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Les lacs de la Côte-du-Sud
Thème : Territoire et ressources

Les lacs de la Côte-du-Sud

Jacques Saint-Pierre, historien, 2 février 2003

 
La Côte-du-Sud est relativement pauvre en lacs. Les plus importants se trouvent dans la partie sud-est de la région; ce sont les lacs Pohénégamook et de l’Est. Perché dans les montagnes en arrière de la paroisse de Saint-Aubert dans la MRC de L’Islet, le lac Trois-Saumons est cependant le plus accessible aux villégiateurs québécois. Dans les MRC de Montmagny et de Bellechasse, les plans d’eau sont petits et peu profonds. À l’origine, ils regorgeaient de poissons blancs, de truites et de touladis, mais la pêche excessive et la pollution des eaux ont fini par ruiner la ressource.
 
Les colonies des lacs Pohénégamook et de l’Est
 
Le lac Pohénégamook est la plus vaste étendue d’eau de la Côte-du-Sud. Situé à 200 mètres du niveau de la mer, il s’étend entre deux crêtes rocheuses sur presque dix kilomètres de longueur, alors qu’il a moins d’un kilomètre de largeur. Il semble avoir été le premier lac de la région à être fréquenté par les Européens. D’après les patientes recherches menées par l’abbé Adrien Caron, le lac se situe en effet sur la route empruntée en 1624 par des missionnaires récollets partis d’Acadie à destination de Québec par la rivière du Loup. Ce trajet semble privilégié par les chasseurs de la tribu des Malécites à celui passant par la rivière Témiscouata, qui coule plus à l’est. Lors de sa première tournée de diocèse, en 1686, l’évêque de Québec, Monseigneur Jean-de-la-Croix Chevrières de Saint-Vallier, choisit lui aussi cette voie pour rallier la colonie acadienne par la rivière Saint-Jean. 
 
Par la suite, le lac Pohénégamook continue sans doute à être fréquenté par les tribus amérindiennes et, à compter de la fin du XVIIe siècle, par les habitants de Kamouraska. Cependant, il n’est pas possible de l’établir avec certitude. Le publiciste Arthur Buies évoque, en 1900, la réputation du lac pour la pêche à la truite. Une quarantaine d’années auparavant, Maurice Bossé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière témoignait déjà devant l’Assemblée législative de la réputation des deux lacs Sainte-Anne et de l’Est pour la truite et même l’anguille, qu’on y aurait prise à l’occasion. À cette époque, les lacs étaient perçus comme un avantage pour les colons qu’on voulait attirer dans les cantons de l’arrière-pays de Kamouraska. Tout indique donc que la pêche à des fins alimentaires plutôt qu’à une fin sportive y était pratiquée depuis très longtemps.
 
À la différence du lac Pohénégamook, où trois paroisses ont été fondées, soit Saint-Éleuthère, Sully et Estcourt, le lac de l’Est n’a jamais été qu’une mission desservie par le curé de Mont-Carmel. En 1880, Louis Dionne, un cultivateur originaire de Sainte-Anne-de-la-Pocatière qui avait épousé une Amérindienne, s’y retire avec sa famille en vivant des produits de la chasse et de la pêche. C’est cependant l’exploitation forestière qui est à l’origine d’un établissement permanent à cet endroit. De 1925 à 1932, un moulin à scie y amène en effet une quarantaine de familles, qui disposent, à partir de 1927, d’une chapelle utilisée également comme école. La destruction de la scierie dans un incendie marque la fin de la petite colonie du lac de l’Est.
 
Le lac Trois-Saumons des poètes 
 
Le lac Trois-Saumons, « cette étonnante vasque taillée dans la blancheur du quartz », selon les mots du frère Marie-Victorin, célèbre naturaliste, séduit d’abord les chasseurs et les pêcheurs, mais il inspire également les poètes. Il devient ensuite un lieu de villégiature très apprécié des estivants de la région de Québec.
 
L’écrivain Philippe Aubert de Gaspé a laissé dans ses écrits de belles pages sur le lac Trois-Saumons, qui était situé dans les profondeurs de sa seigneurie de Saint-Jean-Port-Joli. Il s’y rend régulièrement durant ses séjours à la campagne, en compagnie de guides de l’endroit. Le père Laurent Caron, un rentier très respecté de Saint-Jean, puis le père Romain Chouinard, un ancien navigateur, le conduisent au lac pour y taquiner la truite et tendre des collets à lièvre et à perdrix. Ces expéditions en forêt sont aussi l’occasion pour le seigneur et ses amis d’écouter au coin du feu les récits fabuleux de ces conteurs inépuisables. Le vieux seigneur consignera plusieurs de ces histoires dans ses Mémoires. 
 
