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Un régionyme
Thème : Société et institutions

Un régionyme à la recherche de son territoire

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003

 
Le régionyme Bas-Saint-Laurent a mis longtemps à s’imposer dans la mosaïque des régions du Québec. La région des comtés de Rivière-du-Loup, Témiscouata, Rimouski, Matane et Matapédia et des sept municipalités régionales de comté qui leur correspondent aujourd’hui (Rivière-du-Loup, Témiscouata, Les Basques, Rimouski-Neigette, La Mitis, Matane, La Matapédia) n’a vraiment commencé à être reconnue qu’au XXe siècle. Avant, la région fait partie de ce que l’on appelle « le bas de Québec » ou la région du golfe, un immense territoire qui recouvre les deux rives de l’estuaire du golfe du Saint-Laurent. Jusqu’aux années 1920, les Bas-Laurentiens s’identifient avant tout par la paroisse ou le comté : on vient du Bic ou de Saint-Arsène, de la Matapédia ou du Témiscouata.
 
Au XIXe siècle, le besoin qu’éprouvent les élites laïques et religieuses de diriger les colons potentiels vers de nouveaux territoires du Québec les force à nommer ces espaces. De façon graduelle, les appellations Bas-Saint-Laurent et Bas du fleuve se restreignent à la rive sud de l’estuaire, de la rivière Chaudière jusqu’à Cap-Chat, la première localité de la Gaspésie. À la charnière des XIXe et XXe siècles, les propagandistes de la colonisation constatent que les comtés de Bellechasse, Montmagny, L’Islet et Kamouraska n’ont plus beaucoup de terres à défricher et que le réservoir des sols vierges n’existe plus guère que sur les plateaux à l’est de Rivière-du-Loup. C’est vers ce Bas-Saint-Laurent qu’il convient désormais de diriger les Canadiens français du Québec pour tarir le courant migratoire vers les États-Unis.
 
C’est toutefois moins la propagande que la mise en coupe réglée des forêts de la Matapédia et du Témiscouata qui y attirent les défricheurs. En l’espace d’une seule génération, de 1890 à 1920, la population des deux vallées passe de 7 000 à 34 000. Le développement accéléré de l’économie de cette région entre le Kamouraska et la Gaspésie, après 1900, impose l’usage du nouveau régionyme qui correspond désormais au diocèse de Rimouski auquel s’ajoute le grand Rivière-du-Loup. À compter des années 1920, des entreprises adoptent le régionyme : la Compagnie de transport du Bas-St-Laurent, la Compagnie de pouvoir du Bas-St-Laurent, le journal L’Écho du Bas-St-Laurent. Les institutions qui œuvrent dans le cadre du diocèse de Rimouski s’y réfèrent et le Conseil d’orientation économique du Bas-Saint-Laurent (COEB), fondé en 1956, ne tient compte que des cinq comtés cités plus haut.
 
Au moment où le sentiment d’appartenance au Bas-Saint-Laurent semble bien forgé, au début des années 1960, la région est invitée à une nécessaire éclipse. Désormais, elle devra faire partie de l’« Est du Québec », une nouvelle entité regroupant le Kamouraska, le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Pour les planificateurs œuvrant au plan de développement du « territoire pilote », il importait de délimiter un espace relativement homogène dans son retard économique pour y appliquer des politiques de rattrapage financées par les gouvernements fédéral et provincial. Pour encadrer les coûteux engagements de l’État, une structure administrative est créée dans la nouvelle capitale régionale, Rimouski, d’où elle va pouvoir s’étendre de La Pocatière, à l’ouest, jusqu’à Cap-aux-Meules, à l’est.
 
En 1988, la création de la nouvelle région administrative Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine restaure la frontière de 1788 entre les districts judiciaires de Québec et de la Gaspésie à la hauteur de Cap-Chat et du sud de la vallée de la Matapédia. Ce retour à une région historique aisément identifiable était souhaité depuis de nombreuses années par les élites gaspésiennes. Par la force des choses, le Bas-Saint-Laurent retrouve alors ses frontières et son identité. La région touristique de la Gaspésie comprend toutefois encore toute la partie est du Bas-Saint-Laurent, ce qui n’est pas sans créer un sentiment d’incompréhension chez les visiteurs et les professionnels du tourisme.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
 
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