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La construction navale
Thème : Économie

La construction navale en Gaspésie au XIXe siècle

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 2 août 2002


Plus de 550 navires sont construits en Gaspésie entre la Conquête et la fin du XIXe siècle. Les chantiers les plus importants appartiennent aux grandes firmes jersiaises, mais plusieurs familles de la baie des Chaleurs et de Gaspé possèdent aussi leurs installations. Les plus grands chantiers navals se trouvent à Sainte-Anne-des-Monts, dans la baie de Gaspé et à Paspébiac. Les bateaux qui en sortent servent au transport de la morue, au grand commerce, au cabotage et à la chasse de la baleine.
 
Les chantiers de la Charles Robin and Company
 
La Charles Robin and Company possède les plus importants chantiers navals de la péninsule. Elle se tourne vers cette activité complémentaire à ses opérations en raison de ses besoins en transport. Au cours des années 1765 à 1800, elle achetait ses bateaux à Jersey, mais les guerres européennes de la fin du siècle lui créent des problèmes. C’est en 1791 que la compagnie s’émancipe de cette dépendance en engageant un maître de chantier naval reconnu, le capitaine James Day. Sa cale sèche se dresse en plein cœur du banc de Paspébiac et s’accompagne, au fil des ans, de plusieurs petits ateliers liés à la construction navale. « Ils (les Robin) ont aussi leur propre forge, leur voilerie, leurs fabricants de poulies, leurs gréeurs », écrit Thomas Pye en 1864. Les économies de la compagnie, en se dotant de ces corps de métier, sont nettement significatives. La construction d’un navire moyen, par exemple comme le Patruus, 206 tonneaux, demande plus de mille heures de travaux à la forge. 
 
Le premier bateau de la Robin à Paspébiac, le Fiott, est lancé en 1792. Par la suite, des navires de tous gabarits sortent des planches à dessin de Day, des goélettes, des barques, des bricks, des brigantins. En moyenne, un nouveau navire prend la mer à tous les deux ans entre 1791 et 1830. Au total, entre 1791 et 1873, ses charpentiers navals construisent trente-deux vaisseaux de 111 tonneaux, pour le plus petit (le C.R.C. construit en 1828) à 283 tonneaux pour le plus gros (le Markwell, construit en 1853). En 1866, année centenaire des opérations de la compagnie en Gaspésie, le chantier de Paspébiac lance le Century, un modeste brigantin de 150 tonneaux. Ces navires sont utilisés pour le transport de la morue, les voyages à destination de l’Amérique du sud et les traversées transatlantiques.
 
Autres sites de construction navale

Plusieurs autres sites de construction navale apparaissent en Gaspésie au XIXe siècle. Il est difficile de les identifier tous et de connaître le nombre exact d’unités construites en région avant 1786 parce qu’aucun enregistrement des navires n’est jusqu’alors obligatoire. C’est le cas pour toutes les barques de moins de vingt tonneaux avant 1800 et pour celles de trente tonneaux après 1786. Charles Robin rapporte la construction en 1771 d’un navire de 220 tonneaux à Bonaventure, mais ce n’est pas le premier à cet endroit. Le marchand Raymond Bourdages lance en 1763 un sloop de trente tonneaux, l’Esther, suivi, deux années plus tard, d’un autre sloop appartenant à Pierre Loubert. Dans les années 1820, l’industriel du bois Willliam Cuthbert emploie plusieurs Écossais à son chantier naval sur la Petite-Cascapédia. La Gaspé Fishery and Coal Mining Company lance quelques goélettes de faible tonnage à Pabos entre 1843 et 1846. John Le Boutillier construit la Sainte-Anne, 210 tonneaux, en 1840, à côté de ses graves à Sainte-Anne-des-Monts. Suivent en 1844 et 1845 le Father Mathew (249 tonneaux) et le St. John (113 tonneaux). À cette époque, la famille Dion de Cap-Chat sort de ses chantiers plusieurs bateaux dont un, le Pierre-Fortin, soixante-dix-neuf tonneaux, vendu à Théodore-Jean Lamontagne en 1875.
 
