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John Le Boutillier
Thème : Économie

John Le Boutillier, 1797-1872

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 29 juillet 2002, 2017


Si la Gaspésie a eu son roi de la morue avec Charles Robin, John Le Boutillier peut en être considéré le baron. Ce jeune Jersiais a fait ses classes dans la Charles Robin and Company pour voler un jour de ses propres ailes. Il mène dès lors une double carrière, celle d’un homme d’affaires qui connaît le succès et celle du politicien qui a à cœur les intérêts de son comté.
 
Ses débuts dans la grande famille
 
Né à l'île de Jersey en 1797, John Le Boutillier s'engage très tôt pour le compte de la Charles Robin and Company. Quand il débarque à Paspébiac en 1812, il n'a que quinze ans. Il a le temps de connaître le propriétaire de la compagnie Philip Robin, qui quitte définitivement le Canada en 1814. Pendant ses années de formation, Le Boutillier fait montre d’une grande intelligence et d’un amour du travail. Après avoir fait ses classes à la base, il gravit les échelons de l’entreprise un à un et, en 1820, ses patrons lui confient l'établissement de Percé. Il a alors vingt-trois ans.
 
C'est à cette époque que John Le Boutillier rencontre la fille de son patron, Elizabeth Robin. Celle-ci devient si rapidement sa femme que le beau-père en sera averti qu'une fois le mariage célébré. Sa réaction laisse percer autant la confiance qu’il a dans le système de sa compagnie que, dans le fond, son incapacité à faire quoi que ce soit dans les circonstances. En effet, commente-t-il à sa fille, John « est une jeune homme habitué au travail soutenu, qui occupe un poste de confiance, qui a toujours répondu à nos attentes et qui, en conséquence, ne peut faire autrement que de continuer à la mériter. » L'histoire montre que Philip Robin n'en tiendra pas rigueur à son gendre et que les deux hommes connaîtront des relations harmonieuses malgré une situation concurrentielle, puisque John Le Boutillier laisse bientôt la compagnie de son beau-père pour fonder la sienne.
 
L’homme d’affaires
 
En 1833, John Le Boutillier maîtrise suffisamment les mécanismes du commerce de la morue pour se lancer à son compte. Il s'associe avec un marchand de Québec appelé François Buteau et fonde avec lui la Buteau, Le Boutillier and Company qui fait dans la morue séchée et salée. Son partenaire apporte dans l’entente un magasin récemment acquis à Percé ainsi qu’un bateau. Le Boutillier s’engage pour sa part à gérer le commerce situé tout à côté de son ancien patron. Les deux hommes donnent rapidement de l’expansion à leur entreprise. Dès 1835, ils ouvrent un comptoir à l’Anse-au-Griffon et font, deux ans plus tard, l’achat de terres en plein centre de l’anse. Jean-Baptiste Ferland, qui passe par là en 1836, voit des goélettes déjà en train d’échanger de la farine, du lard et des marchandises sèches contre des produits de la pêche. Cette même année 1836, Buteau et Le Boutillier font l’acquisition de la seigneurie de Sainte-Anne-des-Monts. Ainsi, couvrent-ils un territoire hors du contrôle de la Charles Robin and Co. et il faut peu de temps à partir de là pour que leur compagnie domine les économies locales. 
 
