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La dernière bataille navale du Régime français
Thème : Société et institutions

La dernière bataille navale du Régime français

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 2 septembre 2002


L’année 1760 marque les derniers moments de la Nouvelle-France. Le territoire de la colonie s’amenuise au fur et à mesure que les troupes anglaises progressent à l’intérieur du Saint-Laurent. À l’été 1758, le général Wolfe vide la Gaspésie de ses habitants puis, une année plus tard, il déboute les Français de Québec à la faveur de la bataille des Plaines d’Abraham. Maintenant, le gros des troupes et l’administration française sont réduits à la ville de Montréal. Le capitaine Jean Barré leur a envoyé les derniers paquets du roi à l’automne et le gouverneur ne compte plus que sur un renfort de dernière minute, sinon, il devra rendre les armes.
 
Les expéditions de 1759 et de 1760
 
À l’époque, la France pouvait difficilement appuyer la Nouvelle-France, occupée qu’elle était par le conflit sur le vieux continent. Le gouvernement s’adresse alors à Joseph Cadet pour le transport des troupes. Ce Cadet est le même qui possédait jusqu’en 1758 les droits sur la seigneurie du Mont-Louis. Munitionnaire du roi en Nouvelle-France, il a fait traverser l’année précédente du blé et des articles de commerce jusqu’à Québec malgré la présence des bateaux anglais dans le Saint-Laurent. L’expédition, qui comprenait une vingtaine de bateaux arrive précisément à Québec le 18 mai 1759. Non seulement Joseph Cadet et ses partenaires d’affaires ont à cette occasion l’obligation de traverser quelques centaines de recrues au Canada, mais il leur revient en plus de les armer à leur frais. 
 
L’année suivante, c’est le gouverneur Vaudreuil qui adresse des demandes de renfort au roi et c’est encore à la marine marchande que le gouvernement s’adresse. Six navires sont armés à partir de Bordeaux, encore aux frais de Cadet. Ils comprennent le Machault, le Bienfaisant, le Soleil, la Fidélité ainsi que l’Aurore et le Marquis de Malauze. Le gros de la cargaison se compose de farine que le munitionnaire commandait pour le service du roi, du moins officiellement. Quatre cents soldats, des recrues sans expérience, des cadets de l’armée et des apprentis cuisiniers sont embarqués. Leur chef est Gabriel-François d’Angeac, beau-frère de François Lefebvre de Bellefeuille, seigneur de Pabos. 
 
Une difficile traversée
 
La flotte dirigée par Chenard de la Giraudais, commandant du Machault, quitte Bordeaux le 10 avril 1760, mais elle est aussitôt attaquée par deux navires britanniques qui lui prennent le Soleil, la Fidélité et l’Aurore et ne lui laissent ainsi que la moitié des troupes qu’elle devait amener en Amérique. Les navires restants parviennent sains et saufs de ce côté-ci de l’Atlantique. Arrivés à l’île aux Oiseaux, aux îles de la Madeleine, ils s’emparent d’un navire marchand anglais en route pour le port de Québec. Par des lettres trouvées dans les coffres du capitaine, La Giraudais apprend qu’une dizaine de frégates et de bateaux anglais l’avaient précédé de six jours dans le fleuve et qu’ils avaient déjà atteint Québec. 
 
Sachant maintenant son chemin coupé, l’officier français s’entend avec son équipage pour gagner la baie des Chaleurs auquel lieu il parvient après avoir fait quelques nouvelles prises aux environs de Percé. Le 17 mai, il entre dans la baie des Chaleurs et jette l’ancre à Bonaventure. Le 18, il progresse vers le fond de la baie et mouille ses navires à quelques lieues de Ristigouche. Il faut savoir, ici, pour la bonne compréhension des choses, que Ristigouche se situait alors du côté sud de la baie des Chaleurs. De là, il envoie le sieur Antoine-Charles Denys de Saint-Simon, un officier canadien d’origine gaspésienne par son père, porter des paquets du roi au gouverneur Vaudreuil à Montréal. Le même jour, le sieur d’Angeac débarque ses hommes du côté nord de la baie en un lieu qui sera désormais connu sous le nom de Pointe-à-la-Batterie. Tout près, se trouve un petit détachement militaire déjà en place à la Pointe-à-Bourdeau sous les ordres de Jean-François Bourdon. Et entre cette Pointe-à-Bourdeau et la Pointe-à-la-Batterie, quelques 1 000 réfugiés acadiens et français se sont construit des abris temporaires, ni plus ni moins que des cabanes auxquelles on donnera le nom pompeux de Nouvelle-Rochelle. Du côté sud, à Atholville, 200 Micmacs habitent le village de Ristigouche.
 