La région de New-Carlisle
 
La région de New-Carlisle, de Carleton et de New-Richmond, sur le versant opposé de la péninsule, est un centre de construction navale important. James Caldwell est au nombre des maîtres-charpentiers qui œuvrent dans ces villages entre 1810 et 1830. Sa famille compte d’ailleurs de nombreux propriétaires et capitaines de navire, mais les familles Hall, Chisholm, Sherar, Bilingsly et Beebee, toutes descendantes de pionniers loyalistes, apparaissent régulièrement comme constructeurs. Leurs bateaux varient entre vingt-quatre et 141 tonneaux, mais en général ils gravitent autour de cinquante à soixante-dix tonneaux. Le plus imposant, un brig de 171 tonneaux, l’Alexander, sort des mains de Thomas Melvin Sherar. Sur les soixante-dix années où il est possible de répertorier les constructions de navires dans cette partie de la baie des Chaleurs, il est sorti trente-huit vaisseaux, c’est-à-dire un bateau presque à tous les deux ans. 
 
La baie de Gaspé et ses environs
 
La région de Gaspé a vu de nombreux navires prendre la mer. Le plus ancien enregistré est le Trial, une goélette de quarante-cinq tonneaux construite et lancée par William Annett à Penouille en 1805. Le plus imposant des navires construits dans la baie de Gaspé fait 375 tonneaux. La majorité sont destinés au cabotage le long de la côte, mais plusieurs font régulièrement le trajet jusqu’à Québec ou Halifax. Leur tonnage varie entre soixante et soixante-dix tonneaux. Dans le cas des goélettes, elles sont soit utilisées à la pêche de la morue sur les bancs ou bien elles appartiennent à des chasseurs de baleine. Ces dernières, comme le Violet, le Breeze ou l’Admiration, sont, de façon surprenante, compte tenu surtout du gabarit de l’animal chassé, d’un port moyen de cinquante à soixante tonneaux seulement.
 
Le plus important regroupement humain de la baie de Gaspé jusqu’en 1850 se trouve probablement à la pointe Saint-Pierre. Plusieurs firmes jersiaises s’y sont installées. La plus prospère dans les années 1860 est la maison John et Elias Collas. La firme, qui possède une flottille de six vaisseaux, construit et entretient ses bateaux dans sa propre cale sèche. Son plus petit navire est le Boadica, 106 tonneaux, et son plus gros est le Brother, 173 tonneaux. Ses installations apparaissent sur une illustration de Thomas Pye et, quand ce dernier passe à cet endroit en 1864, les Collas procèdent justement au lancement du Laurel, destiné comme ses autres bateaux au transport transatlantique.
 
Les meilleures années de la construction navale en Gaspésie correspondent aux décennies 1830 et 1840 et son déclin s’amorce à partir des années 1870. La crise économique de 1873 ébranle alors grandement les commerces locaux. La faillite de la Jersey Banking en 1886, entraînant notamment celle de la Charles Robin and Company, amène la diminution des opérations des compagnies jersiaises et, par là, de la construction navale. D’autre part, l’apparition des navires de ligne desservant les ports de la Gaspésie et faisant la liaison Montréal-Halifax rend la construction navale en région moins nécessaire. Enfin, l’arrivée du train jusqu’à Gaspé en 1911 lui apporte pratiquement le coup de grâce. 
 


Bibliographie :

Lepage, André. Le site historique du Banc-de-Paspébiac. Québec, Les Publications du Québec, 1997. 36 p., carte, ill.
Lepage, André. Images de la Gaspésie au XIXe siècle - Thomas Pye. Québec, Presses Coméditex, 1980. 89 p., carte, ill.
McDougall, David. « Gaspé-built Square-Riggeg Sailing Ships ». Gaspésie, vol. XXIX, nos 3-4 , septembre-décembre 1991, p. 69-82.
McDougall, David. Ship Builders, Whalers and Master Mariners of Gaspé Bay in the 1800’s. St. John’s, Maritime History Group / Atlantic Conference, 1978. Manuscrit. 27 p.
McDougall, David and Doris Ascagh. « The Loyalist Shipbuilders of New Carlisle ». SPEC, 20 juillet 1982, p. 12s.
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