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La région des grandes scieries
Thème : Économie

La région des grandes scieries, 1895-1964

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 21 mars 2003


À la charnière des XIXe et XXe siècles, l’industrie du sciage provoque une véritable révolution industrielle au Bas-Saint-Laurent. Cette transformation de l’activité économique régionale présente un caractère particulier car les autres grandes régions connues pour l’importance de leur production de bois d’œuvre au XIXe siècle, l’Outaouais, la Mauricie et le Saguenay, se convertissent alors à l’industrie des pâtes et papiers. Dans la région, des millions de dollars de capitaux provenant de l’extérieur sont injectés dans l’économie et des usines qui donnent de l’emploi à des centaines de travailleurs se dressent au milieu de nouvelles agglomérations villageoises. La ressource forestière, un patrimoine précieux et limité, ne pourra supporter indéfiniment un tel assaut et la plupart des grandes usines de sciage devront fermer leurs portes après la Deuxième Guerre mondiale.
 
Avant la crise économique des années 1930, toutes les sous-régions sont touchées par l’implantation d’usines de sciage érigées à l’embouchure des rivières et dans les bassins lacustres du plateau. Les quatre plus importants établissements sont construits par les compagnies Price et Fraser de 1897 à 1901. Le volume de leur production s’accroît avec le temps, grâce à l’ajout de nouveaux équipements ou à l’instauration d’un second quart de travail, dans les années 1920. Ainsi, les trois scieries de la compagnie Price à Rimouski, Price et Matane, qui donnent de l’emploi à environ 500 travailleurs au début du siècle, en embaucheront jusqu’à 1 700 au cours des années 1940. À la fin des années 1920, on peut évaluer à environ 6 000 ouvriers l’effectif total des quelque 250 unités de transformation du bois qui sont dispersées sur le territoire.
 
Dans la partie ouest du Bas-Saint-Laurent, la sous-région de Rivière-du-Loup est celle qui reçoit le moins de retombées de l’industrie forestière, car les défrichements agricoles l’ont dépouillée d’une large part de son couvert boisé. Dans le Témiscouata, par contre, la compagnie Fraser du Nouveau-Brunswick relance l’exploitation forestière à la fin du XIXe siècle.  Elle s’accapare des centaines de kilomètres carrés du domaine public et de la seigneurie de Madawaska, et construit ou achète des scieries à Cabano, Estcourt, Notre-Dame-du-Lac et Rivière-Bleue. À Rimouski, la compagnie Price fait un retour marqué en 1900 en achetant un atelier de fabrication de bardeaux et en construisant une grande usine de sciage et, deux ans plus tard, une fabrique de pâte de bois mécanique. À Rimouski et à Luceville, d’autres entrepreneurs se spécialisent dans le planage du bois d’œuvre en provenance de toute la région et des provinces maritimes.
 
Plus à l’est, le long de l’estuaire, la compagnie Price fait aussi un retour en force dans ses anciens fiefs des rivières Mitis et Matane. Price donne son  nom à l’agglomération qui naît sur les rives de la rivière Mitis, autour de la grande scierie reconstruite en 1902, après un incendie. À Matane, à 50 kilomètres plus à l’est, la compagnie Price possède déjà une usine à fort débit depuis 1897. Dans les années 1920, la petite ville de Matane deviendra le plus important centre de production et d’exportation de produits forestiers de la rive sud du Saint-Laurent en bas de Québec. Price est aussi présent dans la vallée de la Matapédia, à Amqui, puis à Lac-au-Saumon. Toutefois, c’est le capital américain qui domine dans l’exploitation forestière de la vallée. La compagnie King Brothers acquiert la seigneurie de la Matapédia et commence la transformation. Mais c’est la compagnie John Fenderson, qui rachète les installations King, qui symbolise l’industrie forestière matapédienne. Ses scieries, dispersées dans le piedmont de la vallée, expédient leur production à Sayabec où le bois est refendu, embouveté et raboté pour son expédition par chemin de fer vers les marchés étrangers.
 
La Crise se répercute instantanément sur le marché du bois d’œuvre, quand tout le secteur de la construction s’effondre. De 1930 à 1933, la valeur brute de la production de bois de sciage au Québec chute de 80 %. Comme le Bas-Saint-Laurent produit le tiers du bois d’œuvre du Québec, l’effondrement de la base économique régionale y présente un caractère dramatique. Les petites entreprises sont rapidement acculées à la faillite et les grandes compagnies ferment les usines les moins rentables, réduisent partout la production, les salaires et les autres dépenses. Le choc est surtout ressenti dans les sous-régions déjà épuisées par la surcoupe des années fastes. De gros moulins ferment à Rivière-Trois-Pistoles, Saint-Pierre d’Estcourt, Saint-Moïse, Lac-au-Saumon, Notre-Dame-du-Lac et Val-Brillant. En mars 1933, même la puissante compagnie Price doit se mettre à l’abri de ses créanciers. Même la reprise des années 1937 à 1945 ne constitue qu’un sursis pour le sciage régional.
 
La fin du second conflit mondial sonne l’heure du bilan pour la première industrie du Bas-Saint-Laurent. La surexploitation des années 1900-1930, la colonisation des années 1930, qui a soustrait des milliers de kilomètres carrés aux concessionnaires forestiers, et l’accélération de l’exploitation, au cours de la guerre, ont donné un coup fatal aux boisés régionaux. Une après l’autre, toutes les grandes scieries ferment leurs portes au cours des années 1950 et 1960. Du tiers du sciage québécois, la région ne fournit plus qu’environ 5 % du bois d’œuvre de la province en 1970. Quand, en 1982, la compagnie Price ferme son usine dans le village qui porte son nom, elle met fin à un siècle et demi de présence dans le Bas-Saint-Laurent.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
 
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