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La colonisation dirigée
Thème : Société et institutions

La colonisation dirigée des années 1930

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation Culture et Société. 24 septembre 2003


Le Québec est frappé de plein fouet par la Grande Dépression. L’industrie de la construction est particulièrement touchée et, de 1930 à 1933, la valeur brute de la production de bois de sciage se voit réduite de plus de 80 %. Comme le Bas-Saint-Laurent produit le tiers du bois d’œuvre québécois, les répercussions sont immédiates et dramatiques et des milliers de journaliers de scieries et de bûcherons n’ont plus aucun moyen de subvenir aux besoins des leurs. Pour tenter de secourir toutes ces familles à l’horizon bouché, les gouvernements du Québec et d’Ottawa, en collaboration avec le clergé du diocèse de Rimouski, vont mettre en œuvre une politique de retour à la terre et d’ouverture de nouveaux territoires aptes à la colonisation agricole.
 
C’est donc l’État qui, en collaboration avec les sociétés de colonisation sous l’égide du clergé diocésain, prend la relève du mouvement de colonisation naturel vieux de trois siècles au Québec. À la fin des années 1930, les gouvernements fédéral et provincial auront mis en œuvre toute une série de programmes, connus sous le nom des ministres concernés, visant l’établissement rural : plans Vautrin, Roger-Augers, Gordon. Ces programmes favorisent l’installation de familles et de célibataires désireux de défricher un lot de colonisation ou de reprendre une ferme à l’abandon. Aux primes de défrichements déjà accordées depuis 1923 par le gouvernement du Québec s’ajoute toute une série de subventions représentant pour les gouvernements des déboursés considérables : primes pour la construction de maisons et de bâtiments de ferme, pour l’achat d’instruments aratoires et de bétail, d’égouttement et d’épierrage. En fait, de 1936 à 1939, on dépensera pour l’aide à la colonisation autant d’argent que durant toute la période 1867-1935.
 
Au Bas-Saint-Laurent, les basses terres littorales et le centre des vallées de la Matapédia et du Témiscouata, les zones qui présentent le meilleur potentiel agricole, sont déjà occupés en 1920. Les nouveaux défrichements devront donc être effectués sur les terres moins fertiles du plateau appalachien. Le plus important centre de colonisation de la région est ouvert dans le haut pays du comté de Rimouski, qui comprend les paroisses de Biencourt, Saint-Guy, Saint-Médard, Lac-des-Aigles et Esprit-Saint. Une deuxième zone de peuplement se développe sur les hautes terres de l’est du comté de Matane : Saint-René-Goupil, Saint-Jean, Saint-Thomas-de-Cherbourg et Saint-Paul-des-Capucins. D’autres colonies sont réparties au pourtour de la vallée de la Matapédia, à Sainte-Irène, Sainte-Marguerite, Saint-Tharcisius et Sainte-Paula, et de celle du Témiscouata, à Saint-Elzéar, Saint-Jean-de-la-Lande, Saint-Émile-d’Auclair et Saint-Godard-de-Lejeune.
 
On peut tenter de quantifier et d’évaluer le succès des efforts des gouvernements et du clergé diocésain pour ouvrir de nouveaux espaces à la colonisation agricole au Bas-Saint-Laurent. En 1937, les cinq Inventaires des ressources naturelles et industrielles des comtés de la région dénombrent 22 colonies totalisant plus de 13 000 personnes sur 2 500 lots. De juin 1931 à juin 1941, la « population des fermes » s’accroît de 22 000 sur les hautes terres du Bas-Saint-Laurent. C’est près du quart de l’augmentation de la population agricole de tout le Québec au cours de la décennie. C’est beaucoup, surtout si l’on compare aux régions voisines, la Gaspésie et la Côte-du-Sud qui, avec une augmentation respective de 5 000 et 4 300 personnes, semblent avoir été relativement négligées par les politiques gouvernementales de retour à la terre.
 
L’aventure de la colonisation dirigée des années 1930 n’aura toutefois guère produit de résultats notables au point de vue strictement agricole. L’ouverture ou la reprise de milliers de fermes laisse un bilan mitigé, car une grande partie de ces exploitations n’atteindra pas le seuil de l’autosuffisance alimentaire. Les revenus des nouvelles exploitations sont constitués de plusieurs sources, dont la production agricole est la moindre. Aux primes versées par l’État s’ajoutent la vente de bois coupé sur les lots, les travaux de voirie, de chantier ou l’emploi occasionnel à la scierie locale. De nombreux colons sont en fait des journaliers qui n’attendent que la fin de la crise pour quitter leur petite ferme au sol pierreux. En fait, l’accroissement des superficies de culture aura été moins important que lors des décennies précédentes, malgré les centaines de milliers de dollars de l’aide de l’État.
 
Au Bas-Saint-Laurent, le mouvement de colonisation dirigée a suscité bien des critiques, depuis sa mise en œuvre jusqu’à nos jours. Certains ont souligné le peu de potentiel agricole de certains centres de colonisation et l’effet pervers du système des primes qui poussait les colons toujours plus loin, délaissant des lots à demi défrichés au cœur de paroisses récemment ouvertes. La cohabitation forcée de milliers de colons-bûcherons avec les entrepreneurs forestiers allait aussi déclencher une course au déboisement, source des ruptures de stock des années 1940 et 1950. Ce sont ces milliers de familles installées sur des sols pauvres et au milieu des forêts ravagées qui vont poser les plus graves problèmes de développement de la région dans l’après-guerre.


Bibliographie : 

Fortin, Jean-Charles. Histoire de l’agriculture dans le Bas-Saint-Laurent, 1891-1951. L’entreprise agricole dans deux œkoumènes distincts : basses terres littorales et plateaux appalachiens. Rimouski, UQAR, mémoire de maîtrise (Développement régional), 1989. v-190 p.
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
Inventaire des ressources naturelles et industrielles [comté de Matane, Matapédia, Rimouski, Rivière-du-Loup et Témiscouata]. Québec, ministère des Affaires municipales, de l’Industrie et du Commerce, 1938-1939.
 
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