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Nicolas Denys
Thème : Société et institutions

Nicolas Denys, 1598-1688

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 5 juillet 2002


Nicolas Denys est un marchand français originaire de La Rochelle qui a vécu aux toutes premières années du régime français. Présent en Gaspésie en Acadie à partir de 1653 à titre de seigneur et d’industriel de la pêche, il a, par son action, établi les bases de cette industrie au Canada. Décédé en 1687, il a le temps de publier avant de mourir un ouvrage sur la pratique de la pêche de la morue qui fait autorité encore aujourd’hui.
 
Ses débuts en Acadie
 
Nicolas Denys a d'abord agi comme représentant de la Compagnie de la Nouvelle-France à La Rochelle puis, en 1632, il traverse en Acadie où il lance un commerce du bois conjointement à une entreprise de pêche. Son premier essai s'avère un insuccès en raison de désaccords avec un de ses patrons, Charles de Menou, sieur d'Aulnay. Une seconde tentative pour partir une entreprise de pêche à l'île de Miscou, à l'entrée sud de la baie des Chaleurs, est sabordée par le même personnage en 1647. Expulsé illégalement des lieux, le sieur Denys ne sera jamais dédommagé pour ses pertes. Tenace, il tente une troisième fois, en 1651, d'établir un commerce sur l'île du Cap-Breton avec l'assentiment de la Compagnie de la Nouvelle-France. Il y demeure jusqu'au jour où un marchand de La Rochelle, Emmanuel Le Borgne, saisit ses biens et le fait arrêter pour des dettes contractées par la dite Compagnie de la Nouvelle-France. Denys présente sa défense au roi et celui-ci le libère, mais l'entrepreneur a tout perdu, sans possibilité, encore une fois, de dédommagement.
 
Seigneur des côtes de la Nouvelle-France
 
Malgré ces débuts difficiles, Nicolas Denys se reprend en 1653 alors qu'il obtient la concession de toutes les terres, îles et régions qui bordent le littoral continental. Sa nouvelle propriété s’étend depuis le cap des Rosiers, à l’entrée de la baie de Gaspé, jusqu'au détroit de Canso, en Nouvelle-Écosse. Il devient donc propriétaire de la côte de Gaspé, de la baie des Chaleurs, de la côte néo-brunswickoise, de l'île du Cap-Breton, de l'île Saint-Jean (I.P.E.) et des îles de la Madeleine. Il s'agit d'un territoire maritime énorme, qui tombe sous la tutelle d'un seul homme et dont seul le roi peut revendiquer l'équivalent en Europe. En effet, sa nouvelle propriété correspond à la totalité du littoral atlantique français. 
 
Tous les sites de pêche du golfe Saint-Laurent lui reviennent en exclusivité. Il reçoit en plus le droit de traiter avec les Micmacs et d’exploiter la forêt à son profit. Seules les richesses du sous-sol lui échappent. En contrepartie, il a l’obligation dans les six années à venir de créer deux établissements permanents et d’y amener quatre-vingt familles au total. Nicolas Denys attire en priorité des colons-pêcheurs dans deux postes situés sur l’île du Cap-Breton, appelés Saint-Pierre et Sainte-Anne. Il installe aussi du monde à Miramichi et à Nipissiguit (Bathurst, N.-B.) et, en 1659, il établit du monde à Chédabouctou (Guysborough, N.-É.).
 
