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Jean Barré
Thème : Société et institutions

Jean Barré

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 12 juillet 2002, 2017


Jean Barré est un marin, pêcheur et navigateur qui a habité la Gaspésie en des temps passablement perturbés. Homme d’entreprise, Barré exploite entre 1740 et 1758 un établissement de pêche sédentaire à Grande-Rivière alors que les côtes de la Nouvelle-France sont victimes d’un harcèlement constant de la part des troupes de la Nouvelle-Angleterre. Patriote, le sieur Barré n’hésite pas dans ce contexte à placer ses compétences au service de la mère patrie.
 
Habitant de Grande-Rivière
 
Jean Barré arrive en Gaspésie vers 1740. Originaire de Granville en Normandie, il est probable, comme le laisse croire le nom de son épouse, Anne Le Manquet, qu’il ait travaillé quelques années à Louisbourg, là où ce nom est généralisé. Né en 1690, il a alors quarante-six ans, ce qui en fait un homme d’expérience. Il amène sa femme avec lui à Grande-Rivière, un endroit de la côte où il n’y a personne pour exercer un droit de propriété. Le couple, qui donne naissance à trois enfants dans les années suivantes, demeure sur la pointe Verte, à l’entrée est de la baie. L’endroit présente tous les avantages qu’il peut désirer, en particulier de l’espace pour un établissement de pêche et un dégagement hâtif des glaces au printemps. Plus encore, il y trouve une position stratégique au plan de la navigation, Grande-Rivière étant au carrefour des routes maritimes menant à Québec, à Louisbourg, en Acadie et en France. 
 
La menace anglaise
 
Les sept premières années de son séjour à Grande-Rivière sont tranquilles. Le sieur Barré peut naviguer et sa femme, Anne Le Manquet, s’occupe de ses installations. La proximité du village de Pabos et des hommes du seigneur Lefebvre de Bellefeuille lui procurent non seulement une compagnie, mais assure une certaine tranquillité par le nombre que représente cette collectivité. Et malgré cela, les Anglais commencent à se pointer. Au mois de novembre 1746, un corsaire se manifeste dans la baie de Gaspé. Les habitants l’ont vu rôder le long des côtes pendant deux jours, mais les glaces l’en chassent finalement. Mauvais présage! Et, effectivement, les Barré voient arriver trois navires ennemis à la pointe Verte à l’été suivant, au début de juillet 1747. Un accrochage oppose les hommes du capitaine Barré aux équipages ennemis. Les échanges de tir durent sept heures. Les Anglais auraient apparemment perdu quelques hommes, pense Barré. En fait, ils ont onze hommes tués et vingt-cinq blessés et lui aucun, mais il a dépensé quatre-vingt livres de plomb pour se défendre. 
 
L’entrepreneur en pêche
 
Pendant les années où il demeure à Grande-Rivière, le capitaine Barré navigue régulièrement entre l’Ancien Monde et le Nouveau Monde. Des documents font état de sa présence à Québec, en Acadie ou en France. C’est lui, par exemple, qui fait le pont entre le seigneur François Lefebvre de Bellefeuille, de Pabos, et son frère Georges Lefebvre, installé à Saint-Malo en France. Outre la navigation au long cours, la pêche retient aussi son attention. Le sieur Barré possède des échafauds et plusieurs chaloupes de pêche à Grande-Rivière même, mais il n’est pas le seigneur des lieux, ni même le locataire. D’ailleurs, il profite de l’absence de toute autorité pour s’emparer en 1754 de graves excédentaires à ses besoins et les louer à des pêcheurs européens. Manque de chance, l’intendant de la colonie passe à Grande-Rivière et reçoit les protestations que ces derniers lui présentent. L’intendant demande à François Lefebvre de saisir ces graves à titre de représentant de son autorité et de les mettre à la disposition des morutiers français, mais ses ordres demeurent sans effet. Il faut comprendre que Lefebvre est voisin du sieur Barré et sans doute un partenaire en affaires. Aussi, l’intendant doit personnellement déterminer seul qui doit jouir des vigneaux et le sieur Barré doit en conséquence trouver une autre stratégie pour donner de l’expansion à son entreprise. Dès le printemps 1755, il passe une entente avec le seigneur de Paspébiac, Louis Gosselin, aux fins d’exploiter en copartenariat les espaces de séchage sur le banc. Une prescription frappait cependant la concession de la famille Gosselin, ce qu’il ignorait, de sorte que l’entente demeure caduque.
 
