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Percé, 1686
Thème : Économie

Percé, 1686

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 13 juillet 2002, 2017


Le village de Percé est sans contredit la capitale des pêches de la Nouvelle-France en 1686. Le titre ne lui a jamais été décerné, mais le trafic naval, la densité des pêcheurs et la régularité des expéditions menées à destination de ce lieu en font l’endroit le plus fréquenté de la côte.
 
La seigneurie de Percé
 
Nicolas Denys est le premier entrepreneur en pêche qui ait obtenu les titres de propriété sur l’anse de Percé. Les autorités royales les lui concèdent en 1653. Déjà, à l’époque, l’endroit est intensément fréquenté. Denys voit régulièrement dans les années 1660 jusqu’à onze morutiers y jeter l’ancre. À raison d’une cinquantaine de travailleurs par bateau-pêcheur, cela signifie au moins cinq cents personnes à l’œuvre durant la saison estivale, tant à terre que sur l’île Bonaventure. Tous ces pêcheurs repartent à l’automne, mais ils laissent sur place des hommes, environ un ou deux par équipage, pour surveiller leurs installations afin d’en reprendre possession au printemps. À défaut de laisser du personnel sur place durant l’hiver, ce qui est quand même onéreux, certains préfèrent passer une entente avec un ou l’autre des habitants du seigneur Denys de La Ronde pour prendre soin de leurs chaloupes et de leurs vigneaux.
 
À la décennie suivante, le gouverneur Frontenac, faisant fi des droits antérieurs de Nicolas Denys, retranche de sa propriété la baie des Morues (La Malbaie, Gaspé) et l’anse de Percé pour en accorder la jouissance à son neveu Pierre Denys de La Ronde. Les protestations de Nicolas Denys restent vaines. Pour sa part, Pierre Denys de la Ronde construit un établissement de pêche qui prend tranquillement de l’ampleur. Il débute ses opérations en 1672 avec un personnel réduit, l’équivalent d’un équipage de chaloupe, soit environ cinq personnes, mais il en a une trentaine attachées à son service vingt ans plus tard. Cinq familles demeurent en permanence sur les lieux et assurent un fonctionnement continu du poste. La moitié de ces habitants sont des enfants de moins de dix-huit ans, ce qui laisse supposer une grande vitalité démographique. 
 
Les installations à Percé
 
L’anse de Percé voit au fil des ans des structures de pêche tant françaises que canadiennes s’ériger tranquillement sur ses graves. Trois ou quatre échafauds permanents se dressent sur les rives, dans l’anse, et autant sur les côtes de l’île Bonaventure. Des plans de la rade de Percé datant de 1686 et 1687 montrent une vingtaine de constructions facilement identifiables. Pierre Denys s’est construit au cœur de l’anse une maison et un magasin. Il y a aussi une résidence érigée par le soin des pères Récollets ainsi qu’une chapelle capable de recevoir environ cinq cents personnes. Derrière la chapelle, les missionnaires ont conservé un espace pour un cimetière, signe que le métier de la pêche n’est pas une sinécure. 
 
Les autres constructions sont le fait des armateurs européens qui ont le droit de s’approprier les graves excédentaires aux besoins du seigneur. Des vigneaux et des cabanons occupent les espaces situés de part et d’autre du ruisseau qui coule au milieu de l’anse de Percé. Quelques jardins maraîchers entretenus derrière les habitations apportent aux équipages un complément alimentaire sans doute souhaitable. L’île Bonaventure reçoit aussi son contingent de pêcheurs. Des aménagements permettent de monter aisément jusqu’au plateau. Trois ou quatre campements temporaires sont dressés pour la saison de la pêche et, là aussi, des jardins sont ensemencés pour améliorer le menu quotidien. Une autre mission est tenue sur l’île. Sa chapelle est dédiée à Sainte-Claire. 
 
Un milieu de vie perturbé
 
Vivre à Percé dans les années 1680 est assez spécial. Il s’y trouve un fort déséquilibre social. L’établissement de pêche compte davantage d’adultes que d’enfants et d’hommes que de femmes. Les pêcheurs sont aussi de toutes origines. Il y a des gens de Normandie. D’autres viennent de Bretagne, des Sables d’Olonne ou du Pays basque. Et les quelques Canadiens sont noyés dans la masse. Ensuite, le rythme de travail y est infernal. Nicolas Denys raconte que la journée débute au lever du soleil et qu’elle se termine plus souvent qu’autrement vers les dix heures du soir, au flambeau, quand ce n’est pas encore plus tard. Les enfants amenés comme garçons de grave, une dizaine peut-être par bateau, vivent à la dure. Non seulement doivent-ils tenir le rythme, mais s’ils ne le peuvent, les capitaines ne se gênent pas pour user de violence pour les stimuler. Conséquence, les hommes, diront certains auteurs, craignaient moins Dieu que leur capitaine de bateau.
 
Il y a sur place que l’autorité du seigneur ou d’un amiral en pêche dont les pouvoirs sont passablement limités. Les conflits relatifs au partage des graves devraient normalement être du ressort de l’amiral, mais s’il y a débordement dans les règlements de compte, il n’est pas équipé, en termes de loi ou de moyens physiques, pour régler les problèmes. Les équipages eux-mêmes ne sont pas sans se bousculer. En 1672, celui du Prince Maurice a décidé de régler ses problèmes avec un de ses passagers, un certain Simon Baston. Parti en forêt avec lui pour supposément rencontrer des Micmacs, l’équipage, d’origine basque, s’en revient sans lui en rapportant simplement qu’il s’est noyé dans la rivière. Un rapport du père Exupère Dethune aux autorités de Québec résulte en un procès où, tout à coup, les pêcheurs basques avaient perdu leur français. 
 
Les autorités canadiennes essaient de maintenir un certain ordre. L’Évêque de Québec, qui passe à Percé en 1686, n’est pas non plus sans remarquer la dureté des mœurs et s’en ouvre ouvertement aux pêcheurs dans une lettre qu’il leur adresse, réprouvant la profanation courante du jour du seigneur, l’ouverture des cabarets et l’ivrognerie qui en découle. L’intendant Jacques de Meulles, qui l’accompagne, veut ramener la paix entre les pêcheurs qui se disputent les graves. Il réunit les capitaines en pêche dans les environs et il établit avec leur accord un code de travail et de partage des espaces de transformation du poisson. Ce document peut être considéré comme le premier code de travail élaboré en terre canadienne.
 
Bref, le poste de Percé en 1686 se caractérise par un milieu de vie intense. Sa population se compose de gens aux origines diverses, actifs au plus haut point, occupés dans un cycle de vie intense à produire une morue séchée et salée qui est en haute demande et par là rentable, ce qui justifie à leurs yeux une dépense d’énergie considérable et des mœurs pas toujours policés.
 
 
Bibliographie :

Bacon, René. « Père Joseph Denis (de la Ronde) (1757-1736) », Chroniques et documents, vol. 45 (1993), p. 39-64.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie, Québec, I.Q.R.C., 1999, 797 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. Destins de pêcheurs, Les Basques en Nouvelle-France. Québec, Septentrion, 2011. 203 p.

 

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