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Thème : Culture

L’histoire, du genre littéraire à la production scientifique

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


Avant 1950, la littérature régionale bas-laurentienne demeure peu abondante. La production se rattache surtout à trois genres : la monographie de paroisse, la poésie et le feuilleton littéraire publié dans la presse périodique régionale. Les ouvrages à caractère historique représentent donc une bonne part de la production littéraire bas-laurentienne avant la Révolution tranquille, et comptent parmi ces œuvres de la « bonne littérature » qui exaltent la foi de nos aïeux, les valeurs paysannes et la famille. Les dernières décennies du XXe siècle voient un renouvellement du genre quand se fait sentir le besoin d’écrire l’histoire locale et régionale de façon plus rigoureuse.
 
La deuxième moitié du XIXe siècle voit l’alphabétisation massive des québécois de langue française. La capacité de lire reste le facteur essentiel à la diffusion de la production littéraire et le journal hebdomadaire local, le média le plus largement accessible. C’est le notaire Charles-Arthur Gauvreau, de L’Isle-Verte, qui fournit le modèle de la monographie paroissiale dont la facture ne se renouvellera guère avant les années 1940. En 1889, il publie une histoire de L’Isle-Verte sous forme de feuilleton dans Le courrier de Fraserville. L’année suivante Gauvreau fait paraître son Trois-Pistoles, une monographie paroissiale dont une partie du contenu pourra faire l’objet d’une nouvelle publication en 1945, sous la gouverne de Mathias D’Amours. La Chronique de Rimouski de l’abbé Charles Guay, toute empreinte d’histoire religieuse, se démode, par contre, très rapidement.
 
Au cours de la seule décennie de 1920, la vallée de la Matapédia est l’objet de trois monographies à caractère historique, toutes les trois écrites par des curés des paroisses de la vallée. L’abbé Joseph D. Michaud publie d’abord ses Notes historiques sur la vallée de la Matapédia en 1922, puis le curé Alexandre Bouillon fait paraître Au grand jour ou les évolutions d’une paroisse canadienne : Saint-Edmond-du-Lac-au-Saumon, en 1926. Deux années plus tard, c’est au tour de l’abbé Jean-Baptiste Beaupré de se commettre avec Un site enchanteur de la vallée de la Matapédia : Causapscal, signé du pseudonyme Lambert Closse. Dès 1925, Joseph D. Michaud récidive dans sa nouvelle paroisse de Sainte-Cécile du Bic. Les deux tomes de Le Bic. Les étapes d’une paroisse sont, comme les volumes précédents, empreints d’histoire religieuse et demeurent dans la ligne des dizaines de monographies de paroisse alors publiées dans la vallée du Saint-Laurent.
 
C’est peut-être le géographe français Raoul Blanchard qui, avec L’est du Canada français, publié en 1935, fait ressortir le manque de rigueur de toutes ces monographies si peu scientifiques. Sa façon d’appréhender le développement du « rebord sud de l’estuaire du Saint-Laurent » constitue une véritable leçon d’histoire. Blanchard documente les forces qui ont présidé à l’ouverture de la région, souligne la pression démographique dans les vieilles seigneuries et son rôle dans le peuplement des régions plus à l’est. Les conférences radiophoniques de l’abbé Alphonse Fortin, licencié en histoire de la Sorbonne, dont les textes sont publiés en 1941 dans Le centre St-Germain, démontrent une volonté d’écrire désormais l’histoire locale de façon plus rigoureuse. La Monographie de Matane de l’abbé Antoine Gagnon constitue sans doute la première histoire locale « moderne » à être publiée au Bas-Saint-Laurent, en 1945. C’est d’ailleurs à ce dernier et à Charles Vézina que l’on doit la première revue consacrée à l’histoire locale dans la région, Histoire au Pays de Matane.
 
L’implantation de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) a eu un impact significatif sur l’historiographie régionale. La vieille tradition des monographies locales s’est trouvée transformée par le développement de nouvelles perspectives méthodologiques en histoire sociale et par l’entrée en scène d’une nouvelle génération d’historiens formés à l’UQAR et ailleurs. La Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, fondée en 1973 par Noël Bélanger, professeur d’histoire à l’UQAR, a souvent servi de canal de vulgarisation pour certaines recherches universitaires. À Rivière-du-Loup, Trois-Pistoles, Amqui, Cabano, Val-Brillant et Price, des sociétés d’histoire ont réussi à mettre sur pied des organes de diffusion permettant la publication de souvenirs des amateurs d’histoire ainsi de recherches historiques faites sur ces localités.
 
Aujourd’hui, la production à dominante historique profite de ces deux courants parallèles provenant des amateurs de généalogie et d’histoire locale et de celui des chercheurs universitaires. Plusieurs revues d’histoire sont publiées. Les anniversaires de fondation de paroisses ou de municipalités de la région donnent autant d’occasions à la parution d’un livre, Diverses études à caractère scientifique sont aussi venues combler notre ignorance sur plusieurs aspects du passé régional. Mais il ne fait guère de doute que c’est le lancement de l’Histoire du Bas-Saint-Laurent, en 1993, qui constitue le point marquant du renouvellement des connaissances sur la région.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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