Philippe Aubert de Gaspé évoque la beauté de cette nature encore sauvage. Cependant, la plus poétique description du lac Trois-Saumons demeure celle de Marie-Victorin, dans ses Croquis laurentiens :
 
« Le lac est long, très long, cinq milles [huit kilomètres] tout au moins. Il finit là-bas, vers l'Est, et dégorge son eau moins claire par un torrent rapide. Cette eau est d'une limpidité absolue. La roche qui la contient ne se désagrège pas, pour former de la boue, comme il arrive dans la plupart des lacs laurentiens, où le satin de la surface dissimule presque toujours des fanges. Ici, c'est la pureté jusque dans les profondeurs et c'est pourquoi aucun nénuphar ne vient étoiler, ces eaux cristallines et s'enrouler à la rame du passant comme pour lui dire: « Arrête-toi, nous sommes si beaux! » Pas même une lisière de joncs pour briser la ligne crue de ce rivage. L'eau bat la pierre, inlassablement, sans une fleur à caresser, sans une herbe à baigner. 
[…]
Le lac cependant porte le deuil du passé et garde son caractère de tranquillité et de silence. Quelques blancs chalets se cachent sur les bords et leurs noms même sont doux et apaisants: Marie-Joseph, Sans-Bruit, Mon-Repos, Fleur-du-Lac, etc. Chacun d'eux est un nid solitaire où toute l'eau bleue et toute la verdure nous appartiennent. »
 
La disparition des poissons, l’arrivée des villégiateurs
 
Le camp Marie-Joseph du lac Trois-Saumons, dont parle Marie-Victorin, a été aménagé vers 1904 par le Club de pêche Notre-Dame-de-Bonsecours, qui regroupe des familles de notables de la région de L’Islet. Le journal des excursions de cette association indique que les truites sont encore très abondantes dans les eaux du lac à cette époque. Mais ce n’est plus le cas vers le milieu du siècle, au moment où les chalets occupent presque tous les terrains riverains et où les embarcations à moteur ont remplacé les canots à rames.
 
Ailleurs, c’est la pollution engendrée par l’exploitation forestière qui a rendu les rivières et les lacs stériles. La Société d’histoire naturelle de La Pocatière, fondée à l’école d’agriculture en 1936, s’intéresse à cette question au début des années 1950. Dans un mémoire au ministre de la Chasse et de la Pêche, l’organisme propose de repeupler les lacs et les rivières de la région en commençant par le lac Saint-Pierre à Saint-Pacôme, un lac où la truite abondait jadis et qui se trouve alors infesté de carpes, de perchaudes et de goujons. 
 
Les lacs de la Côte-du-Sud ont conservé longtemps leur beauté sauvage. Mais la colonisation, l’exploitation forestière et la pollution ont eu raison des principales espèces de poissons qu’on y retrouvait encore au début du siècle. Les efforts se poursuivent aujourd’hui pour réparer les erreurs du passé et permettre aux amateurs de plein air de jouir de ces sites naturels qui n’ont rien perdu de leur charme.
 

Bibliographie :

Archives de la Côte-du-Sud et du Collège de Sainte-Anne, Fonds de la Société d’histoire naturelle de La Pocatière, Mémoire adressé à l’honorable ministre de la Chasse et de la Pêche de la Province de Québec sur le développement des ressources piscicoles du comté de Kamouraska, 1954.
Caron, Adrien. De Canada en Acadie : Le Grand-Portage. La Pocatière, Société historique de la Côte-du-Sud, 1980. 119 p. Cahiers d’histoire, no 15.
Journaux de l'Assemblée législative de la Province du Canada depuis le 26 mars jusqu'au 9 juin 1862, ces deux jours inclus, dans la vingt-cinquième année du règne de notre souveraine dame la Reine Victoria : étant la 1re Session du 7e Parlement provincial du Canada. Québec, 1862. 657 p. Appendice 1, p. 41-42.
Livre premier du journal relatant les excursions des membres du Club Notre-Dame de Bonsecours au Lac des Trois Saumons et de leurs amis, 1904. Québec, Bertrand Miville Deschênes, 1979. 95 p. (fac-similé)
Marie-Victorin (frère). Croquis laurentiens. Montréal, Les Frères des Écoles chrétiennes, 1920. 304 p.
 
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