Des opérations difficilement rentables
 
À Percé, sans amener de familles, il envoie des hommes pêcher et laisse les Européens s’installer à côté de son personnel. Les espaces sont grands et il peut en retirer un profit en louant les graves excédentaires à ses besoins. Il organise alors une compagnie de pêche avec trois partenaires européens, les sieurs Christophe Fouquet et les frères Jacob et Abraham Duquesne. Denys s’installe à Saint-Pierre, dont il fait le centre de ses opérations, et parvient pendant dix ans à fournir ses associés de manière régulière. Il mène aussi des activités de traite de fourrure avec les Micmacs de la région de Percé. Il s’y rend à chaque automne pour prendre entente avec eux et organiser en même temps l’envoi de ses cargaisons de morue en France. Denys, qui connaît bien le milieu, a aussi repéré une mine de plomb à Petit-Gaspé, mais comme il ne dispose pas des droits sur cette richesse, il en avise l’intendant Talon qui le charge, en 1663, d’en superviser l’exploration. Dans tous les cas, il est difficile pour Nicolas Denys de rentabiliser ses opérations. Les frais sont énormes, les efforts ne rapportent pas toujours en conséquence et les bénéfices ne peuvent couvrir totalement les dépenses. Par exemple, la mine de plomb s’est tarie tout de suite et, en 1664, il a une perte accumulée pour ses opérations de pêche de 100 000 Livres.
 
Menace à sa propriété
 
Outre ce déficit opérationnel, des problèmes de tout ordre affectent ses opérations : incendie de ses installations à Saint-Pierre, pillage par fait de guerre et contestations judiciaires en France. La difficulté qui se présente avec le plus d’acuité est sans doute, pour lui, l’impossibilité de remplir toutes les obligations inhérentes à sa concession et les atteintes à l’intégrité de son domaine. En 1663, par exemple, un entrepreneur en pêche de Dieppe, François Doublet, se fait concéder les îles de la Madeleine sans égard à ses droits acquis et il n’y peut rien. La concession, dix ans plus tard, à son neveu Pierre Denys de la Ronde d’une seigneurie taillée à même sa propriété de Percé consacre le démembrement de sa propriété. C’est que l’entrepreneur, ne pouvant couvrir tout son territoire, a comme politique de tolérer la présence d’équipages n’appartenant pas à sa compagnie. Il démontrait bien involontairement de la sorte ne pas être en mesure de respecter ses obligations.
 
L’auteur
 
Pendant les quinze premières années où Nicolas Denys se consacre au développement des pêches, il se livre à une observation détaillée des modus operandi et prend en note tout le potentiel offert par le milieu. Une partie des observations et descriptions de son ouvrage ont été relevées au fur et à mesure de la découverte de son domaine. Le reste est le fruit de son expérience et de sa mise en contexte. L’ouvrage, publié en deux livres, est sorti des presses en 1672. Le premier volume s’attache à une description géographique des côtes de la Nouvelle-France alors que le second relate l’histoire du milieu naturel et des autochtones, mais aussi et surtout le travail des entrepreneurs en pêche européens. Les critiques ont relevé la pauvreté de son style. Nicolas Denys lui-même s’en confesse, mais sa description des modes de pêche en Amérique n’a pas d’égal chez ses contemporains et il a l’esprit assez ouvert pour ne pas s’en tenir à ses seules entreprises. Ainsi, l’ouvrage, campé dans un contexte global, offre un tour complet de la situation des pêches tant en Gaspésie qu’en Acadie.
 
Nicolas Denys n’a pas été en mesure de rencontrer toutes ses obligations. Il n’a amené que sept familles en permanence sur ses terres au lieu des quatre-vingt imposées au départ. De plus, ses opérations se sont, en général, avérées déficitaires, mais jamais l’homme d’affaires n’a, dans tout ce qu'il a tenté, reçu de cadeau de personne. Il a monté son entreprise à la force de ses poignets et le résultat constitue la première tentative appuyée sur le long terme pour développer une industrie de la pêche au Canada. 

 
Bibliographie :

Anonyme. « Concession de la Compagnie de la Nouvelle-France en faveur du sieur Nicolas Denys », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. 2, no 1, p. 565s.
Baily, Alfred G. « Nicolas Denys ». Dictionnaire Biographique du Canada, vol. I, p. 264-269.
Denys, Nicolas, « Description géographique et historique des costes de l'Amerique septentrionale avec l'Histoire naturelle du Pais », Clarence Joseph d'Entremont, Nicolas Denys et son œuvre. Yarmouth (N.E.), Imprimerie Lescarbot, l982. 623 p., cartes, ill.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Le Moignan, Michel. « Une mine de plomb à Petit-Gaspé », Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. III, no 3, juillet-septembre 1965, p. 35-140.
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