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Miguasha
Thème : Territoire et ressources

Miguasha

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 20 juin 2002


Le village de Miguasha, dans la Baie des Chaleurs, recèle dans ses falaises des traces de la vie parmi les plus anciennes sur terre. En fait, il s'agit de fossiles dont l’âge recule jusqu'à 400 millions d'années. Vers 1845, des familles de la localité repèrent dans les roches l'empreinte d'animaux qui leur paraissent aussi vieux que bizarres. L'historique qui suit rappelle les principales étapes qui conduisent à la création du Parc Miguasha en 1985 et à sa reconnaissance comme élément important du Patrimoine mondial par l'Unesco en 1999.
 
La Gaspésie, une terre vieille comme le monde
 
La Gaspésie compte parmi les plus anciennes parties de la croûte terrestre. Il fut un temps où le milieu actuel se trouvait sous d'autres tropiques et des cieux plus cléments. Le climat était aussi plus humide puisqu’une nappe d'eau profonde recouvrait une bonne partie de l'actuelle partie sud de la péninsule. Pour se resituer, il faut remonter à une période de l'apparition de la vie appelée le Paléozoïque, ou Période de la vie ancienne. Les éléments de vie sur terre comptent alors des algues diversifiées, des invertébrés du genre trilobites et brachiopodes et quelques vertébrés, mais pas d'oiseaux ni de reptile ou de mammifère. C'est l'époque où les plantes envahissent la terre et que des poissons archaïques apparaissent dans les mers. Il y a 350 millions d'années, la planète voit d'ailleurs une prolifération des espèces ichtyologiques. C'est l’Âge du poisson ou Dévonien.
 
Les sites qui ont conservé des traces de cette époque n'abondent pas. Il s'en trouve quelques uns de l'autre côté de l'Atlantique, en Écosse, en Allemagne, en Russie et au Groënland. Hormis l'Australie, il n'y en a pas ailleurs, sauf dans l'est du Canada, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Dans la province de Québec, il existe deux dépôts fossilifères connus. L'un est à Cap-aux-Os, dans le Parc Forillon. Il a d’abord été repéré par William Logan en 1845 qui en signale la présence dans ses rapports, mais qui n’en fait pas l’étude. Celle-ci est reprise près de soixante-dix ans plus tard par John Mason Clark, du Service géologique de l'État de New York. Clark le visite à l’été 1909 et fait la découverte d'espèces invertébrées intéressantes qu'il baptise de noms à connotation locale : Dolbeli pour la famille Dolbel, Robina qui rappelle la compagnie Robin, Penoulli pour la petite péninsule de Penouille et Biardi pour la famille Biard. Le paléontologue Yvon Pageau reprend ces travaux en 1963 pour sa thèse de doctorat et fait des liens avec les falaises du Dévonien en Angleterre, en plus de découvrir plusieurs espèces nouvelles appelées Cartieraspis cassivii pour Cartier et la famille Cassivi de Cap-aux-Os et Laurentaspis qui évoque le fleuve Saint-Laurent.
 
Les inventeurs de Miguasha
 
L'autre site est à Miguasha. Le mérite de la découverte de ce lieu fossilifère revient officiellement à un fonctionnaire du Nouveau-Brunswick. Il s’agit du docteur Abraham Gestner, du Service géologique de cette province qui en signale l'existence en 1842. Des scientifiques de la Commission géologique du Canada viennent plus tard, entre 1879 et 1883, ramasser des spécimens imprimés dans la pierre qu’ils amènent à Ottawa. La publication de leurs analyses attire dès lors l'attention du monde scientifique sur les falaises de la baie d'Escuminac, lieu précis de leur découverte. Les paléontologues canadiens sont suivis de plusieurs chercheurs américains et anglais qui repartent après d'abondantes cueillettes de données sur la vie du Paléozoïque et de dizaines de spécimens de fossiles de belle qualité dans leurs caisses.
 
Les véritables inventeurs du site sont les familles qui vivent à ses abords depuis des générations, les Plourde, Landry et Parent. Ils y sont depuis près de 200 ans. John Mason Clark, qui visite un jour Miguasha, raconte qu’Antoine Plourde, simple fermier local, connaît chaque espèce fossile par son nom scientifique et il se rappelle comment celui-ci a le flair pour les déceler dans la roche. Le chercheur québécois René Bureau a lui aussi rencontré Antoine Plourde en 1964. Ainsi apprend-il de lui comment les scientifiques venus à Miguasha en 1913, à la faveur d'un Congrès International de la géologie, dépendaient de sa connaissance des lieux pour progresser dans leurs recherches. Les organisateurs lui avaient simplement demandé, avant la venue des chercheurs, de préparer pour eux une collection de poissons fossiles sur la grève. Pour sa part, Joseph Landry reçoit chez lui les géologues de passage et tient la correspondance des Plourde. De leur côté, les frères Allan et Normand Parent se montent, comme Antoine Plourde, une collection personnelle de fossiles et choisissent de transformer leur passion en une science en devenant finalement tous deux géologues.
 
