilbert H. Siebert. « The Loyaliste Settlement on the Gaspé Peninsula », SPEC, 1 octobre 1985, p. 16-17. 
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Flowers, A. D. Loyalists of Bay Chaleur. Vancouver, Precise Instant Printing, 1973. 164 p., cartes, ill.
McDougall, David J. « Loyalist Artificers ont the Gaspé Coast », SPEC, 4 juin 1985, p. 14 s.
Mimeault, Mario. « Azariah Pritchard », Dictionnaire Biographique du Canada. P.U.L./ U.T.P., 1987. Vol. VI, p. 680.
 
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