La bataille finale
 
Pendant que les Français s’installent dans l’estuaire de la Ristigouche, les Anglais ont vent de leur présence. Le gouverneur Withmore de Louisbourg leur envoie le commodore Byron à la tête de cinq navires de guerre et de quatre goélettes. Le 23 juin, La Giraudais apprend leur arrivée dans la baie des Chaleurs. Il renforce la Pointe-à-la-Batterie et coule plusieurs petits bâtiments dans le chenal pour bloquer le chemin à l’ennemi. Il fait remonter ensuite les bateaux le plus haut possible dans la rivière. Il n’a là qu’un bref répit. Le lendemain, la flotte anglaise est complète : trois vaisseaux de ligne, deux frégates et une goélette, l’ensemble monté par 1 700 hommes. Les Français n’ont pour leur opposer qu’une frégate, le Machault, et deux navires marchands, le Bienfaisant et le Marquis de Malauze. Ils comptent au maximum 1 500 hommes, comprenant les soldats réguliers ou de réserve, les Acadiens et les Micmacs. 
 
Les Anglais mettent trois jours à atteindre la Pointe-à-la-Batterie et à la désarmer. Du 28 juin au 3 juillet, des accrochages opposent les deux parties en présence. Ce jour-là, Byron détruit la batterie et le village de Ristigouche. Par la suite, deux nouvelles batteries sont érigées de part et d’autre de la rivière, à la hauteur de Campbellton au sud et de Pointe-à-la-Croix au nord. Des bâtiments secondaires sont en plus coulés dans le chenal. Le Machault est placé en travers du cours d’eau de manière à bloquer l’avancée ennemie et derrière lui, en retrait dans la rivière, sont ancrés le Bienfaisant et le Marquis de Malauze. Le combat final débute le 8 juillet à cinq heures du matin. Le Machault, de par sa position, offre l’essentiel de la résistance, mais il est aussi celui qui essuie le feu ennemi. Ses hommes canonnent le navire de Byron, le Repulse, et le coulent, mais lui-même prend l’eau. À court de munitions, La Giraudais finit par le laisser en le sabordant puis met le feu au Bienfaisant. Il abandonne par contre le Marquis de Malauze avec les prisonniers anglais qu’il y avait fait enfermer à fond de cale. Les hommes de Byron viennent les libérer puis brûlent le navire. Les Anglais débarquent à terre en fin d’après-midi et les combats durent jusqu’à onze heures du soir alors que les Français décrochent. 
 
La bataille du 8 juillet, la dernière du Régime français, prend fin à ce moment. Le bilan est de trente tués et blessés pour les Français et de vingt-quatre tués et blessés pour les Anglais. Byron tient son escadre à l’écart pendant une dizaine de jours et se retire le 17 juillet pour regagner Louisbourg. C’est pour lui une victoire. La flotte française est ruinée, 200 000 Livres de marchandises diverses sont par le fond et il a isolé le village de Ristigouche. La Giraudais passe en France le 10 août, mais Dangeac tient le fort jusqu’en septembre sans savoir que Montréal a capitulé. Le quinze octobre, les Anglais lui apportent une lettre de Vaudreuil lui enjoignant de se rendre, ce qu’il fait le 30 octobre suivant en s’embarquant pour la France avec ce qui reste de ses hommes.


Bibliographie :

Lanctôt, Gustave. « Le dernier effort de la France au Canada ». Mémoires de la Société royale du Canada, section I, 1918, p. 41-54. 
Maupassant, Jean de. Les armateurs bordelais au XVIIIe siècle – Les deux expéditions de Pierre Desclaux au Canada (1759 et 1760). Bordeaux, Imprimerie Gounouillhou, 1915, p. 3-36.
Pacifique de Valigny, Père… « Il y a 200 ans – La bataille de Ristigouche », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. IV, no 2, avril-juin 1966, p. 64-82.
Proulx, Gilles. « Le Machault : quelques notes de recherche et documents nouveaux ». Bulletin de Recherches, 110. Ottawa, Parcs Canada, 1979. 37 p., ill.
Proulx, Gilles. « Ristigouche en 1760 : terre de refuge ». Bulletin de Recherches, 183, Ottawa, Parcs Canada, 1982. 15 p.
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