La Conquête
 
L’année 1745 voit la perte pour la France de la forteresse de Louisbourg aux mains de la marine britannique. Son retour à la Couronne française trois ans plus tard ne signifie pas pour autant plus de sécurité pour les côtes des Maritimes et de la Gaspésie. À preuve, l’amiral Boscawen peut déporter sans problème majeur les Acadiens en 1755, reprendre la forteresse trois ans plus tard, vider l’île Saint-Jean de ses insulaires français et pourchasser les Acadiens qui se sont échappés sur la côte du Nouveau-Brunswick et dans la baie des Chaleurs. C’est alors que, à la fin de l’été 1758, il envoie le général Wolfe en Gaspésie.
 
Que fait le sieur Barré pendant ce temps? Il gagne Québec où les autorités lui demandent d’amener en France le courrier destiné au roi en franchissant le barrage des navires anglais. Ce qu’il fait. Au printemps 1759, la France décide d’envoyer des forces fraîches pour défendre la ville de Québec, de plus en plus menacée. Barré est nommé capitaine de l’un des navires de l’escadre de Pierre Desclaux, laquelle arrive à bon port. À peine débarqué, le gouverneur Vaudreuil demande au capitaine Barré d’amener, encore une fois, les paquets de courrier en France, ce qu’il accepte, mais ce qui montre aussi la valeur du marin et la confiance qu’on mettait en lui. Rencontrant des navires anglais qui patrouillent le fleuve, il revient avertir les autorités de la ville puis repart en direction de l’estuaire et franchit leur barrage. Au printemps 1760, la Cour française le renvoie en Nouvelle-France sur le navire, on ne peut mieux nommé, L’extravagante, alors que Québec succombe devant l’ennemi. Barré se réfugie dans un havre de l’estuaire, envoie ses paquets à Montréal par voie terrestre et se laisse finalement capturer au mois d’octobre 1760. Il rejoint ainsi sa famille, réfugiée depuis quelques mois dans la capitale coloniale.
 
Le capitaine Barré ne put jamais par la suite retrouver l’aisance qu’il a connue en Gaspésie. Il a soixante-six ans au moment de sa capture et ne possède plus la forme physique pour recommencer une entreprise. Il rejoint dans les années qui suivent les possessions françaises et devient pensionné du roi de France. Son histoire rejoint tout de même celle de tous les Gaspésiens qui ont investi dans les pêches. Ils ne retrouveront jamais la situation qu’ils s’étaient taillée.


Bibliographie :

Mimeault, Mario. « Jean Barré : Un Gaspésien dans la tourmente de la Conquête », Gaspésie, vol. XIX, no 1, hiver 1981, p. 29-35.
Mimeault, Mario. La pêche à la morue en Nouvelle-France. Québec, Septentrion, 2017, p. 272-279.
Mimeault, Mario. « Jean Barré, capitaine ». Dans Gaston Deschêne et Denis Veaugeois. Vivre la Conquête. Québec Septentrion, 2013. Vol. 1, p. 41-52.
Larin, Robert et Mario Mimeault, avec la collaboration d'André Bardou. « Entre France et Nouvelle-France - Jean Barré (1694-1776), pêcheur, entrepreneur et capitaine au long cours ». Revue de la Manche, Société d'archéologie et d'histoire de la Manche, no 52, fascicule 208, avril 2010, p. 31-47.    

 

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