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Le défrichement des terrasses littorales,
Thème : Économie

Le défrichement des terrasses littorales, de 1680 à 1870

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003

 

Avant 1870, la majeure partie du développement agricole au Bas-Saint-Laurent se produit sur les terrasses littorales qui jouxtent le fleuve, de Notre-Dame-du-Portage jusqu’à Sainte-Félicité, à l’est de Matane. Sous le Régime français, les autorités coloniales doutent du potentiel agricole des seigneuries en aval de Kamouraska et n’encouragent guère leur peuplement. En 1730, les seigneuries de Rivière-du-Loup, L’Isle-Verte, Trois-Pistoles et Rimouski ne comptent que 170 hectares de terre en culture comparé aux 580 hectares de la seule seigneurie de La Pocatière. À la Conquête, la région ne compte guère parmi les territoires agraires de la vallée du Saint-Laurent.
 
Les défrichements progressent encore très lentement sous le Régime anglais et la véritable colonisation agricole des seigneuries bas-laurentiennes commence après 1810, quand les seigneuries surpeuplées de la Côte-du-Sud débordent vers l’est. Au recensement de 1831, plus de 80 % des 1 557 familles dénombrées au Bas-Saint-Laurent tirent l’essentiel de leur subsistance de l’agriculture. L’exploitation moyenne compte une vingtaine de chevaux, bovins, porcs et moutons. Le blé français est encore la céréale maîtresse, mais la culture de la pomme de terre se répand sous l’influence des colons d’origine écossaise. La farine de blé est fabriquée localement dans les moulins actionnés par l’eau, et un premier produit régional est déjà acheminé vers les marchés extérieurs. Les agriculteurs de Rivière-du-Loup, L’Isle-Verte et Trois-Pistoles vendent déjà de bonnes quantités de beurre sur le marché de Québec.
 
La colonisation agricole des basses terres littorales se poursuit de façon régulière de 1830 à 1870. L’espace seigneurial, de Rivière-du-Loup à Métis fait le plein, de 1830 à 1850, puis au cours des deux décennies suivantes, les défrichements progressent vers l’aval jusqu’à Sainte-Félicité. Ce mouvement vers l’est du comté de Matane s’accompagne d’une constante poussée vers l’arrière des seigneuries des comtés de Rivière-du-Loup et Rimouski, sous la pression des généreux surplus de population issus des familles de défricheurs des premiers rangs, et de nouvelles paroisses sont fondées à l’arrière de celles du littoral. De 1830 à 1870, le Bas-Saint-Laurent s’avère une des régions agricoles les plus dynamiques du Québec. Le nombre de fermes quintuple, de 1 223 à près de 6 000, et c’est la région de Matane qui connaît les plus importants développements : le nombre de petites exploitations agricoles y passe de 60 à plus de 1300.
 
L’extension du terroir et l’occupation du territoire par les familles s’accompagnent d’un certain enrichissement dont profitent d’abord les fermes de la région de Rivière-du-Loup à Trois-Pistoles, occupées depuis deux ou trois générations. Avec une quinzaine d’hectares en culture, ces exploitants ont peu à envier aux agriculteurs du vieux terroir de la Côte-du-Sud. Mais les progrès sont visibles sur l’ensemble du territoire des basses terres où les superficies améliorées, celles qui sont consacrées aux cultures et aux pâturages, décuplent de 1830 à 1870. Toutefois, l’augmentation de la production reste essentiellement liée à l’extension des superficies en culture et non pas à l’amélioration des rendements, qui demeurent inférieurs à la moyenne québécoise. Les agriculteurs bas-laurentiens continuent à semer du blé et de l’orge malgré les maigres récoltes, mais une réorientation des cultures est déjà commencée vers 1870 : le foin et l’avoine, des produits destinés à l’alimentation animale, sont en forte croissance de même que la pomme de terre, la future spécialité régionale.
 
En 1870, on sait déjà que le Bas-Saint-Laurent est une bonne région d’élevage. Le climat humide entretenu par les eaux froides de l’estuaire est favorable à la culture du foin et aux pâturages car les périodes de sécheresse sont moins sévères que dans les régions plus à l’ouest. Les éleveurs produisent près de 500 tonnes métriques de beurre domestique, une denrée destinée en grande partie à la vente sur le marché de Québec. La croissance du nombre de porcs gardés à la ferme accompagne celui des vaches laitières : le petit lait, résidu de la fabrication du beurre, sert à nourrir les cochons. Toutefois, les cultivateurs des basses terres devront encore attendre une dizaine d’années pour profiter de l’établissement des premières beurreries et fromageries dans la région.
 
Au cours des années 1850 à 1870, le Bas-Saint-Laurent se range donc résolument au nombre des régions agricoles du Québec. Sur une grande partie du territoire, surtout dans les premiers rangs qui longent l’estuaire, une large part des exploitations ont dépassé le niveau de la simple agriculture de subsistance. En 20 ans, les surplus occasionnels sont devenus saisonniers, les superficies consacrées aux grandes cultures ont triplé, la production de beurre domestique a été multipliée par quatre. Cependant, la crise économique qui s’amorce en 1873 va porter un coup d’arrêt à cette période faste de l’agriculture régionale.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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