En 1937, des géologues de l’Université Laval, l'abbé J.-W. Laverdière et le père Léo-G. Morin, visitent la Gaspésie et découvrent... comment il est facile d'acheter le long de la route des Bothriolepis du Dévonien à peu de frais, comme le touriste achète aujourd'hui de petits bateaux de bois. Ils informent le ministère des Mines et Pêcheries du Québec de la situation et lui suggèrent de créer une réserve, mais les prises de décision sont interrompues par un changement de gouvernement. Les démarches sont reprises par René Bureau dans les années 1960 afin de trouver des appuis auprès d'organismes scientifiques comme la Société zoologique de Québec. Il travaille ensuite à prévenir des coups désastreux comme la spéculation sur les terres qui se dessine dès que germe l'idée au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche du Québec de créer un centre de protection des fossiles.
 
Les poissons de Miguasha
 
Il y a 365 millions d'années, le site de Miguasha était, selon une hypothèse encore récente, le fond d'un lac de trente à quarante kilomètres de diamètre, rempli des alluvions des cours d'eau environnants et bordé de fougères immenses, pouvant atteindre trente mètres de hauteur. Miguasha a livré à ce jour vingt et une espèces de poissons fossiles, neuf espèces d'invertébrés, dix espèces de plantes et quatre-vingt huit espèces de microflores.
 
Certains des poissons trouvés sont des plus primitifs, tels les agnathes ou poissons sans mâchoire qui patrouillaient le fond du lac. Ils pourraient être apparentés aux lamproies actuelles. Il y a aussi des placodermes ou poissons dont la peau est faite de plaques osseuses. Les Bothriolepis sont, à Miguasha, les espèces les plus fréquemment dégagées de leur gangue rocheuse. La disparition des parties molles de cet animal a fait croire aux premiers chercheurs du XIXe siècle qu'ils avaient trouvé l’ancêtre de la tortue. Trois espèces de poissons acanthodiens (poissons dotés d'épines) ont a aussi été trouvées dans les sédiments rocheux. Les ostéichtyens, ou poissons osseux, représentent un type d’animaux marins apparus juste avant ceux qui vivent maintenant dans les eaux du globe. Certaines de ces formes de vie présentent des nageoires semblables à celles des saumons, de l’éperlan et de la morue. Autre espèce de poissons intéressante parmi celles mises au jour, les dipneustes (qui possèdent deux modes respiratoires) se démarquent. Ils étaient dotés des branchies, comme tous les représentants du genre, mais aussi de poumons qui leur permettaient de respirer hors de l'eau. Leur découverte atteste de l’existence à Miguasha d'un climat tropical où la sécheresse et l’abondance d'eau alternaient. 
 
Le trésor de Miguasha est cependant I'Eusthenopteron foordi, vieux de 400 millions d'années. C'est un représentant des crossoptérygiens, le plus ancien type d'animaux amphibiens connu à ce jour, un chaînon entre la vie aquatique et la vie terrestre. Il a des poumons et possède des dents coniques. L’existence de ces dernières indique un mode de vie carnivore. À toutes ces espèces ichtyologiques, pourrait se greffer l’Archeopteris jacksoni, lequel est peut-être l’ancêtre des conifères et que l’on a trouvé aussi dans les falaises de Miguasha.
 
Cette richesse fossilifère, qui souffre peu des comparaisons avec ce qui existe dans le monde, justifie en 1937 les démarches des géologues pour faire de ce site un lieu protégé. Reprises par René Bureau, celles-ci aboutissent en 1976 au début des travaux de construction, à proximité du site, d'un musée et d’un atelier de travail. Neuf ans plus tard, en janvier 1985, le gouvernement du Québec consacre officiellement l’ouverture du Parc provincial Miguasha, voué à la protection et à la mise et valeur du site fossilifère. En 1991, un centre d'interprétation avec salle d'exposition, amphithéâtre, salle de collections et laboratoire est inauguré. Sa construction est l'occasion de tenir le 7e Symposium international de paléontologie qui accueille les scientifiques des cinq continents.
 
En 1994, les responsables du Parc Miguasha, dirigés par le paléontologue Marius Arsenault, présentent la candidature du site pour être admis au rang des trésors patrimoniaux protégés par l’Unesco. L’Organisation des Nations-Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture est une institution spécialisée des Nations-Unis vouée à la protection des libertés humaines, mais elle a aussi comme mandat de protéger la culture mondiale et son patrimoine. En vertu de ses attributions, elle détermine depuis 1972 les sites naturels et culturels mondiaux. En novembre 1999, elle accepte, après cinq ans de démarches menées par les défenseurs de Miguasha, de placer le site fossilifère gaspésien au rang du Patrimoine Mondial, aux côtés du Grand Canyon, des îles Galapagos, de la muraille de Chine et des pyramides égyptiennes.


Bibliographie :

Arsenault, Marius et Marc Brassard. « Miguasha : site magistral de poissons fossiles », Gaspésie, vol. XIX, no 1, hiver 1981, p. 20-28.
Bureau, René. « Des chercheurs de fossiles ». Gaspésie, vol. XXI, no 4, décembre 1983, p. 12-31.
Langevin, Louise. Miguasha, un parc au cœur de pierre. Gaspé, Magazine Gaspésie, 2000, 17 p.
Pageau, Yvon. « La Gaspésie et ses fossiles », Gaspésie, vol. XXIX, nos  3-4, septembre-décembre 1984, p. 22-27.
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