Cependant, l’association des deux hommes d’affaires prend fin après six ans de co-partenariat. Buteau préfère s’orienter vers la production du bois et abandonne à son associé toutes les structures de pêche. Le Boutillier fonde alors sa compagnie, la John Le Boutillier and Company et poursuit seul une prudente politique d’expansion. À ses trois comptoirs, il ajoute des postes de collecte à Grande-Rivière, Rivière-au-Renard et aux îles de la Madeleine. L’inspecteur des pêches Pierre Fortin signale au début des années 1860 que sa compagnie domine la côte nord de la Gaspésie et compte parmi les plus grandes de la péninsule. À cette époque, il ouvre un poste à Mont-Louis, mais il oriente ses efforts surtout vers la baie de Gaspé, où il possède un petit magasin depuis 1846. En 1859, quelques mois à peine avant que le port local devienne un port franc, c’est-à-dire libre de douanes, John Le Boutillier achète des lots de grèves sur le côté sud de la baie. Il y concentre désormais ses opérations, mais, ce qu’il importe de souligner, c’est que sa compagnie contrôle dès lors à elle seule, grâce à ses quais et à ses entrepôts, la plus grande partie du trafic international qui s’y passe. Sa fortune est désormais assurée en même temps que la position dominante de son entreprise sur le marché international du poisson. Ses navires joignent les principaux ports européens, en France, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Sicile. À leur retour, ils passent par l’Argentine, le Brésil, les Antilles et les États-Unis. 
 
L’homme politique
 
En même temps que John Le Boutillier se sépare de la Charles Robin and Company et qu’il se lance en affaires, le monde de la politique s’ouvre à lui. Sa carrière en politique débute en 1833, en plein cœur du débat qui oppose les Patriotes de Louis-Joseph Papineau à la clique du gouverneur général du Canada à la Chambre d'Assemblée, à Québec. Le député du comté de Gaspé, Robert Christie, avait tenté quelques années auparavant de tromper l’assemblée des députés et s’était mérité un vote d’expulsion de la Chambre. Réélu puis renvoyé du Parlement à plusieurs reprises par ses pairs, chaque répudiation obligeant le gouvernement à organiser une nouvelle élection, ce dernier se trouvait dans une impasse. 
 
C'est le gouverneur Aylmer qui trouve le seul homme capable de remplacer son député mal aimé à la satisfaction des Canadiens français et des Anglais et vient le recruter. Cet homme, c’est John Le Boutillier. Approché personnellement par le gouverneur, il accepte et se fait élire immédiatement. Sa carrière politique s'échelonne sur plus de trente ans pendant lesquels il s’applique à améliorer le réseau routier gaspésien aussi bien que d’implanter des écoles, ou de régler les problèmes de reconnaissance des couples non mariés légalement et d’apporter un meilleur support à la justice. 
 
Sa position de député lui permet en outre d'être des plus grands débats du pays. John Le Boutillier connaît, par exemple, les suites de la rébellion de 1837 et 1838 et siège sous trois constitutions différentes, celles du Bas-Canada de 1791 à 1840, du Canada-Uni de 1840 à 1867 et du Canada tel que nous le connaissons de 1867 à 1872. Il a la chance de côtoyer pendant ce temps Louis-Joseph Papineau, Louis-Hippolyte Lafontaine, Robert Baldwin, Georges-Etienne Cartier, John A. Macdonald qui lui accordent plus qu'une bonne audience. À preuve, en 1864, les Pères de la Confédération qui sont en route pour Charlottetown, mais qui ne disposent que de trois jours pour s'y rendre, prennent quand même le temps de sacrifier une journée entière pour rencontrer Le Boutillier à Gaspé.
 
Exemple parfait du self made man, John Le Boutillier a été un homme d’affaires averti dont les succès parlent tout seul. Il a mené conjointement une carrière politique dont les préoccupations permettent en plus de le classer au rang des bâtisseurs de la Gaspésie.
 
 
Bibliographie:

Lepage, André. La vie et la carrière de John Le Boutillier 1797-1872. Québec, M.A.C., 1987. 115 p.
Mimeault, Mario. Esquisse historique de L'Anse-au-Griffon. Gaspé, Parcs Canada, 1995. 134 p., cartes, ill.
Mimeaut, Mario. John Le Boutillier (1797-1872) - La belle époque de la Gaspésie. L'Anse-au-Griffon, Corporation du Manoir Le Boutillier, 1994. 115 p.
Remiggi, Frank W. Nineteenth Century Settlement and Colonisation of the Gaspé North Coast - An Historical-Geographical Interpretation. Ph. Thesis, Montréal, Gill University, 1983, p. 82s.
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